#20ansexplosionAZF Souvenez-vous, c’était il y a 20 ans, à Toulouse. Le 21 septembre 2001, l’explosion du hangar 221 de l’usine AZF fait 31 morts et des milliers de blessés. Christian Pizzocaro était alors le commandant des secours. Il se souvient de cette journée hors normes. Témoignage.
Ils sont ouvriers, professeurs, commerçants, à la retraite, médecins, pompiers, élus. Ils ont tous les âges. Ils sont toulousains. Et le 21 septembre 2001, à 10h17, ils ont vécu l'explosion du hangar 221 de l'usine AZF, la plus grande catastrophe industrielle en France depuis la seconde guerre mondiale. Ils ont été marqués, choqués, qu'ils soient indemnes ou blessés, sinistrés ou dans le deuil. Vingt ans après, France 3 Occitanie est allée à leur rencontre. Pour recueillir leurs paroles.
"Un grand bruit de la puissance d'un avion qui franchit le mur du son"
Le 21 septembre 2001 au matin, Christian Pizzocaro est en réunion à Colomiers, au Service Départemental d'Incendie et de Secours de Haute-Garonne. Colonel des sapeurs-pompiers, il se souvient qu'il y avait pas mal de participants. Des officiers, des syndicats, des membres du Conseil d'administration. "Et à un moment donné, on entend un grand bruit, de la puissance d'un avion qui passe le mur du son mais dans une octave bien inférieure. Immédiatement, on sent que quelque chose d'anormal s'est passé." Christian Pizzocaro se rapproche alors tout natuurellement vers le centre d'appels.
Là, je vois tous les numéros du 18 en rouge avec des appels qui font état d'explosions dans le métro, à la Camif, dans des grands magasins, à la Sécurité sociale, etc.
"Je ne peux pas mettre en doute les dires et les témoignages des gens qui appellent", poursuit celui qui va diriger les opérations de secours dans la ville rose ce jour-là."Mais il n'y a pas de cohérences entre ces différents témoignages. Donc, je monte sur le toit pour vérifier mon scénario : on s'était tous fait des films mais le mien, c'était qu'un avion d'essai s'était crashé parce qu'Airbus n'est pas loin de là où on était. Et c'était déjà arrivé".
Arrivé sur le toit, je vois ce panache roux qui monte vers le ciel au sud de Toulouse. Et c'est là que je comprends immédiatement qu'il y a eu un problème majeur sur le site chimique où se trouvaient AZF et la SNPE, la Société nationale des poudres et explosifs.
"Black-out complet"
Retour au centre d'appels 18. "Avec les officiers, on commence à s'organiser pour dire : qui fait quoi ? J'envoie trois officiers sur le plateau chimique sud de Toulouse mais par des itinéraires différents. Histoire de prendre le pouls de l'agglomération toulousaine et voir ce qui se passe." Christian Pizzocaro constate alors que tous les réseaux radio et téléphone sont en panne. Impossible de réceptionner les appels au 18. Impossible également de déclencher des alertes par système informatique. "On ne peut donner aucun ordre de partir aux casernes, et surtout pour où, et pour quoi faire. C'est le black-out complet au niveau des communications".
Christian Pizzocaro choisit de passer par le centre-ville de Toulouse. Tout se passe normalement jusqu'à ce qu'il arrive aux allées Charles-de-Fitte où il voit des bouchons inhabituels, avec des voitures arrêtées portières ouvertes, moteur tournant.
"Un univers complètement chaotique"
"Plus je me rapproche d'AZF et plus c'est atypique. Des étals d'épiciers renversés sur le trottoir, des dizaines voire des centaines de gens qui refluaient vers le centre-ville, plus aucune circulation".
J'ai l'image de zombies, c'est-à-dire de gens complètement silencieux, qui se soutiennent, plus ou moins blessés.
