Nils Gillain a écrit une novella horrifique, "Unité 6", suivie d'un roman, "Désaliéné : certaines folies ne meurent jamais". Leur action se passe dans une unité psychiatrique que l'auteur connaît bien et décrit avec justesse et rigueur, loin des clichés, car il y a travaillé. Avant que dans ses récits, l'horreur ne prenne le dessus.
Un manoir grinçant, un cimetière brumeux, un asile psychiatrique. Ces endroits sont régulièrement le théâtre des pires récits d'horreurs, et l'on peut s'y sentir mal à l'aise même dans des conditions normales.
C'est justement une unité psychiatrique inspirée de la réalité qui a été choisie par Nils Gillain, un récent écrivain. Il se trouve actuellement en reconversion professionnelle, après des années passées en institution psychiatrique (au travail, pas en séjour).
Ce passage a fortement inspiré cet ancien infirmier en psychiatrie, qui se dit "épuisé" après avoir exercé cinq années durant. Et a infusé dans l'intrigue de sa novella auto-éditée, Unité 6. Celle-ci était citée par Philippe Soares, dirigeant du Dark Eyes Shop, la boutique d'horreur de Reims (Marne), lorsqu'il a donné ses suggestions de films et de livres pour Halloween.
À l'occasion du Frisson festival, premier festival littéraire français consacré à la littérature horrifique, on a appris la sortie de la suite. C'était les samedi 26 et dimanche 27 octobre, pour mémoire. Le roman, bien plus étoffé qu'Unité 6, se nomme Désaliéné : certaines folies ne meurent jamais.
L'asile n'est pas fait pour accueillir les possédés
L'histoire de la novella : une banale institution qui va recevoir une dame visiblement possédée, aux pulsions potentiellement meurtrières. Et la suite : des apprentis vidéastes à la recherche de frisson, et qui vont le trouver - hélas - en se rendant sur les lieux du drame du premier opus, toujours cette unité psychiatrique. On en tremble.
Pourquoi l'action se déroule-t-elle en hôpital psychiatrique (ça aurait aussi pu être sur le Titanic) ? Nils Gillain, interrogé par France 3 Champagne-Ardenne, apporte la réponse. "Il y a beaucoup de clichés véhiculés sur la psychiatrie dans les médias et la culture populaire. J'avais envie de leur tordre un peu le cou, en racontant dans les premières pages le vrai quotidien d'un infirmier en psychiatrie."
Il aime donc faire peur, et proposer un environnement crédible pour ce faire. "C'était aussi l'occasion, par un aspect plus paranormal, de faire l'allégorie d'un métier que je trouvais déjà fatigant. Et fatigué : c'est une profession qui subit beaucoup l'effondrement du système public. Ce serait mentir que de dire que la santé n'est pas en souffrance dans notre pays." Un documentaire de Public Sénat s'était d'ailleurs penché sur le phénomène, alarmant (voir aussi ci-dessous).
"Pour moi, écrire, c'est transmettre des émotions. Et selon moi, la peur peut être transmise facilement. C'est lié à notre intégrité, ça a un pouvoir cathartique."
"On peut gérer des traumatismes qu'on a vécus avec la peur : moi, j'ai ressenti de la peur à mon travail, j'ai vu des gens avoir peur, et c'était peut-être le meilleur moyen pour témoigner de ce que j'avais vu et ressenti." Enfant, il fut marqué par la nouvelle Le Horla, de Maupassant, véritable descente aux enfers psychologiques pour le narrateur, et donc le lecteur (peut aussi être lu en ligne).
Une histoire dans un asile, et l'histoire de l'asile
Mais sa passion reste "la psychiatrie. Et son histoire." Il tient même une chaîne Youtube consacrée à ce sujet, racontant les méfaits de la lobotomie, par exemple. Ou, plus récemment, les liens insoupçonnés entre le monde de l'exorcisme et la psychiatrie (voir ci-dessous).
Une passion telle qu'il se retrouve à avoir "un projet de monter un musée sur l'histoire de la psychiatrie, avec d'autres infirmiers. On est en train de voir comment on va faire. On aimerait qu'il soit dans la Marne."
