Témoignages. Violences après la mort de Nahel : "ce qu'ils détruisent, c'est à eux"

Publié le Écrit par Claire-Marine Selles
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Bâtiments publics, commerces et associations d'Amiens ont été la cible de dégradations dans les nuits de violences urbaines qui suivent la mort de Nahel, tué le 27 juin par des policiers. Deux élues municipales, originaires d'Amiens nord et d'Étouvie, posent leur regard sur la situation.

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L'une est élue de la majorité, l'autre, de l'opposition. Mais il y a un point commun entre les parcours de Nedjma Ben Mokhtar et Assia Nouaour : toutes deux se sont engagées pendant de longues années dans la vie associative de leurs quartiers, respectivement Étouvie et Amiens Nord.

Alors que ces quartiers sont le théâtre de violences et de dégradations depuis le 28 juin, elles ont accepté de livrer leur ressenti de la situation à Amiens.

"Maman, l'école, elle va brûler ?"

Assia Nouaour est élue municipale d'opposition, c'est aussi une enfant d'Amiens nord, où elle était scolarisée à l'école Voltaire. Deux de ses enfants y sont actuellement élèves et le 30 juin, Assia Nouaour a passé une partie de la nuit devant l'école, accompagnée d'une dizaine de parents, pour éviter qu'elle ne soit dégradée. Elle avait brûlé lors des émeutes de 2012.

"On a échangé sur l'avenir de l'école et on s'est posé la question de mettre une banderole pour habiller toute la grille, avec des dessins des enfants ou des photos,. C'est nous, parents, et les enfants qui sommes touchés. Les enfants posent des questions, "Maman, l'école elle va brûler ? Comment on va faire pour la rentrée, où on va aller ?" On essaie de les rassurer". Elle sera à nouveau présente sur place dans la soirée du 1er juillet.

L'Odyssée, c'est un centre de loisirs, c'est notre histoire, c'est Amiens nord. Quand on a été sur les lieux après l'incendie, on a vu tout le monde pleurer.

Assia Nouaour - conseillère municipale d'opposition à Amiens

La tristesse et "une colère pas possible" l'emportent lorsqu'elle évoque les incendies qui ont frappé le quartier. "Ce qu'ils détruisent, c'est à eux ! L'Atrium a brûlé. C'est un lieu familial : leurs grands-parents, leurs parents sont là-bas, eux-mêmes y vont pour le suivi administratif, les cartes vitales, les passeports, regrette Assia Nouaour. L'Odyssée, c'est un centre de loisirs, c'est notre histoire, c'est Amiens nord. Quand on a été sur les lieux après l'incendie, on a vu tout le monde pleurer".

Une question de sécurité ?

Pour Assia Nouaour, ces violences sont aussi liées à la tristesse et la colère du deuil des récents meurtres à Amiens. "Nous avons demandé plus de sécurité à Amiens, on nous a dit oui, le préfet est venu pour nous écouter, mais depuis, rien... Je pense qu'il faut réfléchir et qu'il faut que ça bouge. Il n'y a que 4 médiateurs sur tout Amiens ; aujourd'hui ce sont les habitants et les agents de la mairie qui assurent ce rôle. Ce que l'on demande, c'est aussi d'ouvrir des postes pour proposer aux jeunes sur le terrain des emplois de médiateurs. La police municipale n'est plus sur les quartiers prioritaires, il faut mettre des choses en place pour recréer du lien."

Assia Nouaour souligne que le centre-ville d'Amiens était très sécurisé dans la nuit du 30 juin au 1er juillet, mais à Amiens Nord, elle n'a vu aucune présence des forces de l'ordre, à l'exception des camions de CRS qui prenaient la direction d'Étouvie. 

Interrogé sur la question des médiateurs, Hubert de Jenlis, adjoint à la sécurité de la ville d'Amiens, ne se déclare pas opposé à "réfléchir à étoffer ce service... Ces casseurs sont extrêmement jeunes, 13, 14, 15 ans, les personnes plus âgées avec qui on a pu discuter nous disent qu'ils sont hors de contrôle. J'appelle sincèrement les parents à intervenir auprès de leurs enfants pour les tenir, leur responsabilité peut d'ailleurs être mise en jeu". 

Pour Assia Nouaour, "ce sont des jeunes qui sont paumés, qui ne savent pas quoi faire, ils ont besoin d'écoute... Ils punissent tout le monde. Il y a une énorme colère, mais ces actes ne sont pas justifiés, on le dit tous". 

Réparer et accompagner 

Cette condamnation résonne aussi chez Nedjma Ben Mokhtar, adjointe au maire d'Amiens déléguée à la lutte contre les discriminations et à l'égalité hommes-femmes. Elle est indignée par l'incendie de la médiathèque et de la salle de boxe du quartier Étouvie.

"Je ne pense pas qu'il y ait de revendication particulière, explique Nedjma Ben Mokhtar. Peut-être que je me trompe mais vu leur jeune âge supposé, 12-13 ans, on est encore au collège ; il n'y a pas vraiment de symbolique, la violence déclenchée suite au décès tragique de ce jeune homme est un prétexte à dégrader gratuitement, volontairement, des bâtiments utiles pour tous les habitants... Je ne pense pas qu'il y ait une conscience de la gravité des actes qui sont commis : à cet âge, on n’a pas le sens des responsabilités, on joue, c'est une sorte de jeu. Il y a une grande incompréhension".

Quand ça s'arrêtera, il faut une prise en charge, ces gamins en pleine construction doivent apprendre à grandir et à grandir bien.

Nedjma Ben Mokhtar - adjointe au maire d'Amiens

Nedjma Ben Mokhtar veut maintenant penser à l'avenir, notamment pour la médiathèque qu'il faut "vite réparer, pour éviter qu'il y ait un sentiment d'abandon". Car cela fait des années que le projet est en cours. L'adjointe évoque d'ailleurs la frustration que peut engendrer ce temps si long des projets publics, face à des besoins urgents des habitants. 

"J'ai eu l'occasion de discuter avec des habitants le lendemain de l'incendie : ils sont attristés, on touche à des choses qui leur appartiennent". Elle évoque des mères allant au-devant des jeunes pour stopper leur élan destructeur.

"Pour moi, ce qu'il faudrait, c'est aussi accompagner les parents, ceux qui les éduquent, quand les jeunes seront identifiés. Quand ça s'arrêtera, il faut une prise en charge : ces gamins en pleine construction doivent apprendre à grandir et à grandir bien".

"Il y a un proverbe qui dit qu'il faut tout un village pour élever un enfant", conclut Nedjma Ben Mokhtar, l'esprit déjà occupé par les suites à donner à ces événements - notamment pour qu'ils ne participent pas à stigmatiser ce quartier, où elle dit avoir grandi sans souffrir de discrimination.

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