Le commandant des secours poursuit sa route. Force le passage entre ferrailles et béton pour passer sous la rocade et rejoindre le site d'AZF. "Je vais vers là où je savais être les bâtiments de la direction, au fond du site, et là je croise quelqu'un qui sort, qui m'aborde et me dit : Monsieur, il va y avoir une deuxième explosion au moins aussi puissante que la première dans les vingt à trente minutes qui viennent. Là, les pensées me submergent car je n'ai pas de secours, je n'ai pas de moyens de transmission, je ne sais pas ce qu'il se passe, je suis seul dans un univers complètement chaotique." Deux autres personnes lui assurent que le site est sécurisé pour les heures à venir.
Je suis dans une situation de pile ou face, de quitte ou double. Le métier de pompier, ce n'est pas de jouer au poker et dans ces affaires-là, le vrai patron, c'est le préfet. Mais il était aux abonnés absents pour moi, comme j'étais aux abonnés absents pour lui.
Aucun reproche dans cette remarque de Christian Pizzocaro. Bien au contraire, le sapeur-pompier se souvient que le préfet est "quand même resté une heure sans informations fiables qui remontent du terrain, faute de téléphone". Par principe de précaution, Christian Pizzocaro décide de faire évacuer Toulouse, "par cercle concentrique de 500 mètres. En sachant pertinemment que ce n'était absolument pas satisfaisant et qu'au-delà peut-être du gros bazar que ça allait provoquer s'il y avait une autre explosion, ça allait sauver quelques vies supplémentaires. Voilà dans quel état d'esprit j'étais".
Ensuite, avec le peu de puissance d'émission radio qu'il reste, le commandant Pizzocaro comprend que des sapeurs-pompiers spécialisés en chimie sont aux abords et à l'intérieur de l'usine. Leurs premières mesures sont plutôt réconfortantes. Hormis le chlore, le nitrate et l'ammoniaque présentent des valeurs acceptables, qui vont en diminuant et provoquer quelques petites irritations. "À partir de là, j'ai décidé d'abandonner l'évacuation partielle de Toulouse pour revenir sur l'engagement massif de secours et rentrer sur le site d'AZF.
"La crise majeure, ça, on sait faire"
Après, il s'est agi de s'occuper des blessés, de créer un hôpital de campagne, ce qu'on appelle un poste médical avancé. Tous les plans ont été déclenchés mais ils ne pouvaient pas s'appliquer sur le terrain faute de communication, et aussi parce que certains endroits retenus pour accueillir telle ou telle organisation étaient détruits. On a donc décidé avec le médecin-chef des pompiers et la directrice adjointe du Samu d'installer l'hôpital de campagne dans le centre de rééducation des invalides civils, au rond-pond de Croix de Pierre. Quand j'ai pu l'annoncer, ça a été les mots magiques car tout le monde savait quoi faire, où le faire, comment le faire, et avec qui le faire".
A partir de là, on a basculé dans un univers de chaos à un univers de crise majeure. Et la crise majeure, ça, on sait faire.
Christian Pizzocaro le reconnaît volontiers, on ne pouvait être préparé à ça, puisque l'idée fondamentale, c'est de se dire que ça ne peut pas arriver et que si ça arrive, on ne sera jamais seul. "Cela ne marche pas comme ça, du tout du tout... Donc maintenant, l'idée basique, c'est de se préparer à être surpris, à faire face et à réagir à un univers chaotique".
Passé ce moment, les pompiers ont dû aussi faire un travail avec les médias car les images de Toulouse dévastée commençaient à faire le tour du monde. "Il fallait éviter cette image anxiogène qui était diffusée en boucle d'abord au local, puis au national et à l'international parce que les gens étaient dans l'anxiété la plus totale". L'idée est de voir d'autres images montrant que la situation était davantage sous contrôle, et le risque maitrisé pour les heures à venir. Histoire de "sécuriser les gens."
Le commandant Pizzocaro a quitté le site d'AZF à 4 heures du matin, le jour suivant l'explosion. Aujourd'hui, il dit avoir été frappé, non par les images de mort, mais par une sensation de grande précarité, face aux yeux hagards des pompiers attendant des réponses qu'il ne pouvait donner. "Quand je revois des photos de gens blessés qui se soutiennent, je suis émotionnellement déstabilisé".
Retrouvez l'ensemble de la série de témoignages recueillis à l'occasion des 20 ans de l'anniversaire de l'explosion de l'usine AZF.