Ma France 2022 : "c’est du pragmatisme d’acheter et de manger local", à Dambach-la-Ville dans le Bas-Rhin, les habitants s’adaptent aux mutations de la société

Il y a des territoires qui prennent leur destin en main. A Dambach-la-Ville, petite commune viticole du Bas-Rhin de 2.256 habitants précisément, la présidentielle à venir intéresse beaucoup mais moins que le consommer local, les économies d’énergie et le changement climatique.

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Des vignes à perte de vue. Pour observer la petite ville médiévale de Dambach-la-Ville, il suffit de prendre un peu de hauteur, pourquoi pas du côté de la chapelle Saint-Sébastien, qui, depuis la Révolution française, a la particularité d'appartenir à quelques familles dambachoises. Le bourg, qui compte encore trois portes du XVe siècle, est encerclé de vignobles.

500 hectares, 1/5e de la surface de Dambach-la-Ville, plantés dans ce terroir granitique si particulier qui donne "des vins fins à l’acidité ciselée avec notamment le grand cru du Frankstein", explique Didier Pettermann, originaire du village et troisième génération de vignerons dans le domaine familial fondé en 1928. 25 hectares convertis en bio comme 80% des exploitations viticoles de Dambach-la-Ville, qui est d’ailleurs le plus grand village viticole d’Alsace. 

"Le passage en bio, c’est vraiment une conviction personnelle, confie Didier Pettermann, c’est se mettre à l’écoute du sol, et puis on renouvelle sans cesse nos croyances, c’est un beau challenge". Celui qui est aussi conseiller régional, élu sur la liste de Brigitte Klinkert depuis l’été dernier (c’est son premier mandat) porte haut ses convictions dans l’assemblée du Grand Est. "Il faut redonner du pouvoir aux territoires, pour obtenir des actions rapides et concrètes", martèle-t-il. Des convictions partagées par bon nombre de viticulteurs.

A Dambach-la-Ville, on s'interroge beaucoup sur les questions climatiques

D’ailleurs, tous, ils sont environ 90 exploitants, récupèrent leur marc de raisin, 650 tonnes par an, et le confient à un méthaniseur de Scherwiller, à quelques encablures de là, qui le transforme en biogaz. Des haies sont plantées dans le vignoble pour protéger et développer la biodiversité. Les jeunes ont même monté une CUMA, une coopérative d’utilisation du matériel agricole. Objectif : construire une halle commune, qui, à terme, sera recouverte de panneaux photovoltaïques, pour acheter du matériel ensemble qui servira à nettoyer leurs pulvérisateurs.

"On est en bio mais pour lutter contre le mildiou notamment on doit avoir recours au cuivre et au soufre, explique Maxime Woerly, dont la famille possède des vignes depuis de nombreuses générations. Avec cette halle, on aimerait réduire l’impact de nos pulvérisateurs sur l’environnement. On réfléchit beaucoup à nos méthodes, on aimerait vraiment faire toujours mieux en terme d’environnement. Après on est rattrapé par le réchauffement climatique", constate le volubile trentenaire, papa de deux jeunes enfants. "Du temps de mon grand-père, il y a 70 ans, on était à des taux d’alcool autour de 11 degrés, aujourd’hui on est à 13,6. Alors on s’interroge, comment s’adapter ? Des pieds de vigne plus résistants ? Mais alors quelle attache dans ce terroir ?"

Des initiatives encouragées par la municipalité. Claude Hauller est le maire de Dambach-la-Ville, réélu avec 100% des suffrages exprimés dès le premier tour, il entame son deuxième mandat, avec un plébiscite, c’est le moins que l’on puisse dire, de ses administrés. Vigneron lui aussi, de père en fils depuis le milieu du XVIIIe siècle, il croit également en la force du collectif. Alors quand il a été question de rénover l’école du village, qui en avait bien besoin, il a convaincu tout le monde que la nouvelle chaudière devait être biomasse.

Autrement dit, elle fonctionne au bois. Et ça tombe bien, la forêt qui s’étend sur 1375 hectares, soit la moitié du ban communal regorge de bois mort utilisable pour la chaudière. Les vieux ceps de vigne sont également récupérés comme bois de chauffage. Et pour stocker ce bois réduit en copeaux, la mairie a fait construire une vaste halle recouverte de panneaux photovoltaïques.

"Ces initiatives sont d’autant plus urgentes que le coût de l’énergie ne cesse de grimper, justifie Claude Hauller. Grâce à cette chaudière, on couvre les besoins de six grands bâtiments et nous avons divisé par trois voire par quatre la facture de chauffage. Le prochain objectif sera d’équiper les autres bâtiments municipaux, mairie, salle des fêtes d’une chaudière biomasse. C’est une vraie prise de conscience qui nous permet de réaliser des cercles vertueux. Par exemple, les copeaux de bois nous servent aussi au paillage de nos espaces verts, en partie grâce auquel nous venons d’obtenir notre 4e libellule (dispositif gouvernemental qui récompense les communes dites natures, attentives à la biodiversité, NDLR)", se réjouit le fringant quinquagénaire.

