Résultats législatives 2022 dans les Ardennes : pourquoi le Rassemblement national n'a gagné aucune circonscription

Aucune des trois circonscriptions du département des Ardennes n'a été remportée par un candidat du Rassemblement national (RN/ex-FN). La réalité est toute autre dans les trois autres départements champardennais. Explications du politologue Olivier Dupéron auprès de France 3 Champagne-Ardenne.

Trois candidats du Rassemblement national (RN/ex-FN) qualifiés au second tour des élections législatives de 2022 dans le département des Ardennes. Et une semaine plus tard, trois candidats RN éliminés.

C'était le dimanche 19 juin 2022. Marine Le Pen, qui a largement gagné son pari de constituer un (très) gros groupe d'extrême-droite à l'Assemblée nationale, n'a pour autant pas réussi à arrimer son parti dans les trois circonscriptions législatives des Ardennes.

Un département pourtant loin de lui être défavorable. Au final, la majorité présidentielle et l'union de la droite et du centre se partagent les trois circonscriptions (voir la carte ci-dessous).



France 3 Champagne-Ardenne a questionné le politologue Olivier Dupéron au sujet de cette surprise du second tour des élections législatives de 2022. Lequel s'abstient, d'emblée, de minimiser le score frontiste. "Les scores du Rassemblement national, et de Marine Le Pen, sont très élevés dans les Ardennes. Elle avait fait 36% au premier tour de la présidentielle, et fait 56% au second, de mémoire."

Un potentiel dans les Ardennes

"Il y a donc un potentiel dans les Ardennes qui permettrait de penser que ce département pourrait, à un moment donné, envoyer un ou des députés à l'Assemblée." Pour autant, on ne peut pas dire tout de go que le parti frontiste "ne prend pas", pour une raison purement mathématique. "Il a quand même pas mal pris dans la première circonscription." Dans celle-ci, la députée sortante, Bérangère Poletti (LR), ne se représentait pas. Son successeur, Guillaume Maréchal, a été éliminé dès le premier tour au profit de Laurent Richard (RN), loin devant le second, Lionel Vuibert (LREM). 

"Ça s'est joué à tellement peu de voix d'écart
[au second tour], 190 et quelques, qu'on aurait très bien pu être en train de commenter l'élection du premier député du Rassemblement national dans les Ardennes. Ça donnerait une représentation totalement différente de la situation politique dans le département." De quoi "relativiser" les résultats obtenus. Laurent Richard n'a d'ailleurs pas immédiatement reconnu sa défaite, et envisage maintenant un recours. 

Les joies du parachutage

Les raisons de l'échec du parti d'extrême-droite dans les Ardennes paraissent liées aux personnalités présentes dans les trois circonscriptions. "Une partie des réponses se trouve dans les deuxième et troisième circonscriptions, considérant que la première aurait pu basculer. C'est le profil des candidats du Rassemblement national qui étaient proposés dans les Ardennes."

"Notamment si on prend Baptiste Philippo, dans la deuxième circonscription : c'est quelqu'un qui est totalement parachuté, qui vient du département de la Marne, qui ne connait a priori par le département des Ardennes. On est sur un transfuge total par rapport à ce qu'on a pu connaître dans d'autres départements, où l'on a des candidats RN mieux implantés."

Le contre-exemple peut se trouver en la qualité de Jordan Guitton ou Angélique Ranc (RN), qui ont gagné dans l'Aube : le premier y est né, la seconde la représente au sein du conseil régional. Inversement, "la Haute-Marne montre aussi qu'un parachuté peut l'emporter". Pour ce contre-contre-exemple, il s'agit de Christophe Bentz (RN), encore inconnu de la population locale il y a peu.
 

Des élus de terrain éloignés des appareils politiques

Autre raison : les actions et étiquettes des députés sortants. Il s'agit de Pierre Cordier (LR, deuxième circonscription), mais surtout de Jean-Luc Warsmann (UDI, dans la troisième), ce dernier ayant été élu pour la septième fois consécutive. "Ils font vraiment partie, dans un style différent, des députés qui jouent la carte de l'enracinement et de la proximité. Ils sont suffisamment malins pour mettre régulièrement de côté leur appartenance politique, à la famille des droites en général."

Il cite d'ailleurs Jean-Luc Warsmann qui, ce lundi 20 juin encore, énonçait à la radio "ne pas appartenir à une famille politique". Pierre Cordier, bien ancré lui aussi, "durant ses campagnes, masque son appartenance politique pour jouer essentiellement la carte de la défense des Ardennes. On le retrouve beaucoup moins ailleurs : on a vraiment un discours ardennais, de représentation et de défense des Ardennes."

