"Clovis a été baptisé ici" : un photographe dévoile ce lieu secret interdit d'accès

Vincent Zénon Rigaud a eu une occasion fort rare : s'enfoncer dans les entrelacs de la cathédrale de Reims (Marne), et photographier le baptistère qui aurait accueilli Clovis, roi des Francs. Il raconte les coulisses.

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Vincent Zénon Rigaud (Zénon est son deuxième prénom) est un photographe professionnel. Il fait de la prestation pour les tiers, comme beaucoup; mais aussi, et c'est là sa grande passion, des créations où il décide de tout, de A à Z, tel un artiste. Quand il créé, il se dit "auteur-photographe". On lui doit notamment des vues avant-après de Reims (Marne).

Le matin du lundi 30 septembre 2024, date de cette interview, il confiait à France 3 Champagne-Ardenne avoir réalisé une de ces prestations : il devait photographier les élèves de la Maîtrise de Reims, l'une des plus anciennes institutions de la ville (née en 1285, soit avant la fin de la construction de la cathédrale). Donc des clichés en lien avec cet édifice, objet d'un grand intérêt pour ce dernier quand il revêt sa casquette d'auteur.

"Dans ma démarche, je m'intéresse au patrimoine. J'ai choisi le patrimoine culturel et historique. Et religieux, ça va ensemble, c'est le sujet que j'ai choisi." De quoi mêler "architecture et art en général"

Tout le monde n'y va pas

C'est ainsi qu'il s'est retrouvé dans un lieu normalement interdit d'accès. "C'est à cette occasion que j'ai pu visiter le baptistère." Le dimanche 15 septembre 2024, il a révélé le cliché de ce lieu rarement visible. L'endroit où aurait été sacré Clovis, le roi des Francs (et non pas le premier roi de France, qui n'existait pas à l'époque). 

"Des photographies de la cathédrale de Reims, j'en prends presque depuis que je suis né..." Il a 43 ans. France 3 Champagne-Ardenne avait déjà consacré un article à son aurore boréale, photographiée pile au bon moment au-dessus de l'auguste cathédrale. Après ça, plusieurs personnes voulant acquérir une copie physique du remarquable cliché s'étaient rendues à la galerie Parallèle, sur l'impasse Talleyrand, où il lui arrive d'exposer et vendre à la demande. 

Le jour de sa visite, en avril 2024, et avant de descendre, il prend quelques images depuis le triforium, un lieu en hauteur à l'intérieur de la cathédrale. "On voit bien la perspective, les rosaces de la façade." (voir publication Facebook ci-dessous).

"Cette visite a été conquise de haute-lutte. Pour pouvoir accéder au baptistère, avec un autre camarade photographe, on a fait des demandes officielles." En exclusivité, voilà toutes les institutions sollicitées durant de "longs mois" pour obtenir le précieux sésame :

  • Architectes des bâtiments de France (ABF)
  • unité départementale de l'architecture et du patrimoine (Udap)
  • direction régionale des affaires culturelles (Drac)
  • Centre des monuments nationaux (CMN)
  • archidiocèse de Reims

Chaque instance avait donné des règles devant impérativement être respectées. Comprenant notamment le fait d'éviter de déambuler en plein milieu de la messe, respecter la consécration des chapelles, et l'interdiction de paraître sur les échafaudages (sinon il aurait fallu encore plus de garanties et de règlementations à respecter). Un petit bout de cathédrale est donc resté inaccessible, mais Vincent Zénon Rigaud en a eu plein les mirettes, donc il ne se plaint pas trop.

L'avantage pour les institutions, c'est qu'elles ont pu récupérer certains clichés de qualité professionnelle pour leurs bases de données. D'ailleurs, certaines images du photographe figurent sur la très officielle palissade des travaux du tympan central à l'avant de la cathédrale.  

Accès règlementé

Michel Luka, un agent de l'Udap, "très sympa", était présent pour "encadrer la visite" (et plus prosaïquement, éviter que les photographes ne se perdent dans les souterrains). "Le temps de mettre tout le monde d'accord, c'était assez compliqué." Mais ensuite, "on a eu la chance d'avoir une visite complète. On est allé tout en haut; puis on est descendu tout en bas." 

In fine, "sur le plan photographique, ça n'envoie pas du rêve : elle n'a pas d'intérêt artistique, elle est quasiment brute. Elle n'est pas très impressionnante. J'ai posé mon trépied, appuyé sur un bouton, et voilà."

Mais il faut voir au-delà. "La valeur de cette photo, outre le savoir-faire du photographe, c'est la difficulté d'avoir les autorisations légales pour accéder à ces endroits. Cela donne de la valeur en plus au résultat final. Ce n'est pas donné à tout le monde de pouvoir aller se promener à cet endroit."

