Témoignage. "A partir du moment où l'otage était libérée, pour le Colonel Beltrame, c’était l’affaire entre un soldat et un terroriste"

Publié le Écrit par Olivier Le Creurer
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Le Colonel Gay était le commandant des gendarmes de l'Aude au moment des attentats de Trèbes et Carcassonne. Il est aujourd’hui sous-directeur à la direction des opérations à la direction de la gendarmerie nationale. Il revient sur cette journée du 23 mars 2018.

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Colonel, de quelle manière apprenez-vous les attentats de ce vendredi 23 mars 2018 ?

Il faut savoir que nous avons appris la chronologie à rebours. Quand on reçoit le 1er appel sur le Super U, nous ne sommes au courant ni de ce qui s’est passé avec les CRS (un blessé grave) ni sur le parking de l’Aigle (un mort et un blessé grave). Donc, pour nous, c’est un événement isolé.

Puis, j’apprends par le PSIG de Narbonne que des coups de feu ont été tirés dans un supermarché en banlieue de Carcassonne. De toutes les hypothèses qui se formulent dans mon esprit, c’est le vol à main armé qui a mal tourné. Je saute quand même dans ma voiture. Et là on me dit qu’on vient d’avoir un 2ème appel et on a entendu un coup de feu et quelqu’un crier « Allah Akbar». A ce moment-là, je me dis "ça y est, on y est".

Étiez-vous préparé à une attaque terroriste ?

Depuis 2015, même avant le Bataclan, c’est une menace que l’on a prise en compte dans le groupement de l’Aude. Ce n’est pas une menace prioritaire. L’Aude, le quotidien à l’époque, c’était plus les cambriolages, les violences intra familiales ou les accidents de la route que les attentats terroristes. Comme c’est une menace qui a très peu de chance de se produire mais que si elle se concrétise et qu’on n’est pas prêt du tout, il pourrait y avoir des conséquences catastrophiques, on y dédie un peu de temps, un peu d’entraînement et des moyens dès l’automne 2015. Et donc lorsque cela se produit en mars 2018, la 1ère réaction c’est "on y est, on y va".

Arnaud Beltrame nous rejoint 1er août 2017 au groupement et il reprend le dispositif de montée en compétences qu’on avait élaboré avec son prédécesseur. Il y amène sa compétence professionnelle, son énergie, son enthousiasme dont on a beaucoup parlé. Il l’amène à un autre niveau, ce qui nous sera très précieux le 23 mars parce que malgré le dénouement tragique, les gendarmes départementaux de l’Aude se sont comportés de manière admirable. Ils ont déroulé ce qu’on appelle le schéma national d’intervention avec un professionnalisme et un courage exceptionnel.

Arnaud Beltrame a-t-il respecté les règles d'intervention ? 

Pour ce qui est de l’entrée des gendarmes départementaux de l’Aude dans le Super U, là c’est clairement la doctrine. Depuis le Bataclan, on savait qu’on ne pouvait pas attendre l’intervention des unités de contre-terrorisme, il fallait tout de suite que les primo intervenants entrent en contact avec les terroristes si nécessaire en ouvrant le feu pour les fixer, provoquer leur retranchement et stabiliser la situation en attendant du GIGN, du RAID ou des BRI.

Un geste héroïque, humain, individuel

Après, pour ce qui est de la décision du Colonel Beltrame, la question a été posée et reposée, c’est un geste héroïque, humain, individuel. Cela ne correspond pas à la doctrine d’emploi. Il était le chef tactique dans le supermarché. J’avais mes officiers d’Etat-major dont mon officier de permanence qui géraient le PC crise. J’avais le Colonel Beltrame qui était à l’intérieur du supermarché. Moi, à l’extérieur, je commandais l’opération dans sa globalité. Donc la situation était assez nominale.


Le fait qu’il s’échange avec le dernier otage, c’est vrai que ce n’est pas conforme à la doctrine. C’est vrai qu’il a poussé son engagement au-delà de la doctrine. Mais je le connaissais suffisamment. Pour lui, à partir du moment où il retirait l’otage civil de l’équation, il mettait un terme à la crise. Après, c’était l’affaire entre un soldat et un terroriste. Et je pense qu’il pensait pouvoir avoir un impact positif sur la résolution de la crise soit en allant dans la négociation soit en facilitant l’intervention d’une unité spécialisée.

Je pense que selon l’analyse qu’il s’est faîte rapidement dans une situation de stress intense ce sont les principaux moteurs : retirer le dernier otage de tout risque et rentrer dans le dispositif du terroriste pour faciliter la gestion de la suite.