On a vraiment un discours ardennais, de représentation et de défense des Ardennes, qu'on retrouve beaucoup moins ailleurs.

Olivier Dupéron, politologue

"Ce sont des députés qui connaissent très bien leur territoire, qui sont issus de ces territoires." Sans oublier la longévité de Jean-Luc Warsmann, élu à l'Assemblée pour la première fois en 1993 (cela fera 30 ans l'année prochaine). À mettre en parallèle de la Haute-Marne, totalement conquise par le parti frontiste (c'est le cas de tout le sud de la Champagne-Ardenne à l'exception de la deuxième circonscription de l'Aube). Député sortant de la Haute-Marne, François Cornut-Gentille (LR), bien implanté et lui aussi élu pour la première fois en 1993 (et toujours réélu depuis), a été défait. "Il est beaucoup plus marqué politiquement. Peut-être que les électeurs ont moins perçu son investissement pour la circonscription."

"Il était maire de Saint-Dizier : il y a aussi cet effet d'usure de quelqu'un présent sur cette scène politique depuis 30 ans. C'est vrai aussi pour Jean-Luc Warsmann, comme quoi les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets; mais ce dernier avait de l'avance car il a été réélu la dernière fois bien plus favorablement, et a été très présent pour le Pacte Ardennes. Il a été à la manoeuvre pour ce pacte économique et en a énormément parlé." 

Justement, l'accent a été mis, pour ces deux députés sortants des Ardennes, sur "la prise en compte des difficultés économiques des Ardennes, la défense de la ruralité... À la fin, ils arrivent tous deux à s'extraire du contexte politique ambiant, national, pour se présenter d'abord en défenseurs des Ardennes. Ça veut dire qu'en face, le Rassemblement national, qui arrive avec des candidats moins connus, moins ancrés, parfois même parachutés, trouvent moins de prise auprès de la population locale pour construire un discours qui lui parle."

La proximité ne fait pas tout

Lionel Vuibert aurait très bien pu ne pas être élu, malgré "ses attaches familiales, par l'histoire de son père Michel Vuibert [ancien député, conseiller départemental et régional, et même maire de deux communes différentes; ndlr]. Pour lui, c'est passé de très près. Avec son étiquette clairement de la majorité présidentielle, les choses étaient beaucoup plus délicates malgré son ancrage familial." Et le soutien a minima de Guillaume Maréchal, battu au premier tour, n'a pas entraîné un report de voix vraiment "intégral" vers le candidat macroniste.

"Selon le profil des protagonistes et des candidats du Rassemblement national en face, on voit que c'est plus ou moins facile pour ce dernier. Mais on voit qu'il y a un potentiel. Et si ce n'est pas cette fois-ci, le Rassemblement national est tout près d'obtenir un siège dans les Ardennes." 

L'influence de la plus la plus importante du département, dirigée par Boris Ravignon (LR), a pu jouer pour que "Lionel Vuibert arrive à sauver sa tête. Je crois que ça peut montrer l'influence" du maire de Charleville-Mézières, "qui aujourd'hui domine la vie politique de la capitale ardennaise. Il y a eu un soutien à ce niveau-là, apporté par Boris Ravignon à Lionel Vuibert. Ça pu peser auprès des électeurs, compter à Charleville, et permettre de faire un plein de voix relativement important. Par contre, dans la ruralité, c'est très différent et les choses s'équilibrent beaucoup plus." 

Et après ?

La montée en puissance du Rassemblement national peut varier selon la dimension locale ou nationale des élections. "Ça dépend de quelle échéance on parle. Pour l'élection présidentielle, le mouvement, pour l'instant, semble assez inexorable. Sa montée en puissance est cohérente et régulière dans les Ardennes."

"On le voit sur des élections européennes ou d'autres scrutins à enjeux plus globaux où ils monte en puissance. Même s'il n'a pas obtenu de député, le Rassemblement national a progressé dans les Ardennes, avec des candidats qui ne sont pas forcément les plus performants qu'il ait pu trouver."

Même s'il n'a pas obtenu de député, le Rassemblement national a progressé dans les Ardennes.

Olivier Dupéron, politologue

Mais "d'autres scrutins plus locaux, départementaux et municipaux, ont des positionnement assez différents. Autour par exemple de Boris Ravignon, ou d'autres élus du département qui tiennent des bastions dans le nord ou le sud, avec des étiquettes variées. Pour l'instant, on n'imagine pas le département basculer, au niveau du conseil départemental ou des communes."

"Je pense que les choses vont rester en l'état pendant encore pas mal de temps. On a bien une scission, observée dans d'autres départements, entre les grands scrutins nationaux et européen, et locaux où le positionnement se fait sur des bases différentes." 


Les élections européennes de 2024 seront donc scrutées de près. 

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