Une politique qui semble séduire et attirer puisqu’un nouveau lotissement est sorti de terre à l’entrée du village et que la population de Dambach-la-Ville a augmenté de 10% en 10 ans. "Bon, on ne pourra pas accueillir beaucoup plus de monde, tempère Claude Hauller, dont la démarche est à son image, dynamique et vivifiante. Le ban communal n’est pas extensible à l’infini et nous avons peu de dents creuses". En tout cas, l’école maternelle a pu ouvrir une classe supplémentaire et 90 enfants sont accueillis chaque jour à la cantine.

Un marché hebdomadaire et une volonté collective de consommer local

Des familles qui fréquentent le marché historique du mercredi matin. Pas très grand, il compte moins d’une dizaine de stands, mais très apprécié. "On vient là parce que c’est super bon de manger local ! Je sais d’où viennent les produits, ça permet aussi de voir du monde", explique la mine réjouie sous son masque, Terence, la trentaine, papa depuis un an. Et ces deux copines retraitées de renchérir. "C’est moins cher et de meilleure qualité, on sait ce qu’on achète et au moins on sait que ce qu’on paie revient directement aux producteurs."

Un volailler d’Epfig, un fromager de Stozheim, un maraîcher de Sundhouse et un même vendeur de mauricettes se partagent la place du marché qui porte bien son nom. Et justement côté producteurs, on a constaté comme partout une augmentation de la clientèle au moment du confinement en 2020.

"Avec le covid, on sent que les gens veulent consommer du local, raconte volontiers Clément Blortz, le maraîcher. Et puis ils sont à l’air libre, il y a moins de risques que dans les grandes surfaces d’attraper le virus. On a eu en effet un afflux de clientèle, même si ça s’est calmé, certains ont repris leurs vieilles habitudes." Et d’ajouter que grâce aux marchés, il s’est débarrassé de la grande distribution. "Ce sont des rouleaux compresseurs, avec la concurrence des pays étrangers, ils nous proposent des tarifs non rentables pour nous, par exemple une année on a préféré sacrifier notre parcelle de persil, qui nous coûtait plus cher de récolter que de détruire, je suis content de ne plus travailler avec eux. »

La plupart ira voter, c'est certain, pour la présidentielle

Malgré le froid hivernal de ce matin-là, il est vrai que le petit marché ne désemplit pas. Nous y retrouvons Stéphanie Gander, la femme de Didier Pettermann, viticulteur et conseiller régional. "Je viens depuis que je suis maman, je ne travaille plus qu’à 80%, j’ai donc du temps le mercredi, sourit-elle en montrant à Victor, deux ans, les poissons de la fontaine de la place. "C’est juste du pragmatisme de manger et d’acheter local, nos achats sont nos emplois, il faut s’habituer à ne pas manger de tomates toute l’année, c’est tout. Ce qu’il faut viser c’est l’autosuffisance alimentaire, c’est toute une transition écologique et sociétale qui est en question en ce moment", assène son mari.

Et à la question, êtes-vous intéressés par la présidentielle à venir ? Tous l’assurent, oui, bien sûr, et oui ils iront voter. En revanche, la question du consommer local et des circuits courts, n’est pour eux, pas au cœur des débats et n’influencera pas leur vote. Ce papi de 58 ans, nous confie d’ailleurs que "cette année c’est compliqué, je vais sans doute privilégier le vote utile pour faire barrage à l’extrême-droite". Et cette habitante de renchérir, "vous savez, c’est pas le président qui peut grand-chose pour nos territoires, c’est nous qui devons nous bouger, ce sont les bénévoles qui font vivre les choses." 

Même son de cloche pour Yvette, native du village. "Oui la présidentielle m’intéresse, même si les préoccupations environnementales ne sont, hélas, pas au cœur des propositions. D’ailleurs si je peux en faire une, ajoute-t-elle malicieuse, ce serait que l’on puisse trouver du bio sur le marché du village ».

Labonal, des chaussettes depuis près d'un siècle

Sur son nez, un masque très local, puisqu’il a été confectionné à deux pas de là, dans les ateliers de Labonal, la fabrique de chaussettes, ancien fleuron industriel de Dambach-la-Ville. L’histoire de La BONneterie ALsacienne, rebaptisée très vite Labonal, est une longue histoire, tumultueuse et riche. D'ailleurs, "les habitants y tiennent sentimentalement, c'est une véritable institution dans le village", souligne Claude Hauller.

