15 mars 2012 : le tueur au scooter, Mohammed Merah, se lance dans une nouvelle attaque. Trois enfants de l'école Ozar-Hatorah et un papa sont assassinés. Parce qu'ils étaient juifs. 10 ans plus tard, les proches ont du "apprendre à vivre avec la douleur". Témoignages.
Dieu a donné, Dieu a repris. Ici repose Jonathan Sandler, entouré de ses deux fils, assassinés à Toulouse parce qu’ils étaient juifs, le 19 mars 2012. Les mots sont gravés dans la pierre d’une sépulture, au Mont des Répits, dans le cimetière de Guivat Shaoul qui fait face à Jérusalem. A quelques mètres, repose Myriam Monsonego, 8 ans. Elle aussi abattue dans la cour de son école, à 3.000 kilomètres de là. C’était il y a dix ans : la troisième attaque terroriste menée par Mohammed Merah, après celles visant des militaires à Toulouse et Montauban.
"Je vis avec cette tragédie"
C’était un lundi. Le 19 mars 2012, l’heure de l’école. Il est environ 8h lorsque celui que l’on surnomme alors le tueur à scooter se présente devant l’école Ozar-Hatorah. Il se met à tirer. Abat froidement des enfants et un papa enseignant. Myriam Monsonego, 8 ans. Arié Sandler, 6 ans. Gabriel Sandler, 3 ans. Et Jonathan Sandler sont morts sous les balles du terroriste Merah, parce qu’ils étaient juifs. "Je me dis que pour eux, un pistolet, ça ne devait être que pour faire des batailles d’eau comme pour tous les enfants de leur âge, ce n’est pas censé leur faire connaître les guerres, le sang…"
Dix ans plus tard, « la douleur est ancrée en moi, toujours aussi intense. » Eva Sandler accorde rarement une interview. Mais à l’occasion de ce dixième anniversaire, et au nom du devoir de mémoire, elle a accepté de rencontrer une de nos équipes.
Le temps n’efface rien du tout. C’est juste qu’on apprend à vivre avec cette douleur, à l’image d’une personne qui se ferait amputer d’un pied et qui apprendrait à remarcher, à revivre, à continuer d’avancer dans sa vie, avec cette douleur-là et ce membre en moins…. C’est ce que j’essaye de faire.
Eva Sandler
Samuel Sandler, le grand-père d’Arié et Gabriel, et père de Jonathan, lui-aussi reste inconsolable. "Je n’ai jamais accepté", confie-t-il face aux sépultures, au Mont des Répits.
"Je suis là au cimetière, je vois bien les noms, mais au fond de moi-même j’ai toujours cru qu’un jour je les reverrai. Je n’ai jamais accepté, et je pense que je n’accepterai jamais." La famille de Samuel Sandler a connu la déportation lors de la seconde guerre mondiale.
Il est venu parce qu’ils étaient devant une école juive. C’est à ce titre là qu’il les a tués. Comme pendant la guerre, les Nazis ont tué les Juifs. Et lui, il a fait la même chose. Même pire, parce qu’il a tout filmé.
Samuel Sandler
Samuel Sandler nous montre des photos qu’il garde avec lui, dans son ordinateur portable. Une photo prise à Deauville, "l’une des rares où on est tous les quatre". On peut y voir Jonathan, sourire aux lèvres, portant Arié. Et à ses côtés, Gabriel dans les bras de son grand-père.
En fait, je ne vis que pour perpétuer la mémoire de mon fils et de mes petits-fils. Chaque occasion est bonne. Je tiens à prendre la parole parce que ça me permet de citer le nom des enfants, de Jonathan, Arié et Gabriel. C’est ma manière de les faire vivre.
Samuel Sandler
"Tout faire pour que cela ne se reproduise plus"
Les parents de Myriam Monsonego ont choisi de rester à Toulouse, et sont toujours en charge de l’école rebaptisée depuis Ohr Torah. En revanche, comme beaucoup d’autres familles de la communauté juive de Toulouse, y compris d’anciens élèves d’Ozar-Hatorah, Eva Sandler s’est installée en Israël.
Depuis la mort de Jonathan et de ses deux garçons, Eva Sandler avoue que les bruits d’une moto ou de simples pétards continuent de la mettre mal à l’aise. "J’envisageais un jour de revenir en Israël parce que c’est un pays qui m’est très cher", nous dit-elle. Eva Sandler raconte qu’elle a pris la décision de partir, au lendemain du 9 janvier 2015. Date de la prise d'otages au magasin Hyper Casher à la Porte de Vincennes à Paris. Deux jours après l’attaque de Charlie Hebdo, celle-ci fait quatre morts. Tous sont juifs.
J’avais vraiment l’impression de revivre tout cela, de me sentir une nouvelle fois victime et là j’ai dit stop. Le 10 janvier, ma décision était prise, je repartais. (...) C’était un point de non-retour.
Eva Sandler
Eva Sandler dit aujourd’hui se sentir " un peu plus en sécurité en Israël". " Même si c’est un bien grand mot, difficile à définir". Mais ce qui importe aujourd’hui c’est le devoir de mémoire, et par-dessus tout, que cessent les actes terroristes et antisémites. "Et pas seulement pour une ou deux décennies, mais que cela s’arrête complètement."
Je ne sais pas si la machine est déjà trop bien lancée pour qu’on puisse l’arrêter, mais au moins que l’on fasse tout ce que l’on peut pour que cela ne se reproduise plus. Ni Charlie Hebdo, ni le Bataclan, ni l’Hyper Casher, ni le père Hamel, Nice… Plus rien de tout cela ne peut se reproduire, ce n’est pas possible. C’est inhumain.
Eva Sandler
"On tient debout pour ne pas leur donner cette victoire. Malgré la douleur, on continue de vivre. Ils n’auront pas le dernier mot", rajoute Eva Sandler pour terminer cet entretien. Ce dimanche 20 mars 2022, Emmanuel Macron, le président de la République et Isaac Herzog, président de l’État d’Israël seront à Toulouse pour la commémoration des dix ans de ces attentats de Toulouse et Montauban, commis entre le 11, 15 et 19 mars 2012, par Mohammed Merah.