Le niveau de contrôle a clairement monté d'un cran.

Vincent Zénon Rigaud, auteur-photographe

Certes, "cela freine la production d'images sur le patrimoine", mais l'artiste comprend bien que "le patrimoine est menacé et que certains endroits ne peuvent pas être ouverts à tout public. Je ne vous cache pas qu'on a senti une grosse différence", dans les démarches, "entre avant l'incendie de Notre-Dame [de Paris] et après". D'autant qu'à Reims, la cathédrale a subi assez avec l'incendie de 1914, inutile d'en rajouter. "Le niveau de contrôle a clairement monté d'un cran."

Il évoque même le sort de certains organistes avec qui il est en contact. "Dans certaines églises et cathédrales, on commence à leur compliquer l'accès à leur orgue." Une tendance à "contrôler tout le monde qui entre et sort" a donc émergé, "et ce n'est pas évident. Une cathédrale, ce n'est pas une banque ou un château-fort. C'est très difficile à sécuriser : il y a plein d'échafaudages et d'accès : à moins de mettre un gendarme à chaque entrée, je ne vois pas ce qu'on peut faire."

"Quand on creuse un peu sur Internet, on se rend vite compte qu'il y a beaucoup de visites clandestines." En témoignent aussi les articles de France 3 Champagne-Ardenne : un SDF retrouvé en train de "faire le ménage" au niveau des gargouilles, ou quatre galopins qui ont grimpé sur les contreforts puis au sommet des tours. Il ne faudrait pas qu'un de ces visiteurs impromptus ait envie de s'allumer une cigarette, craint le photographe (ou tombe et nécessite une intervention des pompiers... ou du médecin légiste). 

On ne voit rien et on se cogne

Pour quitter un peu les hauteurs cathédrales et replonger six pieds sous terre, le photographe amoureux du patrimoine nous révèle qu'"une fois qu'on est rentré dans les souterrains, on est complètement désorienté. Moi, c'était la première fois de ma vie."

"On passe sous la crypte pour y accéder." Il ne précisera pas le cheminement exact pour parvenir à l'emplacement, mais il précise que "dans la nef, il y a une plaque où il est gravé que Saint-Remi a ici baptisé Clovis, roi des Francs. D'après ce qu'on m'a dit, le baptistère serait à peu près en-dessous." (voir publication Facebook ci-dessous, qui fait volontairement beaucoup penser à la première scène défilante des Star Wars).

L'envie de partager ce cliché rare au grand-public lui est venu en voyant faire de même Henri d'Anselme, qui s'est illustré lors de l'attaque au couteau d'Annecy. Ce dernier est passé visiter la cathédrale en août 2023, y compris le baptistère, qu'il a très brièvement filmé. Le photographe s'est interrogé en voyant les commentaires dithyrambiques reçus par la vidéo du jeune homme, au sujet du baptistère.

"Les gens disaient que ça devait être magnifique et qu'ils auraient adoré le voir. Mais ce n'est vraiment pas immersif. Ce n'est rien d'autre que de l'archéologie. C'était peut-être fantastique par le passé, mais maintenant, c'est une cave poussiéreuse. On est loin de l'Arche de l'alliance dans Indiana Jones; ça n'en met pas plein les yeux, dans cette configuration."

Il est même difficile de se faire une idée d'à quoi ressemblait le lieu à l'époque, car l'édification des fondations de la cathédrale est passée par là. "Par rapport aux autres baptistères qu'ils ont pu retrouver ailleurs, ça avait souvent une forme octogonale. Et vu sa taille, je pense qu'on pourrait facilement y tenir à douze. Mais on n'en voit qu'un quart, le reste a dû être détruit : selon les archéologues, il nous en reste une petite tranche entre deux murs de fondation."

Si Clovis a bien été baptisé à Reims, c'est ici qu'il l'a été.

Vincent Zénon Rigaud, photographe professionnel et amateur d'histoire

"Ils sont sûrs que c'était une baignoire, car il y a un relevé d'étanchéité où on pouvait poser un carrelage, et ils ont retrouvé une canalisation. Si Clovis a bien été baptisé à Reims, c'est ici qu'il l'a été. Je n'ai pas osé marcher dessus. Il y avait des planches pour circuler au-dessus. Je me suis juste permis d'y poser la main. C'est quelque chose d'extrêmement sacré pour énormément de monde, alors ça mérite le plus grand respect. C'est comme si on était sur le maître-autel de la cathédrale. "

En plus, ce baptistère coïncidence avec les vestiges d'un ancien complexe thermal romain anté-chrétien, sous et à côté de la cathédrale (voir les tréfonds de la cathédrale dans les images d'archives de France 3 disponibles ci-dessous).

durée de la vidéo : 00h00mn20s
Fouilles autour du baptistère, sous la cathédrale, en 1996. ©Grégoire Schott, France Télévisions - Ina

Cependant, le lieu peut émouvoir, car il est témoin direct d'un évènement historique, et nous ancre dans cette réalité. "On peut voir qu'il y avait la place pour tremper un certain nombre de personnes, et les baptiser à l'époque de Clovis."

