Témoignage. Plainte pour viol : quand les victimes ne sont pas entendues par la justice

Publié le Mis à jour le Écrit par Christine Ravier

En Haute-Garonne, deux patientes ont porté plainte contre un radiologue, une troisième pour agression sexuelle. Pourtant la première plainte est classée sans suite, faisant renaître le traumatisme.

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Elles sont trois. Elles ne se connaissent pas mais rapportent des faits similaires : deux viols et une agression sexuelle commis par le même radiologue dans son cabinet lors de consultations sans rapport avec la gynécologie.

Pourtant à ce jour, aucune poursuite. L'une des plaintes a été classée sans suite en décembre 2021. Cette plainte, c'est celle de Julie*. Elle la dépose en 2020. Elle avait le choix de faire appel auprès du parquet général ou de saisir le doyen des juges d'instruction. Elle a préféré la deuxième option et espère voir le dossier rouvert.

Mêmes faits à 12 ans d'intervalle

Pour Anne-Claire Le Jeune, son avocate, le classement pose question : "on a deux femmes qui ne se connaissent pas, qui témoignent des mêmes faits à 12 ans d'intervalle... Clairement ça questionne. D'autant plus que les scènes décrites sont sensiblement identiques en 2007 et 2019. Elles ne sont jamais entrées en contact. Une troisième plaignante décrit, elle, une agression sexuelle. On est sur des violences sexuelles pour les trois".

"Je ne suis pas dans la sacralisation de la parole de la victime, poursuit l'avocate, mais quand elles dénoncent ce type de faits et qu'il y a un classement qu'on ne peut expliquer parce qu'on a tous les éléments au dossier, c'est très difficile. Elles ont le sentiment d'être une nouvelle fois victimes, elle se sentent niées en tant qu'individu. Et ça n'engage pas les autres à témoigner". Donc à faire cesser ces actes. De fait, porter plainte pour viol est déjà en soi quelque chose de difficile.

"Le cerveau disjoncte"

Il a fallu 13 ans à Julie pour oser parler. "Fin 2007, je consulte pour une grosseur sur le haut de la cuisse, le but est de faire une échographie, explique-t-elle. L'examen se passe, je suis en tee-shirt et culotte car la grosseur en question se trouve sur la jambe. Il place la sonde sur la grosseur et ne dit rien. Je me relève pour me rhabiller et partir. Et là, il m'a dit : attendez ! Il m'enlève ma culotte. Ça commence à tourner dans ma tête, je comprends que quelque chose ne va pas, mais je reste tétanisée".

"Il enfile des gants et se met à mettre ses doigts dans mon vagin. C'est très violent. Je me dit que s'il continue il va me perforer... Après je ne me souviens plus de rien. Mon cerveau a disjoncté. D'après des études, il y a une telle montée d'adrénaline quand on a peur que le cerveau disjoncte pour ne pas qu'on meurt de peur", termine Julie encore saisie par l'émotion.

Mémoire traumatique

Commence alors pour la jeune femme de 30 ans une amnésie traumatique, un phénomène étudié par la psychiatre Muriel Salmona*. Cette amnésie va durer 5 ans. Julie ne se souvient pas de l'agression mais perd 10 kg, elle a mal au ventre et n'a plus d'appétit. Elle a peur d'être dehors, elle a peur des gens, elle se sent insécurisée en permanence. Son mari, qui ne comprend pas, lui demande ce qu'elle a, pourquoi elle est bizarre, pourquoi elle est tout le temps fatiguée.

"Je n'avais pas d'explication, se souvient Julie. J'en parle à mon médecin qui s'inquiète de mon état. Je vois un psychiatre durant plusieurs années sans qu'aucun souvenir ne revienne. Mais 5 ans plus tard, en 2011, quand j'ai eu mon premier fils, j'ai commencé la nuit à avoir des flash-back. Je me demandais : est-ce que ça m'est vraiment arrivé ? Est-ce que je suis folle ?Je n'en ai parlé à personne. Je préférais penser que j'étais folle plutôt que de dire que j'avais été violée par un radiologue en plein après-midi alors que mon mari m'attendait dans la salle d'attente".

