"Un désir d'histoire" est le dernier ouvrage de Jean Guilaine, spécialiste mondialement reconnu des premières communautés rurales. Comment devient-on archéologue ? L'auteur nous fait plonger dans le monde de son enfance. A Carcassonne et dans la campagne de l'Aude.
Jean Guilaine est une sommité au même titre que Jacques Le Goff, Fernand Braudel ou Yves Coppens. "La mer partagée, la Méditerranée avant l’écriture," ouvrage sur le néolithique et les débuts de l’âge de bronze en Méditerranée entre 7000 et 2000 avant notre ère est une référence.
Directeur de recherche au CNRS, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, il est depuis la création du collège de France il y a 400 ans par François 1er, le premier titulaire responsable d'une chaire entièrement consacrée au néolithique.
"Jean Guilaine consacrera sa vie de savant à comprendre comment, sur ces mêmes terroirs, le mode de vie des premiers paysans et bergers, celui des villages néolithiques, s’est installé et a produit, au bout de quelques millénaires, le système urbain qui devait l’engloutir", explique Daniel Fabre, dans sa préface.
Crapahutant en Minervois, je découvre des gisements néolithiques dont je classe patiemment silex et tessons dans des boîtes à chaussures.
Comment devient-on archéologue ? Dans son dernier ouvrage "Un désir d'histoire" aux Editions Odile Jacob, Jean Guilaine, 86 ans, nous fait plonger dans le monde de son enfance. Profondément languedocien, il passe toute sa jeunesse dans l'Aude entre la ville, Carcassonne, sa cité et la campagne à Villebazy, petit village des Corbières occidentales, près de Limoux.
A 16 ans, il adhère à la société d’études scientifiques de l’Aude. "Crapahutant en Minervois, je découvre des gisements néolithiques dont je classe patiemment silex et tessons dans des boîtes à chaussures." Après le lycée à Carcassonne, il suit des études d’histoire et d’archéologie à Toulouse où il découvre la préhistoire. "Fascinant, ce sont là nos racines paysannes, celles qui ont libéré des générations d’agriculteurs jusqu’à aujourd’hui. J’ai décidé qu’elles seraient mon grain à moudre, ma pierre à polir, ma quête d’inconnu."
5 questions à Jean Guilaine :
D'ou vient cette envie précoce de devenir archéologue ?
Mon père a été un déclencheur. Il n’avait pas fait d’études, c’était un ouvrier ajusteur. Un milieu modeste donc. Mais il était passionné d’histoire. Il m’a donné le goût pour l'histoire qu’il avait en lui. Je m’inscris ainsi dans une tradition familiale.
Dans mes années de lycée, il y a aussi un professeur au lycée de Carcassonne qui a compté beaucoup, que j’ai eu en 4ème et en 1ère. Il s’appelait Louis Signoles. C’était un tribun, enthousiasmant dans ses cours d’histoire. C’était très motivant. J’avais obtenu un premier prix et il m’avait dit de continuer là-dedans. J’ai tenu parole."
Des hommes et des lieux ?
Je suis né à Carcassonne. Mes grands-parents paternels habitaient au pied de la cité, à la Barbacane. Lorsque vous êtes dans un décor comme ça, vous ne pouvez pas ne pas vous poser de question sur l’histoire de ce monument. Cela a joué sur mon goût pour l’histoire.
De l'autre côté : Villebazy, petit village des Corbières. J’allais en vacances chez mes grands-parents maternels. Versant rural. J’étais au village, au milieu de paysans. On ne parlait qu’en langue d’oc. Je voyais le cycle des saisons se dérouler avec un outillage traditionnel. À l’époque, c’étaient les chevaux et pas encore le tracteur. C’était la vie au village, la chasse, la cueillette des fruits sauvages et tout cela m’a donné un peu le goût de la nature et plus tard des origines de cette vie paysanne. Et le néolithique qui a été ma période de prédilection, c’est la période d’implantation de ce système villageois, agricole, dans nos régions.
Le néolithique a été ma période de prédilection, c’est la période d’implantation de ce système villageois, agricole, dans nos régions.
Au début du 20ème, dans une ferme reculée des corbières on utilisait un instrument, l’araire, une espèce de charrue archaïque, dont les premiers prototypes sont apparus au néolithique, donc plusieurs millénaires auparavant.
Et puis après la guerre, j’ai vécu l’arrivée des premières voitures, des premiers tracteurs. J’ai senti une mutation qui se produisait et que la petite propriété, c’était fini. Avant, on avait des gens qui dans les villages, vivaient de la terre. Ils avaient 4 vignes, un jardin et ils vivaient de ça et puis petit à petit, c’est devenu pratiquement impossible. Et on a vu l’homme ou la femme trouvé un emploi à Carcassonne, à Limoux. J’ai senti le début de la fin des paysans à temps plein.
Je ne ressens pas de nostalgie. J’essaie de voir comment l’histoire s’est accélérée à partir du moment où la mécanisation est intervenue en milieu rural à partir du milieu du XXème siècle.
Ce qui m’intéressait, c’était de retrouver les origines de ce monde-là. Mais je n’ai pas du tout envie de revenir au néolithique. Nous nous sommes tous habitués à un certain confort.
Vous vous dîtes passeur de mémoire ?
Je transmets. De deux façons. Lorsque je suis devenu archéologue professionnel, très tôt je me suis entouré de jeunes chercheurs que j’ai poussés vers le CNRS. Je transmets un savoir que je fais moi-même fructifier et pour que d’autres le fassent à leur tour fructifier.
Mais j’ai aussi beaucoup enseigné. J’ai adoré enseigner au collège de France parce que je me suis retrouvé devant un public à qui je faisais aimer l’archéologie.
La préhistoire est une période assez méconnue ?
Elle a toujours été dans les livres d’histoire un peu minorée par rapport à d’autres périodes comme l’Antiquité ou le Moyen-âge. Le Moyen-âge par exemple peuple encore à travers les châteaux, les Abbayes, les cathédrales, notre paysage culturel. L’Antiquité c’est un peu pareil avec les Arc de triomphe, les temples …
C’était une période sur laquelle on ne savait rien et sur laquelle les religions pouvaient raconter ce qu’elles voulaient sur les origines de l’homme. Au début, la préhistoire est apparue comme une science subversive face aux écritures saintes.
Alors que la préhistoire, elle est moins visible. C’est une science jeune. Elle n’est née qu’au 19ème siècle, dans la douleur. C’était une période sur laquelle on ne savait rien et sur laquelle les religions pouvaient raconter ce qu’elles voulaient sur les origines de l’homme. Au début, la préhistoire est apparue comme une science subversive face aux écritures saintes.
Pourriez-vous nous évoquer des sites remarquables en Occitanie ?
On peut prendre deux exemples. Dans le couloir de l’Aude, Carcassonne-Narbonne, vous avez le plus grand dolmen du midi et peut-être de la France. C’est le dolmen de Pépieux, des Fades. Vous avez dans cette région des tas de découvertes qui ont été faites, des villages, des tombes qui ont été fouillées.
Second exemple : dans le Tarn et le Rouergue, les fameuses statues menhir, les plus anciennes statues d’Europe. Pourquoi ne pas faire un très grand musée d’échelle européenne de ces statues menhir qui sont les plus vieilles photographies que nous ayons de cette période du néolithique ? On passe à côté d’un projet qui serait formidable. Certaines sont tout de même présentées au musée Fénaille à Rodez.