Le Salon de l'agriculture bat son plein jusqu'au 3 mars. Après une ouverture mouvementée, l'événement se poursuit dans une ambiance tendue. L'occasion pour des éleveurs de Picardie de partager leurs messages avec le grand public.
Parmi les 1 000 exposants et 4 000 animaux réunis au Salon de l'agriculture, des éleveurs picards présentent leurs vaches et moutons lors de cet événement dont l'ambiance, cette année, est pour le moins particulière.
"Un truc que je n'avais jamais vu en quarante ans de salon, ce sont des CRS avec les boucliers, des lacrymogènes, s'étonne Jean-Luc Pruvot, éleveur laitier dans l'Aisne et président d'une marque de lait équitable. Je pense qu'il savait qu'il y avait un mouvement qui allait se préparer. J'espère qu'ils ont compris la colère du monde agricole. Je ne suis pas sûr."
Un salon très politique
Samedi 24 février, des heurts ont eu lieu en marge de la visite présidentielle. Le salon a réellement commencé à partir de 14 heures, "une catastrophe pour certains stands", regrette Jean-Luc Pruvot.
"C'était honteux, les éleveurs n'avaient plus le droit d'accéder à leurs bêtes à cause de monsieur le Président, constate Alban Passet, qui élève des moutons Suffolk dans l'Aisne. Ce n'est pas le lieu pour débattre de tout ça. On est là pour donner une image au grand public, faire voir ce que l'on sait faire. Pas pour faire de la politique. J'ai trouvé ça déplacé."
Car l'objectif de ce salon est avant tout commercial : les agriculteurs s'y rendent pour valoriser leur travail et convaincre de nouveaux clients. Mais, contexte oblige, les échanges avec le public sont moins neutres que les années précédentes.
Je suis double actif, car je n'arrive pas à vivre de mes bêtes. C'est mon boulot à côté qui vient fournir des revenus pour la ferme
Alban PassetÉleveur ovin dans l'Aisne
Sur le stand de la marque de lait qu'il a lancée avec 350 autres éleveurs, Jean-Luc Pruvot en témoigne : "On sent vraiment qu'on a un soutien, peut-être plus que les années 'normales'. Ça fait du bien, mais la marque a 10 ans, ça fait 10 ans qu'on sait que les consommateurs sont derrière nous. On reçoit tous les jours des mails de soutien."
La rémunération toujours au cœur des préoccupations
S'il présente fièrement ses moutons et espère en vendre quelques-uns, il suffit de quelques questions pour qu'Alban Passet révèle une situation difficile. "Je suis double actif, car je n'arrive pas à vivre de mes bêtes. C'est mon boulot à côté qui vient fournir des revenus pour la ferme, détaille-t-il. Cette double activité n'est pas un choix, c'est par défaut. Ce n'est pas normal. On travaille assez dur, on devrait pouvoir se dégager un revenu."
"Aujourd'hui, on a le droit de travailler, de nourrir la France, mais on peut mourir, tout le monde s'en fout, ajoute l'éleveur ovin. Actuellement, c'est compliqué, un agriculteur se suicide tous les deux jours. Ce n'est pas anodin."
"Améliorer le revenu des éleveurs", c'est pourtant l'un des axes annoncés du "plan gouvernemental renforcé de reconquête de notre souveraineté sur l'élevage", présenté le 25 février. Mais il faudra plus que de belles phrases pour convaincre Jean-Luc Pruvot, acteur du combat pour une meilleure rémunération depuis la "grève du lait" européenne de 2009.
Les personnes qui nous représentent aujourd'hui ne sont pas forcément des personnes qui connaissent notre métier.
Jean-Luc PruvotÉleveur laitier et président de la marque de lait équitable Faire-France
"La réunion s'est faite à côté : en deux heures de temps, ils vont régler le problème ? s'interroge le producteur de lait. Pourquoi ne l'ont-ils pas fait avant, si c'était si simple ? Ce sont des effets d'annonce, pour calmer." Mais il est convaincu que les mobilisations vont se poursuivre.
Il espère qu'elles mèneront à une meilleure écoute des paroles de terrain : "Pour la loi EGALIM, ils ne nous ont pas écoutés, alors que notre marque est déjà une solution. Donc, ils ont fait EGALIM 1, se sont rendu compte qu'ils avaient oublié des choses, alors ils ont fait le 2, le 3 et là, ils vont faire le 4. Mais ils n'écoutent pas les éleveurs de base. Les personnes qui nous représentent aujourd'hui ne sont pas forcément des personnes qui connaissent notre métier." Il salue néanmoins la présence d'une diversité de syndicats agricoles dans le mouvement.
"La chose la plus importante, c'est une juste rémunération. C'est simple. Est-ce qu'il a les moyens de pression pour y arriver ? Je pense. Est-ce qu'il a envie de les mettre en place ? Je ne pense pas", conclut Jean-Luc Pruvot.
Le salon, "c'est une récompense"
Malgré les difficultés, les deux éleveurs vivent cet événement comme une parenthèse bienvenue dans leur quotidien. Jean-Luc Pruvot assure la promotion de sa marque de lait et profite du salon pour lancer un nouveau produit, pendant que son fils s'occupe de Sirène, belle vache rouge flamande qui sera présentée au concours.
"Le fait d'être ici au salon — et ce n'est pas facile de venir — c'est une récompense, salue Jean-Luc Pruvot. C'est aussi un moyen d'expliquer notre métier aux consommateurs. Je pense que c'est un des gros problèmes de l'agriculture : on a laissé d'autres personnes parler de notre métier. Là, on a l'occasion de rencontrer les citoyens et de leur parler de ce qu'il se passe sur nos fermes."
Entre deux ventes et caresses aux bêtes, cette année, l'humain semble occuper une place tout aussi importante que l'animal sur les stands des éleveurs de ce soixantième Salon de l'agriculture.
Avec Lucie Caillieret / FTV