Témoignage. "On résistait avec nos tripes". Il y a 33 ans, Philippe Arnaud s'oppose à la PAC et devient l'un des fondateurs de la Coordination rurale

Publié le Écrit par Dotte Frederic
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le 2 décembre 2024, la Coordination rurale célèbre ses 33 ans. Le mouvement au départ trans-syndical est né dans le Gers, pour s'opposer à la réforme de la PAC. En pleine colère paysanne, déjà. Philippe Arnaud fait partie des trois cofondateurs.

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À 71 ans, Philippe Arnaud a conservé sa "petite ferme". Pour ne pas perdre la main, après une carrière bien remplie de dirigeant d'une coopérative céréalière. Sans quitter son Gers natal, à quelques encablures de Leboulin près d'Auch. C'est là que "l'aventure" a débuté dans l'hiver 1991. C'était un dimanche.

L'étincelle de la réforme de la PAC

Philippe Arnaud se souvient : "Je dînais chez un ami, à qui je faisais part de ma colère contre la réforme de la Politique Agricole Commune (PAC). L'Europe inventait les primes "à l'hectare", déconnectées de nos productions. Je suis fils de paysans, je ne supportais pas qu'on nie à ce point la qualité de notre travail".

En réformant la PAC, ils faisaient de nous des assistés, c'était indigne.

Philippe Arnaud, cofondateur de la Coordination Rurale

À l'heure du café, le directeur de la coopérative locale Grains d'Oc rejoint deux collègues agriculteurs, Jean-Paul Couvreur et Jacques Laigneau. Les trois partagent le même constat : le tout-puissant syndicat FNSEA dont ils sont proches, ne leur semble pas suffisamment ferme face à la "catastrophe annoncée".

"Ils avaient organisé une manifestation dans Paris pour dire la détresse du monde agricole, mais 3 jours plus tard, ils laissaient des vaches polonaises entrer en France sans réagir en nous expliquant qu'il fallait "s’adapter". Le trio décide de bousculer l'avenir.

Organiser la résistance

Philippe Arnaud se souvient d'avoir envoyé le soir même un courrier aux 400 adhérents de sa coopérative. Une première réunion d'information à Lisle-Jourdain fait un carton. Même chose pour les rencontres nocturnes dans les cantons. "Et pourtant il n'y avait pas encore de portable, et encore moins les réseaux sociaux !" s'amuse celui qui a pris la tête du mouvement de "résistance".

On agissait avec nos tripes, sans imaginer les difficultés à venir

Philippe Arnaud, cofondateur de la Coordination Rurale

"La mayonnaise a pris à Agen'"

Pour marquer la création de cette "coordination rurale", les 3 compères décident d'organiser un meeting inaugural à Agen. C'est un triomphe. "4 000 personnes étaient là, demandant à passer à l'action contre la réforme". Des agriculteurs de toutes obédiences syndicales, des non-syndiqués. Et une nuée de journalistes curieux de ce nouveau mouvement agricole.

Jacques Arnaud, élu secrétaire général, cherche alors avec ses camarades à rallier la FNSEA à plus de radicalité. "On est allé voir le président de la FNSEA Raymond Lacombe en Aveyron. On lui a dit : servez-vous de l'armée qu'on est en train de lever. On a eu une fin de non-recevoir".

Embraser les campagnes

À Noël 91, forts de leur succès, les fondateurs de la coordination passent à la vitesse supérieure. Ils cherchent le moyen de montrer les muscles face à l'intransigeance du ministre de l'agriculture de l'époque Louis Mermaz. "On a eu l'intuition que la force des paysans, c'est d'être présents partout, avec des tracteurs qui peuvent bloquer les routes".

Philippe Arnaud initie alors un véritable plan de bataille, pour préparer la riposte, partout en France.

On a demandé aux paysans de mettre du matériel partout sur les accotements. Prêt bloquer les routes le jour dit.

Philippe Arnaud, cofondateur de la Coordination Rurale

Sur écoute

Au printemps 2012, la grogne monte. Et le gouvernement s'inquiète de ne pas avoir de prise les leaders de ce nouveau mouvement. Philippe Arnaud découvre que ses conversations téléphoniques sont écoutées. "Un jour, alors que je composais un numéro depuis la maison pour passer un appel, j'entends dans le combiné 'Allo, ici préfecture régionale de police, bonjour !'". Le septuagénaire avoue qu'il a bien ri

Juin 92 : le blocus de Paris

Pour remporter son combat contre la réforme de la PAC, la jeune confédération paysanne prépare une action d'éclat à la fin du printemps 1992. Depuis une ancienne école villageoise près de Chartres, ses fondateurs mettent au point le blocus de Paris. 2500 tracteurs sont mobilisés, 7 000 agriculteurs et leurs familles prennent position aux portes de la Capitale.

On pensait que le gouvernement cèderait au bout de quelques jours.

Philippe Arnaud, cofondateur de la Coordination Rurale

L'échec de Paris

Le soir du 22 juin, les paysans tiennent toutes les entrées, routes, autoroutes. Paris est coupée du monde.

Mais les forces de l'ordre passent à l'action. Après 24 heures de blocage, dans le journal de 20 heures d'Antenne 2 du 23 juin, Philippe Arnaud annonce la levée du blocus devant l'offensive des gardes mobiles : "Monsieur Quilès (le ministre de l'Intérieur) a choisi d'utiliser la force. Nous nous retirons. Mais nous reviendrons".

Malgré l'amertume, la fierté d'une belle aventure

33 ans plus tard, Philippe Arnaud en reste convaincu : "on est passé tout près de l'emporter". Cette première bataille perdue n'a pas signé pour autant la fin de la Coordination Rurale, bien au contraire. Le mouvement s'est transformé en syndicat en 1995, afin de prétendre à présider les chambres d'agriculture. Avec 21.54% des voix aux dernières élections professionnelles (2019), il est aujourd'hui la deuxième force syndicale derrière la FNSEA.

Positionnement politique

Réputée très à droite sur l'échiquier politique, la Coordination Rurale est restée fidèle aux conceptions protectionnistes et souverainistes développées par Jacques Arnaud.

Cet ancien proche de Philippe de Villiers porte aujourd'hui les couleurs de Reconquête dans son département, tout en prônant "la séparation entre les syndicats et les partis". En tant qu'ancien directeur d'une coopérative, Jacques Arnaud a quitté depuis longtemps les instances du syndicat, "qui doivent revenir aux paysans".

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