Une centaine de salariés travaillent aujourd’hui sur le site, le même depuis la naissance de l’entreprise en 1924, un site qui a compté jusqu'à 1.000 employés au plus fort de l'activité. Depuis près d’un siècle, on y tisse la même chose : des chaussettes. Un savoir-faire ancestral qui a bien failli être victime de la mondialisation. C’était compter sans la foi indélébile de l’un de ses salariés dans la fabrication et la consommation de produits locaux.

Si Dominique Malfait est aujourd’hui le directeur de Labonal, cela n’a pas toujours été le cas. Embauché en 1985 alors qu’il sort de l’école de textile de Mulhouse, le jeune ingénieur connaît la reprise de la marque par Kindy. A la fin des années 1990, l'enseigne décide de fermer le site de Dambach-la-Ville. "Les actionnaires cherchaient alors un repreneur pour faire le sale boulot, j’ai candidaté, raconte Dominique Malfait. Je n’étais pas en adéquation avec la stratégie de délocaliser car on perdait notre savoir-faire, déjà à l’époque je prônais le made in France". En 1999, le voilà donc directeur de Labonal, qui est finalement sauvé. S’ensuivent de belles années avant d’autres plus difficiles.

Un plan de redressement a été mis en place en 2017, mais aujourd’hui, l’entreprise compte toujours une centaine de salariés et continue de fabriquer localement. Tout en cherchant de nouvelles idées. 

Innover, quoiqu'il en coûte

Pour l’instant, deux marques sont commercialisées : Labonal et la Franchie. Pour cette dernière, un partenariat existe d’ailleurs avec des bergers mosellans et alsaciens pour racheter la laine de leurs moutons. "C’est un tout petit marché, notre fil vient principalement d’Italie et d’Allemagne, mais faute de débouchés, les bergers en venaient à brûler leur laine !"

L'actualité aussi inspire les innovations. En 2020, Labonal se lance dans la confection de masques en tissu à grande échelle. La manufacture en vendra finalement 600.000. Un peu de beurre dans les épinards au moment du confinement mais la production est finalement arrêtée. "On avait réfléchi à des masques hyper protecteurs mais ils ont été jugés trop compliqués alors on a laissé tomber". Pas toujours probantes les nouvelles idées mais pas question d'arrêter de se renouveler pour autant.

Une petite nouvelle devrait poindre le bout de sa chaussette en mars : une marque de sport. "On réfléchit aussi sur nos locaux, ajoute Dominique Malfait. On doit les rénover et donc pourquoi pas rendre accessible nos ateliers au public pour faire venir du tourisme industriel. Qui dit touristes sur place dit acheteurs potentiels. Et puis je tenais vraiment à maintenir la production sur le site historique, qui est très grand, trop grand. Pourquoi pas mettre en place un musée sur notre histoire et créer aussi des espaces de co-working, accueillir des start-ups ?"

Des Dambachois qui décidément ne manquent pas d'idées

Une entreprise en mouvement perpétuel, à l’image du territoire finalement. Un peu plus de 2.000 habitants et au moins une dizaine de commerces qui tournent, à une époque où les cœurs de village ne comptent plus les fermetures de services et de boutiques.

Dambach-la-Ville a même failli accueillir le géant Amazon qui avait des projets de construction de hangars sur le ban communal. 1.000 emplois à la clé. "Bon, si déjà il y en avait eu 6 ou 700, on était preneurs, explique monsieur le maire. Seulement le groupe a laissé tomber probablement en raison de casse-tête administratif, on n'a pas eu des masses d'infos finalement". Et sur les réfractaires au projet, des manifestations ont même eu lieu, Claude Hauller précise : "ce sont surtout des associations environnementales, à ce que je sais les habitants, eux étaient plutôt favorables".

A défaut d'une plateforme logistique, Dambach-la-Ville compte, et ce n'est pas banal, un torréfacteur. Frédéric Wurry est informaticien et grand amateur de café depuis toujours. "J’avais vraiment envie de partager mon goût pour cette boisson avec les autres". Alors il torréfie et vend sur les marchés sa marque qu'il a appelée les cafés du Bernstein, en hommage au château qui surplombe le village. Peut-être aura-t-il un espace un jour dans les locaux de Labonal avec d’autres initiatives locales ?

Les habitants eux-mêmes n’expliquent pas pourquoi le commerce parvient à se maintenir à Dambach-la-Ville et pas ailleurs. "C'est une bonne question, répondent-ils inlassablement. Aucune idée!" La même réponse d'ailleurs pour beaucoup d'entre eux quant à leur vote pour l'élection présidentielle. Une indécision qui se limite à la politique parce que pour le reste, les Dambachois savent où ils vont.

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