C'est la commune de Fismes (Marne), à la frontière du département picard de l'Aisne, qui est envisagée. Laquelle doit aussi accueillir un musée sur Albert Uderzo, créateur des bandes dessinées (BD) Astérix et Obélix. Cependant, il reste fort à faire avant de voir ce projet de musée psychiatrique concrétisé. "On en est aux balbutiements." D'ailleurs, "certains hôpitaux psychiatriques ont déjà leur musée. On est une grande famille : on demande à droite à gauche comment ils ont fait."
Mais la localisation fait sens. "L'hôpital Pierre Briquet de Châlons a une histoire", débutée en 1834. "Comme histoire marquante, on a aussi Prémontré, dans l'Aisne", avec 900 ans d'histoire au sein d'une ancienne abbaye.
"Je pense que c'est un sujet qui peut intéresser le public. De mon expérience, quand je disais aux gens que je travaillais en psychiatrie, il y avait à la fois du recul, car la santé mentale, ça touche à l'intimité des gens, et en même temps une certaine fascination. Au point où je finissais par ne plus dire où je travaillais." Il prend l'exemple du film Le Bal des folles, grand succès critique réalisé par Mélanie Laurent. "Ça parle [du docteur] Charcot et de la manière ignoble dont il a traité ces femmes pour démontrer ses idées." (voir la bande-annonce ci-dessous).
"Le traitement des femmes, ou la lobotomie" sont mis en lumière pour présenter "la face sombre de l'histoire de la psychiatrie". Il évoque aussi "l'abandon des asiles pendant la Première Guerre mondiale, qui a mené à 45 000 morts", ce qui fut justement le cas à Prémontré.
"Et pour avoir été du milieu... Je sais qu'on en discute entre nous, de ces méthodes anciennes. Et qu'on se dit que c'est important de savoir d'où on vient pour éviter de reproduire les mêmes erreurs." Car des dérives existent encore... y compris à Châlons. Également, "on a encore certains patients qui ont connu l'époque des camisoles de force".
C'est important de savoir d'où on vient pour éviter de reproduire les mêmes erreurs.
Nils Gillain, auteur de deux oeuvres horrifiques se déroulant dans une unité psychiatrique
"Il y a une volonté, aussi bien des soignants que du public de regarder les choses sans concession." Nils Gillain pense aussi qu'il est difficile d'évaluer si les méthodes actuelles feront polémique dans le futur. "Ça touche à la compréhension scientifique des mécanismes à l'œuvre dans la folie."
"Mais c'est une réflexion qu'on se fait souvent. Peut-être qu'on se rendra compte dans quelques dizaines d'années qu'on avait complètement tort. Je pense qu'aujourd'hui, on n'a plus de méthode qui paraîtrait barbare... mis à part peut-être les électrochocs, qui sont très encadrés aujourd'hui mais qui restent très choquants à voir..."
Inspiré de lieux réels
"L'hôpital Pinel, c'est un hôpital fictionnel, évidemment. Mais comme plein d'hôpitaux, il existe depuis le XVe siècle, a été une abbaye... Comme Trémontré, par exemple."
"Son nom vient de Philippe Pinel, un aliéniste célèbre du XVIIIe siècle, connu notamment pour avoir été l'un des premiers à prendre fait et cause pour les aliénés... malgré beaucoup de pratique qu'on pourrait qualifier de barbares. Il a appelé à créer des centres spécialisés pour la maladie mentale, et ne plus mélanger, comme c'était le cas avant, les aliénés avec les indigents et les criminels. C'est donc un grand nom dans l'histoire de la psychiatrie française... et internationale, je pense."
Ainsi, "à Reims, il y a un CMP Pinel judiciaire" (un centre médico-psychologique). Pour une personne qui aurait travaillé à l'hôpital psychiatrique Pierre Briquet de Châlons, les lieux pourront avoir une vague ressemblance. "Au niveau de l'architecture. Mais j'ai modifié tous les noms et rajouté des détails." (voir sur la carte ci-dessous).
