TEMOIGNAGE. L'armée, cible du terroriste Merah, c'était il y a tout juste 10 ans à Montauban

Il est 14h20, le 15 mars 2012. Trois militaires du 17e RGP de Montauban se font tirer dessus par un homme à scooter. C'est le deuxième attentat commis par Mohammed Merah. 10 ans plus tard, Christian Venard, ancien aumônier du régiment, se confie. Raconte l'horreur.

15 mars 2012. Ce jour-là, Christian Venard, alors aumônier au sein du 17e RGP de Montauban a prévu de prendre le café avec deux jeunes veuves du régiment. Et comme il faisait extrêmement beau, "grand soleil et tempête de ciel bleu", il s'installe en terrasse en début d'après-midi. Et puis, "on a entendu des coups de feu. Des coups de feu dans un régiment, ce n’est pas si extraordinaire que cela, sauf qu’à cet endroit-là, c’était quand même un petit peu étonnant."

Christian Venard ne le sait pas encore, mais trois soldats viennent d'essuyer les tirs de Mohammed Merah. Quatre jours plus tôt, Imad Ibn Ziaten, lui-aussi militaire a été tué à Toulouse. L'armée, cible d'un attentat terroriste dans le Tarn-et-Garonne... Incompréhensible sur le moment. Et dix ans plus tard, les récits sont toujours aussi glaçants.

"Je marchais sur les douilles"

Quelques minutes après avoir entendu les coups de feu, l'aumônier voit passer un parachutiste qui lui dit à la volée : "Padre, y a eu un accident. On a des mecs de chez nous au sol. Où ? Dans la rue." Christian Venard part immédiatement en courant vers le lieu indiqué. Sort du régiment, prend à droite pour arriver à ce carrefour "devenu trop célèbre", où Mohammed Merah vient de tuer deux soldats et d'en blesser très grièvement le troisième. Le régiment se situe juste à côté de l’hôpital de Montauban, alors l’alerte a déjà été donnée. "Quand je suis arrivé sur place, il y avait déjà des équipes d’intervention de l’hôpital qui étaient là, ainsi qu’un certain nombre de militaires de passage."

Un élément qui m’a énormément frappé en arrivant, c’est de marcher sur les douilles. J’avais le sentiment d’être comme dans un film.

Christian Venard

Ancien aumônier du 17e RGP de Montauban

L'aumônier se précipite vers la plus proche victime. "Il se trouve que c’était Abel Chennouf. Et là, il y avait un médecin urgentiste qui, voyant mon uniforme et ma croix sur la poitrine, m’a regardé et m’a dit : malheureusement je crois que je ne peux plus rien pour lui."

Prière pour les morts

Dix ans plus tard, les sanglots montent dans la voix de Christian Venard. Mais il reprend son récit, raconte qu'il a pris la place du médecin urgentiste, s'est placé au niveau de la tête d'Abel, et lui a pris la main.  "Et j’ai tenu la main d’Abel tant que je sentais qu’il était en vie. À un moment donné, qu’on peut difficilement raconter, j’ai senti qu’il n’était plus là. Et donc j’ai dit les prières pour les morts."

Christian Venard se relève et se dirige vers un deuxième soldat. Loïc L. "Quand je suis arrivé, l’équipe qui s’occupait de lui a dit : on l’a perdu." Quelques instants plus tard. Un membre de l'équipe de soins s'écrie, "il revient, il revient". L'aumônier se retrouve à tenir "du matériel médical qui était relié à Loïc", jusqu'à son départ en ambulance. "Puis je suis allé vers Mohamed qui était encore au sol".

Christian Venard interrompt son récit. Souffle. Respire avant de reprendre le cours de ces douloureux souvenirs.

Il y avait cette infirmière du régiment qui elle-même rentrait d’opération, et elle essayait absolument... elle voulait sauver Mohamed. Il a fallu quasiment la sortir de force parce qu’on ne pouvait plus rien pour lui. Donc j’ai fait exactement comme pour Abel, je me suis mis à même le sol, je lui ai pris la main et j’ai dit la prière pour les morts. Je ne savais pas à ce moment-là que Mohamed était musulman.

