Le 6 août 2016, 14 jeunes périssaient dans l’incendie du Cuba Libre à Rouen (Seine-Maritime). Huit ans après ce drame, nous avons rencontré le père de Mégane, l’une des victimes. Sa douleur est toujours profonde et certaines de ses questions n'ont pas trouvé de réponse malgré le procès des gérants du bar.
Mégane avait 20 ans et faisait des études d’assistante sociale. Pour son père, sa fille unique était son repère, sa raison de vivre. Le lendemain du drame, il l’attendait, elle et son petit ami Florian, pour un repas à la maison comme ils en avaient l’habitude : "J’ai dîné avec eux le mercredi avant l’incendie, je ne pensais pas que c’était la dernière fois que j’allais les voir".
"Perdre un enfant, c'est comme un choc frontal"
Les souvenirs de cette nuit du 5 au 6 août 2016 sont intacts dans sa mémoire. L’incendie s’est déclaré aux alentours de minuit et les parents seront prévenus vers 3h du matin. Tous se retrouvent à la cellule de crise à l’hôpital Charles-Nicolle de Rouen.
Ils patientent, ensemble, pendant plusieurs heures avant l’inaudible : "la police est venue nous donner les noms un par un". Viendra ensuite le calvaire de la reconnaissance des corps.
Au début, je me disais toujours que j’allais la revoir. Aujourd’hui, je sais que je ne vais pas la revoir et c’est très dur à accepter.
Johnny Autin, père de Méganeà France 3 Normandie
Dans une partie de son jardin, Johnny Autin a installé un mausolée en mémoire de sa fille. Il se pose dans cet endroit apaisant dès qu’il en ressent le besoin : "souvent, le soir, je regarde les étoiles et je me dis qu’il y en a une pour moi. Perdre un enfant est ce qui peut arriver de pire à l’être humain. Par contre, 8 ans après, la douleur est différente. Elle n’est pas moins forte, elle est différente."
Le témoignage de Johnny Autin, par S. Gérain et C. Heudes :
"Lorsqu’on perd un enfant dans un accident, c’est comme un choc frontal", poursuit-il. "On perd ses capacités physiques et mentales. Me concernant, les premiers mois, la folie est entrée dans ma vie. Heureusement que j’ai été suivi par des psychiatres et psychologues qui me suivent toujours. Grâce à eux et aux traitements, j’ai pu survivre. Sinon je pense que je ne serai peut-être plus là."
Il repense souvent au caractère fort de sa fille : "elle n’avait peur de rien. Quand on allait à la Foire Saint-Romain, elle fonçait sur les manèges à sensations. Je me dis qu’elle n’a pas eu peur pendant l’incendie et qu’elle a regardé la mort en face."
Toujours des questions malgré le procès
Grâce à l’enquête de police, Johnny sait que sa fille est entrée, accompagnée de 6 amis, un quart d’heure avant le drame.
Lors du procès, les familles apprendront grâce à l’audition des pompiers que les gérants leur avaient menti notamment sur l’issue de secours. "Nous avions le matériel et le temps nécessaire pour sauver tout le monde", aurait déclaré l’un d’entre eux, selon le père de Mégane.
Je ne veux pas que ce drame tombe dans l’oubli, je ne pense pas qu’à ma fille quand je vous parle. Ils sont partis à 14, ils sont là-haut, je l’espère, à 14.
Johnny Autin
Ces mots résonnent encore aujourd’hui. "Pourquoi ne l’ont-ils pas dit ? Au tribunal, ils ont refusé de répondre. Ils n’ont pas voulu le décès de nos enfants volontairement mais ils n’ont pas voulu les sauver volontairement." Il nous rappelle que c’était un lieu inadapté, non conforme et clandestin.
Bientôt la fin de la peine des gérants du Cuba Libre
À la tristesse des familles se greffe la colère. Leur combat pour faire toute la lumière continue : "les pouvoirs publics doivent prendre conscience de ce qu’il s’est passé. Il faut que toute la vérité soit connue et soit dite afin que ça ne se reproduise pas et que justice soit faite."
"2024 est un anniversaire doublement important : le 6 août ça fera 8 ans que nos enfants sont morts et en octobre, 5 ans que le procès a eu lieu, et la fin de la peine des gérants. Ils seront libres de faire ce qu’ils veulent et d’aller où ils veulent", déplore Johnny. "Et les familles reprennent une claque en pleine figure. On en parle entre nous et on y pense depuis un certain temps. C’est très dur. Savoir que nous, on continue à survivre et à côté de ça, que pour leurs bourreaux, tout est fini."
Un moment de recueillement
En cette date anniversaire, certaines familles ont décidé de se retrouver pour manger ensemble ce lundi soir avant de se recueillir devant la stèle érigée sur les lieux du drame.
"Certains parents de victimes font désormais partie de ma famille. On vit la même chose, on se comprend. Ils ne nous diront jamais comme certaines personnes maladroites : 'maintenant ça fait 8 ans, il faut passer à autre chose'. Ces personnes ne réalisent pas ce qu’ils disent parce qu’ils ne le vivent pas".
Johnny nous confie avoir du mal à sortir et croiser le bonheur des autres. Quand il voit certaines jeunes mamans, il ne peut s’empêcher de penser à sa fille qui aurait fêté ses 28 ans cette année et qui serait peut-être elle aussi mère.
"Dès le matin, au réveil, je pense à elle et je me dis 'encore une journée qui commence'. Le soir, je m’endors en me disant 'si je ne me réveille pas, tant mieux'. C’était ma fille unique, je n’ai pas de petit enfant. Je ne m’en remettrai jamais".