À cause de ce nom, l'ouvrage a connu un succès inattendu au Canada. "J'ai eu beaucoup de chance. J'ai arrêté de compter après avoir dépassé les 3 000 ventes, pour Unité 6. Je pense que ça vient du fait que l'hôpital s'appelle Pinel, et c'est un institut célèbre de Montréal. Ça, je ne le savais pas... Je fais donc la majorité de mes ventes... au Québec."
Le succès est là
Depuis le Canada ou en France, beaucoup sont en tout cas "venus me voir car ils attendaient la suite avec impatience. J'ai aussi pas mal d'infirmiers, en psychiatrie ou généraux, qui m'ont dit que ça leur avait plu", que c'était authentique par rapport à leur expérience (les meurtres diaboliques en moins, évidemment).
"Il était prévu que l'arc de l'hôpital Pinel soit en trois ouvrages. Le troisième, Festin, sera gratuit : les chiffres ne sont pas une obsession pour moi, ce sont plutôt les retours. Déjà, pour Unité 6, j'avais fait en sorte de le vendre le moins cher possible."
Ce troisième opus "sera publié en décembre sur mon site. Ce sera un court slasher sur le thème de Noël", et toujours en lien avec la saga, bien sûr. Pour rappel, un slasher est un film (ou histoire) mettant en scène un tueur masqué.
De plus, il ne court pas les salons. "Aujourd'hui, le succès vient pas mal des réseaux sociaux." D'ailleurs, sa première séance de dédicaces aura lieu à Reims, le samedi 30 novembre 2024, à 13h00 (voir annonce Facebook ci-dessous).
Pour les fans de l'auteur, ce sera un moment privilégié après le Frisson Festival. Car Nils Gillain n'écrit pas que sur les institutions psychiatriques.
Les aveux d'un légiste meurtrier
Son premier ouvrage était le tome numéro un d'une saga fantasy et steampunk, Le Clan (titre de l'opus : La Conjuration des Nixes). Il s'en est éloigné, mais à l'époque, c'était un "rêve" de pouvoir l'écrire, lui qui avait fait le vœu de sortir un bouquin pour son trentième anniversaire, après avoir vécu des périodes pas forcément faciles. "J'avais dressé une liste de tout ce que je voulais faire avant mes 30 ans, et c'était tout en haut." Mission accomplie, comme on dit.
Il a ensuite versé dans l'horreur, avec Unité 6. Justement, durant l'été 2024, il a publié un nouveau roman. Celui-ci, Fosse Confession, traite du parcours d'un médecin légiste... et tueur en série. Il fallait l'imaginer.
Si le légiste n'était pas du bon côté de la loi, il serait extrêmement dangereux.
Nils Gillain, auteur d'horreur bien inspiré
"C'est un thriller horrifique. Ça m'est venu en écoutant les conférences de Philippe Boxho, un médecin légiste belge." Très célèbre dans le milieu. "Et je me suis dit que si le légiste n'était pas du bon côté de la loi, il serait extrêmement dangereux, vu ses connaissances..."
Un carton pour le festival de littérature horrifique
Quant à Désaliéné, il est sorti à l'occasion du Frisson Festival, cofondé par Gillain et Soares notamment. "Le festival est né en 2023, et ça marche très bien." Il a gagné 1 000 visites en une seule année. Il avait lieu au grand hippodrome de Reims, et s'est conclu par un spectacle pyrotechnique.
"La grande majorité des exposants était ravie. Ça a été une année compliquée pour tout le monde, en termes financiers, car les gens ont moins de moyens en ce moment. Beaucoup d'auteurs ont du mal à vendre, et ont pu se rattraper grâce au Frisson avec énormément de ventes et une rencontre de beaucoup de public."
Les livres de Nils Gillain ont été auto-édités via Amazon, où il est possible de les commander. La boutique The Dark Eyes Shop de Philippe Soares les vend également, et vous aurez les conseils et recommandations en bonus, pour le même prix qu'en ligne.