Souvenez-vous, c’était il y a 20 ans, à Toulouse. Le 21 septembre 2001, l’explosion du hangar 221 de l’usine AZF fait 31 morts et des milliers de blessés. Christophe Ghiani, sapeur-pompier, se souvient de s'être "assis au bord du cratère pour essayer de digérer" ce qu'il avait sous les yeux.
Ils sont ouvriers, professeurs, commerçants, à la retraite, médecins, pompiers, élus. Ils ont tous les âges. Ils sont Toulousains. Le 21 septembre 2001, à 10h17, ils ont vécu l'explosion d’AZF. "Impression de chaos". "C’était l’horreur, la guerre…". Tous ont été marqués, choqués. Qu'ils soient indemnes ou blessés, sinistrés ou dans le deuil. 20 ans plus tard, Christophe Ghiani, sapeur-pompier, se souvient parfaitement du déroulé de cette journée inédite.
"On est soumis à notre propre décision"
"L'équipe de garde du CS Toulouse-L'Union est en train de préparer sa manoeuvre journalière", se rappelle Christophe Ghiani, "quand une violente explosion se produit, nous projetant violemment à terre. Très rapidement, on s'aperçoit qu'autour de nous, des vitres sont cassées, des gens courent dans tous les sens en criant qu'il y a eu un attentat. Il n'y a aucune donnée précise et on essaie de joindre notre centre de traitement des appels mais malheureusement, on n'a pas de communication avec l'extérieur. On est quelque part soumis à notre propre décision.
Christophe Ghiani se souvient que le personnel a été réuni, que tout le monde est monté dans les véhicules. "On se répartit une reconnaissance sur l'agglomération toulousaine, en allant de préférence dans le centre ville parce que c'est notre secteur d'intervention. Il s'agit de lever le doute sur un hypothétique attentat parce qu'on nous a signalé différentes adresses. Et comme on est dix jours après les attentats du 11 septembre, c'est une évidence pour nous que dans un premier temps, il s'agit peut-être d'un attentat".
"AZF rayé de la carte"
"Les reconnaissances que l'on mène ne nous donnent rien à voir de probant. Beaucoup de vitres cassées, des gens légèrement blessés mais pas d'impact fort et pas de témoignages qui se recoupent. Jusqu'à cette communication radio assez brève d'une personne du SDIS31 (Service départemental d'incendie et de secours), passant à proximité du site et qui nous annonce, par un message assez laconique, que le site AZF a été rayé de la carte.
Immédiatement, on s'achemine vers le site qu'on est amené à rallier via l'île du Ramier. On passe donc par le site de la SNPE, qui est voisine d'AZF, et sur lequel on retrouve des pompiers en train de porter assistance à des personnes blessées. Ils nous confirment que l'explosion vient bien de l'autre côté de la Garonne."
Arrivé sur le site, Christophe Ghiani éprouve une certaine incompréhension. "On n'a pas plus de repères géographiques. C'est une entreprise qu'on connaissait bien parce qu'on y manoeuvrait très régulièrement. Mais là, il y a un sentiment de ne pas reconnaître les lieux. Il y a des fumées oranges qui se propagent au-dessus du site et très rapidement, quand on arrive à la porte A, un nombre très important de victimes, qui sont plus ou moins valides".
"Désorientés"
Personne n'aurait pu imaginer une telle catastrophe et de telles circonstances d'intervention, selon Christophe Ghiani. "Les premières réactions immédiates sont de prêter main forte, de porter assistance aux victimes qui sortent du site. Dans un premier temps, récupérer les personnes valides pour les envoyer assez loin vers le centre-ville et dans un second temps, sortir les gens invalides ou difficilement mobiles. Puis, petit à petit, procéder aux reconnaissances pour lever le doute sur la présence ou non de victimes sur le site.
Ce jour-là, on n'a plus de repères. Nous ne sommes pas paniqués mais surtout désorientés. Désorientés vis-à-vis de la tâche, désorientés vis-à-vis de l'ampleur, désorientés vis-à-vis du manque de moyens initiaux qu'on a sur place.
Les deux premières heures d'intervention des sapeurs-pompiers s'avèrent difficiles. "On doit gérer un afflux de victimes et des missions de recherches qui sont bien supérieures à ce qu'on peut traiter normalement". Un schéma d'organisation des secours va se mettre en place, au fur et à mesure de l'arrivée des renforts.
On a des blessures importantes dues au "blast", aux projections de matériaux, à des brûlures pour certains. On a une pathologie des victimes qui est multiple et variée et qui nécessite d'avoir des moyens rapidement sur place.
"Je ne me sentais pas de partir"
Comme tous ses collègues, Christophe Ghiani reconnaît le soulagement qu'il a éprouvé, quand l'organisation des secours a pu se mettre en place. "À partir du moment où on revient à une organisation que l'on connaît, on met en place ce qu'on appelle nos fondamentaux, c'est-à-dire la présence d'une sectorisation, d'un poste de commandement, avec une organisation hiérarchisée et un nombre de moyens qui arrivent de manière importante grâce aux renforts venus des départements limitrophes.
À partir du moment où la relève arrive, se pose la question de partir. "Mais je n'étais pas dans cet état mental... de partir", confie Christophe Ghiani. "Jusqu'à ce que mon chef de centre m'expulse manu militari". Je suis resté jusqu'au lendemain matin, cela fait à peu près 28 heures d'intervention. Je ne me sentais pas de partir donc je suis resté bien au-delà de ce que j'aurais dû."
Le pompier se souvient aussi de la forte impression ressentie aux abords de ce qu'était devenu le hangar 221 de l'usine. "Au départ, on travaille pour les victimes. On sait qu'il y a eu une explosion mais on ne sait pas où elle a eu lieu. Le sapeur-pompier se doute que là où cela a explosé, tout doit être détruit. Les équipes de secours commencent à s'organiser. Et Christophe Ghiani s'aperçoit de la présence d'un énorme monticule de terre à proximité.
Par réflexe, on escalade ce monticule de terre... et là, on découvre un cratère qui fait 70 mètres de diamètre. Là, forcément, on prend pleinement l'ampleur de la catastrophe. Et on s'assoie au bord du cratère pour essayer de digérer l'information visuelle qu'on vient de recevoir.
Retrouvez tous les épisodes de la série de témoignages sur les 20 ans de l'explosion de l'usine AZF.