Dans le monde agricole, se faire une place en tant que femme n'a pas toujours été facile. Aujourd'hui, leur rôle est mieux reconnu. Rencontre avec quatre agricultrices qui font vivre le monde rural à leur manière.
En France, l’agriculture a longtemps été considérée comme un secteur réservé aux hommes. Pourtant, quiconque a fréquenté le monde rural sait que les femmes ont toujours occupé un rôle central à la ferme. Aujourd’hui, leur place est mieux reconnue et on sait que, depuis une dizaine d’années, environ un 25% des chefs d’entreprises agricoles sont des femmes alors qu’elles n’étaient que 8% en 1970. En 2019, elles représentaient un peu plus de 35% des salariés du secteur. (chiffres : infostat 2019)
Pour mieux comprendre la réalité de ces femmes en 2023, nous avons rencontré quatre agricultrices. Entre élevage, cultures ou encore communication et poste à responsabilité, quatre visions de l’agriculture d’aujourd’hui, au féminin.
Hélène : cheffe d’exploitation
Le jour ne s’est pas encore levé sur Bermonville et dans cette maison, c’est le père de famille qui prépare les enfants pour partir à l’école. Hélène, elle, est déjà bien occupée, car le travail ne manque pas dans cette exploitation laitière du Pays de Caux.
Avec son apprentie, elle s’affaire à traire 195 vaches, qui produiront environ 5000 litres de lait dans la journée : deux heures de traite le matin, et la même chose en fin d’après midi.
“Mon plaisir, c’est d’arriver le matin et d’aller voir si tout le monde va bien, s'il y a eu une naissance dans la nuit.”
Hélène Leconte
Ce jour-là, le programme de la journée est bien chargée pour Hélène : les veaux à nourrir et aussi beaucoup de travail administratif, de la comptabilité et des factures à payer. Samuel, son compagnon, s’occupe des cultures : 50 hectares de maïs pour nourrir les vaches, du blé, du colza, des betteraves et du lin. Avec près de 200 de vaches laitières, 220 hectares de culture, des veaux et des génisses, le couple voit les choses en grand. L’équilibre entre culture et élevage a permis à l’exploitation de faire face aux fluctuations du prix du lait, mais laisse peu de place à la vie de famille. Hélène et Samuel ne s’accordent que deux semaines de vacances par an.
“Quand on est invité ou qu’on fait quelque chose dans l’après-midi, et qu’il faut aller faire la traite à 17h, ça, ça me coute un peu”
Hélène Leconte
Pour Samuel, le travail des femmes dans les exploitations agricoles n’est pas nouveau. Il se rappelle que sa mère et sa grand-mère participaient beaucoup au travail à la ferme, mais il y avait peu de reconnaissance.
“Le travail n’a pas beaucoup changé, mais on fait plus attention au travail des femmes aujourd’hui. Avant, la femme travaillait, mais on ne la voyait pas, elle n’était pas mise en valeur”
Samuel Bréant
Nadège : de l’agriculture aux réseaux sociaux
En hiver, sur cette exploitation du sud de l’Eure, la vente directe de pommes de terre constitue presque l’unique activité. Nadège ne reste pas pour autant au chaud à la maison. Amoureuse de la nature, elle aime arpenter ses terres, armée de son appareil photo.
“J'ai du temps, je suis sur place, ça m’arrive souvent d’être avec mon appareil, mes objectifs, mon téléphone, mon drone et d’aller voir les différents champs, les différentes cultures au moment clefs.”
Nadège Petit
En toutes saisons, Nadège immortalise la beauté simple des cultures, magnifiée par la lumière normande. Lors de ces tours de plaine, les tracteurs et les machines ne sont jamais très loin.
Au-delà de l’esthétique du paysage, la jeune photographe est aussi dans une démarche de pédagogie, son objectif : montrer et expliquer le travail des agriculteurs qui n’est pas toujours bien compris par le grand public.
“On s’adapte à la nature, à la météo, au marché et on doit prendre des décisions. Il faut avoir beaucoup de connaissances en agronomie par exemple. Ce que je veux faire comprendre, c’est que ce n'est pas tout noir ou tout blanc, on est entre les deux.”