Mais "c'est un endroit qu'il est impossible d'ouvrir au public. On ne peut pas risquer la moindre dégradation dessus, comme j'ai pu en voir ailleurs." Il cite les édifices ouverts lors des Journées du patrimoine où l'on retrouve après coup des inscriptions gravées dans les pierres par les visiteurs.

Il ajoute qu'il s'est évidemment "cogné la tête contre une poutre" : pas très touristique-friendly. "On est tout le temps penché, c'est très bras de plafond, un vrai labyrinthe. Tout seul, je me serais perdu, c'est clair." (périple sur la vidéo Instagram ci-dessous)

Le lieu est décrit comme "propre" (nonobstant la poussière), puisque très rarement visité. Un câblage lumineux a été mis en place pour qu'on puisse y voir quelque chose. "C'est bien balisé, il y a des planches et un interrupteur. Mais il ne faut pas de coupure de courant, sinon on se perd. Mais ce n'est pas la jungle", fait observer Vincent Zénon Rigaud.

Un lieu d'histoire (mais on ne sait pas quand)

Au passage, il rappelle bien "ne pas être historien, mais seulement photographe. Parfois, je photographie quelque chose, et après je vais ouvrir les livres pour voir ce que j'ai fait. Ou des fois, c'est l'inverse : je découvre un truc dans les livres, et après je vais le prendre en photo."

"Mais je ne me substitue pas au discours d'historiens spécialistes du sujet." C'est important de le souligner, car le roman national s'est abondamment emparé de Clovis et de son baptême, alors même qu'on ne sait pas précisément en quelle année il a eu lieu (lire le fil de tweets ci-dessous).

Il avance qu'à l'époque, le baptistère était à l'extérieur de la cathédrale, l'église d'origine étant bien plus petite que ce qu'on y trouve aujourd'hui. "Pour rentrer, le passage obligé était le baptême, on ne rentrait pas sans être baptisé chrétien. C'est pour ça qu'à l'époque, c'est à l'extérieur. Mais les cathédrales successives se sont construites plus grandes, et l'emplacement supposé du baptistère qu'on aurait retrouvé se trouve à l'intérieur, dans les sous-sols, au niveau de la nef." 

Il ajoute que lors de travaux à l'extérieur, une sorte de construction cylindrique a été mise au jour, et vue comme le baptistère par certaines personnes. "Mais c'était plutôt un puits. On aurait eu du mal à y faire tenir un bonhomme." 

Le fameux baptême a inspiré la cérémonie du sacre, qui allait concerner les monarques (Mérovingiens, Robertiens, Capétiens, Valois, Bourbons...) jusqu'à Charles X en 1825. Ce qui inspire une réflexion rigolote au photographe. "Actuellement, il y a des travaux à Reims : on ouvre une Voie des Sacres. On a juste à côté le palais du Tau, qui va devenir le nouveau musée des Sacres... Tout ça parce qu'il y a 1 500 ans, il y a eu le baptême de Clovis."

Il s'amuse, comme dans sa publication Facebook écrite avec tendresse et ironie, de voir que "depuis une dizaine d'années, tout à Reims est mis à la sauce des sacres. On a la plomberie des Sacres, la charcuterie des Sacres. C'est notre spécificité locale, c'est comme les biscuits roses. L'ironie, c'est qu'il n'y a plus de sacres, maintenant... Mais au-delà de la majesté de la cathédrale, c'est ce qu'on a à offrir aux visiteurs." 

Une idée connectée

Pour finir, Vincent Zénon Rigaud a une proposition à faire, soufflée sur son Linkedin. "Qu'on installe une livecam [webcam en direct; ndlr]. Car ça suscite énormément de curiosité auprès des gens. On en a déjà plein pour voir la météo à Acapulco" ou la foule dans les rues de New York, "pour voyager partout dans le monde. Cela permettrait d'y accéder... sans y accéder; tout en soulignant son importance."

Alors pourquoi pas ? "On parle de la racine la plus profonde de la cathédrale, un lieu où s'est écrite l'histoire de France. Il y a un poids historique, ancestral, dans cet endroit. Une livecam pour montrer en permanence cet endroit, je trouve [ça] absolument génial." Pas sûr que les Monuments historiques et l'archevêché souscrivent à l'idée, cependant...

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