Un jeune sur cinq présente des troubles dépressifs, selon le baromètre publié ce 14 février 2023 par Santé Publique France. Isolement, déprime, pensées suicidaires... La crise Covid a laissé des traces, notamment chez les ados. Témoignages.
La santé mentale des jeunes est devenue un sujet de préoccupation majeure depuis la crise sanitaire. Le stress généré par le Covid, l'isolement engendré par les périodes de confinement. Selon une récente étude de Santé Publique France publié le 14 février 2023, les 18-24 ans ont le moral en berne. En 2021, les jeunes adultes représentent la catégorie d'âge la plus touchée par des épisodes dépressifs caractérisés.
Faut-il encore craindre un effet "bombe à retardement" ? La question est posée alors que les listes d'attente pour consulter ne cessent de s'allonger, que des structures d'accueil se retrouvent débordées et doivent fermer leurs portes durant l'été. Comme au centre hospitalier Gérard Marchant de Toulouse.
La déprime Covid
Alice, 17 ans, a fait une dépression l'an dernier. "J'ai peut-être eu envie de mettre fin à mes jours, dit-elle face caméra avant de se reprendre. Même que c'est sûr." La jeune fille raconte que "ça a été très compliqué. J'ai été hospitalisée deux, trois semaines au sein de l'Unité médico-psychologique de Rodez." Sans entrer dans les détails de ses pensées suicidaires, l'adolescente se retrouve dans les explications liées à la crise Covid. Les confinements, "le mode de vie à ce moment là", ont fait que les jeunes ont pu se refermer sur eux-mêmes.
Ça a donné l'espace à une sorte d'égoïsme humain où on s'est recentré sur soi, où on a découvert des choses sur nous-mêmes.
Alice, 17 ans
Broyer du noir, sans pouvoir en parler. Aurélien Chatagner, pédopsychiatre à l'hôpital de Rodez, retient lui-aussi la piste de la "déprime Covid" comme l'une des raisons du mal-être des jeunes qui perdure encore aujourd'hui.
Le pédopsychiatre se souvient cet afflux de jeunes patients aux urgences pédiatriques à partir de la fin 2020 et tout au long de l'année 2021. "On a eu cette impression d'avoir doublé notre activité aux urgences, estime le Dr Aurélien Chatagner. Notamment aux urgences pédiatriques où les adolescents avec un grand mal-être nous sont arrivés beaucoup plus nombreux. On a pu voir des adolescents que l'on ne connaissait pas jusqu'alors, avec des souffrances plus importantes et une augmentation des gestes suicidaires."
Les adolescents ne trouvaient pas d'interlocuteur à ces périodes là. Du coup, nous, on les a vu arriver avec du retard, le temps sans doute que les troubles sévères se construisent. Quatre, cinq, six mois après. Des jeunes dans des voies d'impasse, un désespoir qui était assez important. Et des gestes suicidaires qui nous ont surpris par leur gravité.
Dr Aurélien Chatagner, pédopsychiatre à l'hôpital de Rodez
En ce mois de février 2023, ce spécialiste de la psychiatrie pour enfants et adolescents, dit encore craindre un effet de bombe à retardement. "On a pris le choc, on a répondu dans l'urgence", mais les listes d'attente pour consulter se sont inexorablement allongées. "Passant facilement de deux, trois mois à six, neuf mois." Laissant des parents et des adolescents sans réponse immédiate.
Le danger des réseaux sociaux
Le Covid, les confinements, l'isolement. Et sans doute aussi une forme de relâchement de l'attention au sein du cercle familial. Maintenir une bonne communication avec ses proches, entre parents et jeunes adultes, s'avère essentiel pour le Dr Aurélien Chatagner. Parmi les causes du mal-être des jeunes aujourd'hui, il faudrait sans doute aussi songer à leur rapport avec les réseaux sociaux. "Des adolescents qui sont seuls face à des enjeux sociaux difficiles comme les réseaux sociaux les proposent parfois, estime le pédopsychiatre. "Il y a une supervision qui existe par ailleurs. Mais quand on l'oublie un peu et quand on laisse nos adolescents livrés à eux-mêmes et à ces réseaux, il me semble que les choses prennent des proportions, prennent en gravité."