Nadège Petit
Et pour s’adresser au plus grand nombre, quoi de mieux que les réseaux sociaux. Avec 7800 abonnés et 160 000 photos en stock, Nadège partage sa passion. Elle passe aussi beaucoup de temps à échanger sur les pratiques agricoles avec sa communauté.
Cette banque d’image, Nadège l’utilise aussi pour réaliser des sites internet ou des plaquettes pour des collectivités ou des organismes agricoles. Graphiste et communicante l’hiver, elle retrouve les champs pour aider son mari en été.
Céline : une reconversion réussie
À Harcourt, dans l’Eure, nous retrouvons Céline sur des terres qu’elle connait bien. Elle y a passé toute son enfance alors que son père y exploitait 140 hectares. Pourtant, au moment de passer à l’âge adulte, s’installer sur la ferme familiale n’était pas vraiment au programme.
À la fin du lycée, la jeune femme quitte la Normandie pour exercer différents métiers saisonniers partout en France. Elle pense alors avoir trouvé sa voie : après une formation en management dans l’hôtellerie et la restauration, elle travaille dans un établissement à Rouen puis part en région parisienne. Mais au bout de 10 ans, les racines normandes la rattrapent : elle souhaite retrouver le calme du monde rural et son père prend sa retraite. Des circonstances qui l’amènent à reprendre l’exploitation. Quand elle arrive aux manettes, c’est la révélation.
Je me suis rendu compte que l’agriculture, ça n'était pas du tout ce que j'imaginais, pourtant je suis fille d’agriculteur.
Céline Vannier
Sur la ferme, la jeune agricultrice fait tout, y compris conduire l’énorme arracheuse de betterave. Dans ce milieu un peu macho, elle ne passe pas inaperçue, mais ça ne lui pose pas de problème.
Pour Céline, la présence d’une femme sur une exploitation peut aussi apporter certaines petites choses qui peuvent tout changer.
Mon salarié se moquait de moi quand je mettais du dégrippant partout, mais quand il a constaté que les outils étaient plus faciles à manier, il a approuvé l’idée !
Céline Vannier
Laurence : l’agriculture au cœur du territoire
Si Laurence Selos ne peut plus passer beaucoup de temps sur son exploitation, il reste quand même un rituel immuable : tous les matins, elle passe rendre visite à ses poules pondeuses et participe rapidement au tri des 9000 œufs produits quotidiennement.
“J'ai besoin de venir pour voir que tout se passe bien. Même si je dois aller en réunion précipitamment après, j’ai besoin de faire le point avec les salariés et mon fils qui est mon associé.”
Laurence Selos
Laurence ne restera pas longtemps en bleu de travail, car son emploi du temps est très chargé. Depuis 4 ans, elle occupe le poste de présidente de la chambre d’agriculture de Seine-Maritime. Cette institution joue un rôle central pour les exploitations agricoles du département, la chambre définit les orientations stratégiques, les axes de développements, explique-t-elle. En Normandie, se sont 450 personnes qui accompagnent les agriculteurs dans la transition vers l’agroécologie ou l’évolution des exploitations.
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Entre dossiers techniques et interventions auprès des élus, elle consacre sont temps à rappeler que les agriculteurs sont au centre de l’économie normande.
Pour Jocelyn, le compagnon de Laurence, elle n’est pas arrivée là par hasard. Si elle a été choisie par les agriculteurs de Seine-Maritime, ce n’est pas parce que c’est une femme.
“On a pensé que c’était la meilleure pour nous représenter, au niveau des compétences, au niveau de l’énergie à donner, au niveau des valeurs et au niveau de sa disponibilité.”
Jocelyn Pesqueux
Même si la charge de travail est importante, ce rôle de présidente tient très à cœur à Laurence. À la fin de son mandat, dans deux ans, elle n’exclut pas de se représenter.
Pour comprendre le long chemin qui a permis aux femmes de prendre leur juste place dans les exploitations agricoles, vous pouvez lire cet article et regarder le documentaire “Moi agricultrice”.