Bûcherons à l’arrêt, scolytes, dépôts sauvages : la forêt du massif vosgien souffre aussi du confinement

A l’heure du confinement, c’est toute la gestion de la forêt qui est affectée en raison du ralentissement de l’activité et des contraintes sanitaires. Les arbres du massif vosgien ont pourtant bien besoin de soins, affaiblis par la sécheresse, les dépôts sauvages et les scolytes.

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Depuis le début du confinement, Julie Ritter trouve que l’ambiance est particulière dans les forêts à flanc de la vallée de Guebwiller (Haut-Rhin). « On n’entend plus les mêmes bruits quand on monte vers le Markstein, remarque-t-elle. D’habitude, avec le retour des beaux jours, on a le bruit des voitures, des motos. Là c’est très silencieux. » La jeune femme dispose d’une autorisation lui permettant de continuer à arpenter la forêt vosgienne, plaisir actuellement interdit aux promeneurs. Elle y est technicienne forestière à l'ONF (Office national des forêts). Garde forestier, disait-on auparavant.

Les animaux semblent moins stressés aussi. Les chevreuils mettent plus de temps à partir quand ils nous voient arriver.

- Julie Ritter, technicienne de l’ONF
 
Dans le paysage aussi, quelque chose a changé. Le secteur est une zone de sapins. En ce printemps, certains sont tout rouges. De nombreux autres sont à terre, déracinés. Comme un lendemain de tempête. Il faut dire que le vent a soufflé fort au mois de février sur les hauteurs. Et a mis à bas des sapins déjà affaiblis par trois années consécutives de sécheresse, que la clémence de l’hiver dernier a fini de condamner. Ainsi ce sont près de 10.000 mètres cube de bois qui se retrouvent à terre, l’équivalent dans certains secteurs du massif d’un quart de la récolte annuelle.
 
"Ça fait quelque chose, se désole Julie Ritter. On ne fait que courir après les chablis [arbres déracinés] pour éviter qu’ils dépérissent. On sauve ce qu’on peut. Les anciens racontent qu’autrefois, ils mettaient une croix blanche sur une parcelle dès qu’il y avait un chablis. Ce serait impossible aujourd’hui."

Désolants aussi les dépôts sauvages que les agents de l’ONF voient se multiplier depuis le début du confinement. « On voit que les gens font des travaux chez eux mais que les déchetteries sont fermées », sourit amèrement Julie Ritter, qui constate à l’inverse très peu de promeneurs en infraction. « Ce qui nous inquiète aussi, ce sont les dépôts sauvages de déchets végétaux, abonde Frédéric Guérin, responsable la communication de l’ONF Grand Est. Les plantes exotiques issues des jardins des particuliers, comme la renouée du Japon, pourraient se disséminer et entraîner des pestes végétales ». Et de rappeler que jeter ses déchets verts dans un milieu naturel comme la forêt est passible d’une amende de 1.500 euros.
 

La filière bois en état végétatif

Dans leurs parcelles, les arbres déracinés vont devoir patienter pour entamer leur deuxième vie de bois de charpente, de tonneau ou de chauffage. Impossible pour le moment d’aller les chercher. Avec le ralentissement mondial de l’économie lié au confinement, faute de débouchés, la filière tourne au ralenti. Et pas question d’envoyer des agents couper des troncs en cette période de crise sanitaire majeure.
 

L’exploitation de la forêt est une activité dangereuse. En cette période où les services de santé sont mobilisés par l’épidémie de covid19, on ne peut pas prendre le risque de rajouter des accidents de bûcheronnage.

- Frédéric Guérin, Office national des forêts du Grand Est

Faute de tronçonner, les agents ont dû adapter leur activité et profitent de la période pour procéder dans certains secteurs aux plantations de jeunes pousses. Une tâche qui d’ordinaire s’opère plus tard dans l’année, mais qui permet d'appliquer facilement des mesures de distanciation pour se protéger. Et d’écouler un peu les surplus qui restent sur les bras des pépiniéristes.
Car quand on ne coupe plus d’arbres, c’est toute une filière qui est l’arrêt. Du bûcheron au menuisier, en passant par la scierie et le débardage, aucun maillon de la chaîne n’échappe à cette crise sans précédent. « Dans nos scieries du Grand Est, 75% de notre activité feuillus - issue du hêtre et du chêne principalement - part à l’export. Or là tout est bloqué à l’international, déplore Sacha Jung, délégué général de Fibois, l’association qui rassemble tous les acteurs régionaux du secteur. Ne nous reste que l’exploitation des résineux qui servent au bâtiment sur le marché français, mais le secteur est très fluctuant et tributaire des mesures gouvernementales. On réalise entre 10 et 30% de notre volume habituel d’activité. »
 
L’un des seuls débouchés réguliers pour la filière régionale depuis le début du confinement reste le bois utilisé pour l’emballage, pour confectionner caisses et palettes. « Mais ce n’est pas une marchandise à forte plus-value, constate Sacha Jung. Ce n’est pas ce qui nous sauvera. » Car après quatre semaines de confinement en France, il a dressé un premier bilan, plus qu’alarmiste pour tout ce secteur économique qui représente 55.000 emplois, essentiellement basés en milieu rural.