A l’issue de l’assaut du GIGN, quand on me rend compte que l’assaut est terminé, je rentre avec deux militaires du PSIG (peloton de surveillance et d'intervention de la gendarmerie) qui sont mieux équipés et protégés que moi et je découvre l’intérieur du Super U qui est assez chaotique. Il y a un gendarme du GIGN qui est assez sérieusement blessé, il y a beaucoup de sang dans le supermarché. Je m’approche de la caisse centrale, je sais que le Colonel Beltrame est blessé parce que je le vois inanimé sur le sol et des médecins du SAMU qui lui portent secours. Il est vivant mais manifestement sérieusement blessé.

Le Colonel Beltrame décède dans la nuit, quel message délivrez-vous à vos hommes ?

C’est la scène la plus forte de ma carrière voire de ma vie. L’hôpital m’appelle un peu après 5 heures du matin pour apprendre la nouvelle fatidique. Ma priorité à ce moment-là, d’une façon qui pourrait paraître froide ou brutale, c’est de maintenir mes gendarmes en capacité de travailler. La gendarmerie de l’Aude ne peut pas s’arrêter de fonctionner, je ne peux pas leur dire de prendre une semaine de vacances. On a une population autant traumatisée que nous.

C’est la scène la plus forte de ma carrière voire de ma vie

Le plus rapidement possible, le samedi matin, de mémoire entre 8h30 et 9h, je convoque au groupement tous les gens qui ont participé au plus près de l’action la veille pour leur confirmer le décès de notre camarade. D’ailleurs les mots ont énormément de mal à sortir. Il m’arrive encore aujourd’hui de buter sur ces mots quand je le raconte.

Je leur dis deux choses. D'abord : mission accomplie, le Groupement de la gendarmerie de l’Aude a rempli sa mission de contenir la menace terroriste, de fixer le terroriste, d’évacuer les clients du supermarché, de rentrer dans le supermarché alors que nous ne sommes pas des unités d’intervention, ce n’est pas notre spécialité. Et rappeler que dans notre métier, on peut remplir notre mission et avoir un camarade qui tombe, ça fait partie de la réalité du métier.


Puis je leur dis de se tourner vers le soutien psychologique de la gendarmerie. Ce matin-là, j’avais convié les deux psychologues cliniciennes de la région. Mes deux messages : mission accomplie et faites-vous aider.

Les réactions se multiplient à l'annonce du décès d'Arnaud Beltrame ...

Tous les soutiens nous ont portés, cela nous a beaucoup facilité le fait de continuer malgré le choc. De la couverture internationale jusqu’au soutien le plus proche avec la masse de fleurs et autre déposée devant le groupement. Nous avons reçu des centaines de courriers, ça donnait encore plus de sens à son geste.

J’aime à penser que les gens qui passent devant les nombreuses plaques des squares, des rues Colonel Arnaud Beltrame, ils ont un souvenir de son geste, du sens de son geste et de ce qu’il a apporté à la France à ce moment-là.

Qui était Arnaud Beltrame ?

On était en prépa à Saint Cyr l'école ensemble 20 ans plus tôt. On ne s’était pas revu pendant 23 ans. Mais j’avais dit à mon chef que mon numéro 3 partant à l’été 2017, j'étais intéressé par le Colonel Beltrame qui voulait venir dans la région.

Nous avons travaillé ensemble quelques mois. C’est quelqu’un qui se caractérisait par son dynamisme, son enthousiasme, son charisme, une réelle force de proposition capable de réfléchir au-delà des cadres normaux, d’avoir des propositions originales et ensuite de les recanaliser pour que ce soit applicable au fonctionnement de la gendarmerie départementale de l’Aude. C'était quelqu'un à la fois très dynamique et très respectueux du cadre de la hiérarchie, c’était très agréable de travailler avec lui.

Vous serez interrogé par la cour d'assises mardi après-midi, avez-vous un message à délivrer ?

Je n’ai pas de message à délivrer. Je n’ai de compte à régler avec ni avec le destin ni avec qui que soit avec cet événement.

Au-delà du geste du colonel Beltrame, presque tout le monde l’apprécie pour ce qu’il était, c’est le comportement admirable des gendarmes départementaux de l’Aude qui ont réagi de façon exceptionnelle. Ils ont réagi certes comme on les y avait formés mais sans paralysie, sans hésitation, sans calcul pour leur sécurité personnelle. Quand ils rentrent dans le Super U, les premiers éléments, ce sont des motards de Carcassonne, des brigadiers de Trèbes et je crois des gens de Lézignan-Corbières.

En face, on ne connaît pas l’identité de l’auteur. On ne sait pas si c’est un vétéran de Syrie, s’il y a des explosifs, des complices, leur niveau d’armement et pourtant ils rentrent dans le supermarché, ils en font l’exploration, le PSIG de Carcassonne les rejoint et ils pénètrent dans le supermarché pour intervenir sur une attaque terroriste. Ce qui n’était pas donné d’avance. Ce qui était le quotidien du GIGN et des déclinaisons régionales du RAID ou des BRI, c’est moins le quotidien d’un groupement départemental de gendarmerie.

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