Le harcèlement à deux, trois copains devient un harcèlement massif plus difficile à décortiquer, à arrêter.
Dr Aurélien Chatagner, pédopsychiatre
Alors, comment faire pour prévenir ? Maintenir le contact, avant tout. Parce que "ça aide d'en parler", assure la jeune Alice qui, plus tôt, nous avouait sa dépression et son hospitalisation.
Libérer la parole
Ce lundi 13 février, des lycéens assistent à une représentation de la Compagnie du D barré. Sur scène, Aurélien Zolli offrant plus qu'un spectacle, du vécu. Le comédien parle de sa sœur qui s'est donnée la mort. Il évoque la douloureuse question du suicide et dévoile les sentiments qui accompagnent le deuil. La colère.
Ce spectacle, c'est une introspection, un moyen de se reconstruire.
Alice, 17 ans
Les mots du comédien font écho parmi les jeunes spectateurs. "Comme il décrit les émotions, on se sent moins seul, nous explique Léonie, âgée de 16 ans. Les émotions qui sont décrites, ce sont des choses que l'on a ressenties. Comme la colère, le fait d'en vouloir à la personne. Les émotions du deuil."
Pudiquement, l'adolescente dit avoir été confrontée au mal-être d'une proche qui a réussi à s'en sortir. "Elle ne nous en a jamais trop parlé."
Il faut libérer la parole pour que cela devienne plus simple pour les personnes qui ressentent ce malheur qui s'est surtout développé avec le Covid. Qu'ils puissent en parler et qu'ils se sentent bien d'en parler.
Léonie, 16 ans
Libérer la parole. Réunis ce jour-là à la Maison des ados de l'Aveyron, les jeunes en mesurent l'importance à travers l'expérience partagée par le comédien. "On voit que lui il va mieux, et donc on se dit qu'on n'est pas seul, qu'on peut en parler et qu'il y a un moyen de s'en sortir", souligne encore Léonie.
La prévention : un travail en commun
Dans l'Aveyron, la signature d'un contrat territorial de santé mentale avec l'agence régionale de santé a notamment permis l'ouverture d'un lieu associatif d'accueil et d'écoute. La Maison des ados. Fabrice Pereira en est le directeur. Il nous présente le bilan de la première année de fonctionnement. "On a eu 350 nouvelles situations". Les chiffres semblent effarants en terme de besoins des jeunes.
On a accompagné 308 situations. Des jeunes qui avaient besoin de trouver un espace pour pouvoir échanger sur des questions de mal-être, de tristesse, d'anxiété.
Fabrice Pereira, directeur de la Maison des ados de l'Aveyron
Au sein de cette structure, les jeunes de 11 à 25 ans et leur famille peuvent bénéficier du travail de prévention mené conjointement par des associations et des professionnels de santé. C'est à la fois un lieu d'accueil, d'écoute, d'accompagnement individuel et collectif, d'évaluation et d'information.
"L'un des objectifs, c'est de permettre aux jeunes de parler de ça. De travailler aussi sur les représentations que l'on peut avoir de la santé mentale, précise le directeur. Parce que, souvent, quand on est jeune on a tendance à dire : moi je ne vais pas aller consulter un psychologue, je ne suis pas fou. Je n'ai pas de souci, je n'ai pas de problème."
Proposer des actions et des ressources pour aider les jeunes à affronter des situations compliquées, cela fait aussi partie du travail mené. Plus largement, les autorités ont mis en place plusieurs dispositifs dédiés aux jeunes. Un service anonyme et gratuit, animé par des psychologues et des médecins est ainsi accessible, tous les jours de 9h à 23h, au 0800 235 236 via le filsantéjeunes.
Un kit de vie pour prendre soin de sa santé mentale est également en ligne via l'association Nightline. Rappelons qu'un jeune sur cinq en France présente des troubles dépressifs, selon le dernier baromètre santé 2021.
(Article écrit sur la base du reportage réalisé par Nathalie Rougeau et Luc Tazelmati)