Depuis le début du confinement, sur cent entreprises, un quart seulement a conservé une activité normale avec maintien de tout son effectif. Toutes les autres ont dû recourir à du chômage partiel.

- Sacha Jung, délégué général de Fibois Grand Est
 

Victimes collatérales de la situation, certaines communes rurales pourraient aussi faire les frais de la paralysie de l’activité sylvestre. « Il y a des villages reculés qui n’ont déjà pas grand-chose tirent une part importante de leur budget communal grâce à la vente des bois de leurs parcelles, explique Frédéric Guérin en pensant notamment aux bourgs des hauteurs. Ce coup d’arrêt risque de leur poser des problèmes. »

La présence des scolytes va exploser

A ces difficultés financières déjà angoissantes s’ajoute une autre menace liée à cet attentisme imposé à l’activité sylvestre. Celle de la prolifération des parasites, les scolytes des épicéas, les chalaroses des frênes et chenilles processionnaires des chênes. Pour ces ravageurs, les arbres restant à terre constituent des pouponnières de choix.
« On voit déjà des envols de scolytes adultes, c’est signe qu’il va encore y avoir des attaques cette année, s’inquiète Frédéric Guérin. Avec les arbres qu’on doit laisser à terre, il y a un vrai risque de prolifération, on a peur d’avoir des courbes exponentielles de populations ». Si le représentant de l’ONF est inquiet, c’est parce que l’insecte fait des ravages dans les peuplements d’épicéas, très présents sur les parties basses des versants montagneux et en plaine, où ils ont été massivement plantés après-guerre pour leur croissance rapide. En creusant des galeries sous l'écorce, les petits coléoptères finissent par couper la circulation de la sève conduisant l’arbre à une mort prématurée.
Les arbres attaqués dépérissent, rougissent pour certains. Perdent rapidement de leur valeur marchande s’ils ne sont pas vite transformés. Ce qui est impossible avec le confinement. « Une fois cette période passée, on craint que certains propriétaires privés laissent leurs parcelles à l’abandon, met en garde le représentant de la filière bois Sacha Jung. Leur bois ne sera plus utilisable qu’en matériau de chauffage qui ne rapporte pas grand-chose. Ce ne sera pas rentable pour eux de faire évacuer leurs chablis, car la coupe coûte très cher. Surtout si l’accès aux parcelles est compliqué, ce qui risque d'être le cas par endroit. » Autant de pouponnières supplémentaires en puissance pour les nuisibles.

A cause du scolyte, il va falloir tirer un trait sur l’épicéa dans certains secteurs du Grand Est.

- Frédéric Guérin, Office national des forêts du Grand Est

Le scolyte a pourtant toujours vécu dans nos forêts. C’est combiné à des sols secs qu’il devient mortel pour les épicéas. Avec la mise au ralenti de l’entretien forestier imposée par le confinement, le cocktail devient explosif. Cette crise sanitaire rappelle l’importance et l’urgence de repenser la forêt de demain.

Darwin au secours de la forêt vosgienne

Plus qu’un postulat, le réchauffement climatique est un constat face auxquels tous les acteurs vivant de la forêt ont déjà entrepris de réagir. Deux pistes sont à l’étude pour repeupler la forêt vosgienne afin qu’elle résiste mieux. « Il y a déjà des tests en cours à partir d’essences présentes dans nos forêts régionales, précise Frédéric Guérin. On fait de la sélection génétique sur des individus qui semblent mieux résister que d’autres à la sécheresse. »La seconde piste à l’étude consiste en de la migration assistée, comme l’explique Sacha Jung : « nous nous intéressons aux essences issues d’autres régions plus au sud de l’Europe comme les hêtres de la Sainte-Baume ou le pin laricio de Corse. On regarde aussi du côté des Balkans, pour trouver celles qui pourraient composer le nouveau visage des forêts du Grand Est. »
L’enjeu est de taille. « Il ne faudra pas se tromper dans nos choix, avertit le représentant de la filière régionale. Contrairement à l’agriculture qui fonctionne sur des temps courts, d’une année sur l’autre, nous prenons des orientations qui devront encore être valables dans 40, 60 voire les 100 prochaines années à venir », ajoute Sacha Jung, évoquant l’humilité que ressentent ceux qui dépendent de la forêt.

Risque élevé d’incendies

Le mois d’avril est une période propice au déclenchement de feux de forêt, en raison de la présence encore forte de feuilles et d’herbes mortes. L’ONF appelle à la vigilance : il est demandé de n’allumer ni feu ni barbecue, et de respecter les périodes d’interdiction d’accès en forêt comme celle actuellement en vigueur.

Le 3 avril dernier 2020, un incendie a ravagé trois hectares de forêt dans le secteur de Rimbach-près-Masevaux (Haut-Rhin). C'est un habitant qui faisait de l'écobuage qui serait à l'origine du départ de feu.

Quelques jours plus tard, c'est vers les forêts vers Wittelsheim que les pompiers ont dû intervenir :A défaut de vous pouvoir vous promener en forêt en cette période de confinement, l'ONF vous propose quelques activités liées à la nature pour vous occuper en famille :
 
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