En 2020, Julie est appelée à témoigner à la gendarmerie pour une affaire qui concerne une de ces collègues. Jusque là elle n'a pas franchi le pas, mais tel qu'elle se décrit, "bouffée par le souvenir traumatisant", elle décide que ce jour-là, elle va en parler.

À la fin de l'entretien, lorsque les gendarmes lui demandent si elle a quelque chose à ajouter. Elle ose enfin dire qu'elle veut porter plainte. Mais elle n'arrive pas à mentionner le nom du radiologue. Elle sort juste la pochette en carton fournie avec l'échographie, sur laquelle figure le nom du médecin.

La réaction des gendarmes est surprenante... "ils disent : ah non, pas encore lui ?!"

Julie

"Ils m'interrogent, je raconte les faits mais je n'ose pas parler de viol. Quand je suis sortie de là, j'ai appelé ma mère, mon frère, mes amis et je leur ai dit ce que j'avais vécu. Puis petit-à-petit j'en ai parlé à des gens du coin et ce qui m'est revenu, c'est que ça se savait dans tout le Comminges que ce radiologue faisait ça".

L'enquête préliminaire dure 18 mois. Lors de la confrontation, le médecin justifie ses actes en expliquant qu'il s'agit de gestes médicaux. "C'est terrible car pour moi qui venait de Paris, un viol c'était un type avec un couteau, la nuit. Pas un médecin en pleine journée. C'est un conditionnement sociétal, l'effet "blouse blanche" : on laisse nos corps à disposition du médecin. On n'informe pas les patients de leurs droits. On n'est pas formé à dire non, la notion de consentement n'existe pas et ça ouvre la porte à des pervers".

"Faute d'éléments suffisants"

Julie aujourd'hui âgée de 45 ans, attend en vain des nouvelles. Elle s'attend à ce que le médecin soit mis en examen, mais il n'en est rien. Au contraire, elle reçoit en décembre 2021 une lettre du tribunal. Sa plainte est classée sans suite faute d'éléments suffisants. "Au trauma du viol, s'ajoute le trauma judiciaire, explique-t-elle. Aujourd'hui, je lis la réaction du procureur dans La Dépêche. Il dit que la justice doit se faire dans les tribunaux. Moi aussi je le dis... À bon entendeur..."

Une réaction que partage Anne-Claire Le Jeune qui a donc entamé un recours en août avec constitution de partie civile. "C'est quand même assez extraordinaire que des fadettes aient été ordonnées pour déterminer via leur téléphone si les victimes se connaissaient, ce qui a d'ailleurs prouvé que le seul numéro commun qu'elles avaient, était celui du commissariat de Saint-Gaudens, note l'avocate. Et que les personnes qui ont travaillé avec le radiologue pendant 30 ans n'aient pas été entendues, ni qu'aucune investigation n'ait été faite sur le matériel informatique du médecin sur son lieu de travail ou à son domicile".

Recours auprès du doyen des juges d'instruction

L'avocate poursuit en expliquant que des experts, eux-mêmes radiologues, nommés lors de l'enquête, attestent qu'un radiologue n'a pas à effectuer de touchers vaginaux sauf à la demande explicite d'un gynécologue.

L'avocate de Julie a déposé une plainte auprès du doyen des juges d'instruction. Un juge devrait être nommé et l'enquête rouverte. Nous avons tenté de joindre le procureur de Saint-Gaudens. Mais il n'a pas donné suite à nos sollicitations.

*Julie est un prénom d'emprunt.

*Sur le site Mémoire traumatique et victimologie, le Dr Muriel Salmona décrypte les mécanismes psychologiques et neurobiologiques psychotraumatiques.

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