Christian Venard

Ancien aumônier du 17e RGP de Montauban

Traumatisme

Sur le coup, Christian Venard a la conviction que cette attaque est liée à l’Afghanistan. Après l'assassinat d'Imad Ibn Ziaten quatre jours plus tôt à Toulouse, des consignes de vigilance ont été données dans tous les régiments. "On savait que notre pays, la France était très régulièrement menacée par différentes forces terroristes, notamment à cause de son engagement en Afghanistan. Sur le moment, je crois que c’est ça", raconte l'ancien aumônier.

Christian Venard précise que les militaires sont formés, préparés et habitués au risque. "J’ai été projeté plus de 16 fois pendant ma carrière d’aumônier militaire sur toutes sortes de théâtre d’opérations, en ayant vécu parfois des situations assez extrêmes." Mais ce 15 mars 2012, cet attentat, Christian Venard avoue aujourd'hui, c'était tout autre chose.

Vivre cette scène en Afghanistan, en Côte d’Ivoire ou au Mali, ça on s’y prépare et on sait qu’on peut le vivre. (...) Ce qui était au-delà de ce que je pouvais imaginer, c’était que ça puisse se passer à cet endroit-là.

Christian Venard

Ancien aumônier du 17e RGP de Montauban

L'aumônier militaire reconnaît avoir développé un syndrome post-traumatique. Au point de ne plus supporter de passer par le carrefour où Mohammed Merah a commis son attentat. "On ne se réveille plus de la même manière, on ne pense plus de la même manière. Il y a des choses que l’on ne supporte plus."

J’ai réalisé dans les mois, dans les années qui ont suivi, qu’il y a quelque chose qui était cassé au fond de moi. Une lassitude intérieure se faisait jour. Ça m’avait très profondément marqué, et pétrifié dans certains aspects dans ma vie.

Christian Venard

Ancien aumônier du 17e RGP de Montauban

Il finit par quitter le régiment de Montauban, pour servir au sein de la gendarmerie à Bordeaux.

Refus d'une forme de normalité

En ce mois de mars 2012, la campagne électorale pour la Présidentielle est lancée. Nicolas Sarkozy, François Hollande, Emmanuel Valls vont se précipiter sur les lieux des attentats de Toulouse et Montauban. Les enquêteurs ne vont pas tarder à faire le lien entre cette attaque et celle commise quatre jours plus tôt à Toulouse. Mais à cet instant-là, la prise de conscience n'y est pas.

Président, ministres, candidats à la Présidentielle se déplacent. Mais pour Christian Venard et "beaucoup de mes camarades", le sentiment qui persiste dix ans plus tard, c'est que les hommes politiques, en général, "ont voulu dans un premier temps mettre vraiment la poussière sous le tapis. Et il a fallu attendre les terribles évènements de 2015 pour que, d’un seul coup, on fasse un lien. Que d’un seul coup des langues se délient. Et que même dans la population française, qu’il y ait une prise de conscience".

Le 17e RGP de Montauban est secoué. "il y a alors de l'abattement, une certaine incompréhension", estime l'aumônier militaire. Mais également un sentiment de colère et de révolte. Quatre ans plus tard, la famille de l'un des militaires saisit d'ailleurs la justice afin de faire reconnaître, en partie, la responsabilité de l'État

Je vais le dire, cela va paraitre horrible, mais c'est un peu comme si c’était normal finalement que des juifs perdent la vie parce qu’ils sont juifs. Ou que des militaires perdent la vie, parce qu’ils sont militaires. Et ça c’est quelque chose…. C’est inacceptable.

Christian Venard

Ancien aumônier du 17e RGP de Montauban

L'Armée, prise pour cible dans ses propres quartiers à Montauban par Mohammed Merah. Indéniablement, le régiment va s'en retrouver secoué. "Alors que tous ont payé de leur vie, l’engagement de leur pays contre le terrorisme. Et ça, ça porte un nom : un héros anonyme", tient à préciser Christian Venard, en hommage aux sept victimes tuées à Toulouse et Montauban en mars 2012. Sans oublier Loïc, le troisième militaire visé ce jour-là eu sein du régiment, depuis tétraplégique.

Au soir du 15 mars 2012, pour les autorités judiciaires et policières, la traque de Merah ne va pas tarder à se dessiner. Mais l'assaillant a planifié une nouvelle attaque : celle de l'école de confession juive, Ozar-Hatorah, à Toulouse. Le 19 mars 2012.

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