Témoignages. Drogue : "c'est presque aussi normal que de proposer un café" comment la cocaïne explose et se banalise en France

Publié le Mis à jour le Écrit par Mélanie Caron
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Publiée en mars 2023, une étude de l’Observatoire français Collectif des drogues et des tendances addictives parue en mars 2023 dresse un constat alarmant : en vingt ans, la consommation de cocaïne, deuxième drogue illicite la plus répandue en France, a fortement augmenté. On vous explique.

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"J’ai commencé à 18 ou 19 ans. J’ai trouvé un petit job étudiant et tous mes collègues en prenait. J’ai pu voir les effets que ça avait sur eux et quand on m’a proposé d’essayer, ça ne m’a pas fait peur."  Aujourd’hui, Manon* a 26 ans. Comme 600000 autres Français, la cocaïne fait partie de son quotidien. "Quasiment tous les week-ends, parfois en semaine aussi, même si je travaille le lendemain", précise la jeune femme, toujours sous forme de poudre. Ces deux dernières décennies, la consommation de cocaïne en France s’est nettement accélérée, jusqu’à hisser le pays en seconde place des plus gros consommateurs au sein de l’Union européenne.

Dans la restauration, c'est presque aussi normal de proposer de la coke qu’un café même si ça reste caché aux yeux des clients.

Lise*, jeune diplômée toulousaine

Depuis 2000, l’expérimentation a quadruplé dans la population adulte, même si elle reste bien en deçà de l’expérimentation d’autres drogues, licites et illicites, comme l’alcool ou le cannabis. Pour autant, son usage se démocratise, en particulier auprès des 25-35 ans. "J’ai commencé à prendre conscience qu’il y en avait autour de moi quand je me suis installée dans une grande ville, confie Anna*, Toulousaine bientôt diplômée. C’est surtout dans le cadre de soirées, il y a un gros effet de groupe. On mélange avec l’alcool et ça devient un concours de « qui sera le plus arraché » pour en rire ensuite."

Une analyse partagée par Manon*, qui se voit difficilement passer une soirée sans cocaïne. Mais pour elle, pas question d’être "arrachée" :  "C’est une drogue qui ne me fait pas perdre mes moyens, j’ai confiance en moi… je me sens "au top" et ça me permet de passer d’excellents moments." Pour cette jeune active accro aux fêtes, la cocaïne est devenue un remède à sa timidité et pour le Dr. Nicolas Franchitto, chef du pôle addictologie au CHU de Toulouse, elle est loin d’être la seule : "Cette drogue est souvent utilisée comme un médicament pour combler un manque, ça peut être de confiance en soi."

Un coup de boost

Avec ses effets globaux sur l’organisme, cette drogue est particulièrement appréciée pour son aspect énergisant, stimulant et coupe-faim. "Par son activité, cette molécule augmente la libération des neurotransmetteurs majeurs, explique Céline Eiden, pharmacologue au CHU de Montpellier et rapporteur national pour l’ANSM sur le suivi de la cocaïne. On a donc une tension neurologique et cardiaque en même temps." Une double stimulation déjà dangereuse pour la santé, accentuée bien souvent par une prise d’alcool bien supérieure à ce que l’organisme aurait supporté sans l’apport de cocaïne.

"Les expérimentations sont de plus en plus nombreuses et c’est difficile de les en empêcher. Mais quand on commence à en prendre seul chez soi, c’est très grave."

Dr. Nicolas Franchitto, chef du service addictologie au CHU de Toulouse

Pour beaucoup d’autres, comme Thomas*, ancien chef de bar dans le monde de la nuit, la cocaïne n’a cependant pas grand-chose de festif. "Ce n'est pas une drogue qui change notre état, c'est juste une drogue qui nous fait tenir dans la durée", souligne-t-il. Après 5 ans de prise quotidienne, il a décidé de prendre ses distances avec ce monde-là. Particulièrement représentée dans l’hôtellerie-restauration, où on compte près d’un expérimentateur sur dix, soit trois fois plus que la moyenne, les arts du spectacle, l’information et la communication, Thomas* a rapidement été tenté. 

"Des collègues plus expérimentés m’ont dit « essaye, tu verras, ça sera plus facile". Alors pour tenir ses 70-80 heures semaines, à dormir moins de 5 heures par nuit, Thomas* n’a pas hésité. "La première trace à 7 H 30 du matin, la dernière avant d’aller dormir." Et ces dernières années, la cocaïne tend à dépasser toutes les frontières socio-professionnelles : plus aucun secteur d’activité ne se distingue par une proportion significativement inférieure à la moyenne. "Dans mon entourage, c’est très courant, sans distinction de métiers : il y a des cadres, des ingénieurs, des chômeurs, des gens en CDD… ça ne veut plus rien dire."

Une explosion des saisies

Attention, toutefois, l’effet de banalisation de la cocaïne ne concerne pas toutes ses formes. Malgré une augmentation de sa consommation, la forme de crack, ou encore de cocaïne basée, c’est-à-dire sous forme de caillou à fumer ou injecter, reste plus marginalisée. Selon le dispositif de pharmacosurveillance Oppidum, le crack représenterait moins de 5% des usages. "Mais il est difficile d’avoir des chiffres précis sur cette consommation, car nos outils ne permettent pas de voir exactement ce qu’il se passe sur le terrain. Même si la consommation est moins importante que la cocaïne en poudre, ces produits sont beaucoup plus addictogènes et coupés avec des substances toxiques comme de l’ammoniaque", rappelle la pharmacienne hospitalière Céline Eiden.

Cette banalisation fait qu'il y a des dégâts collatéraux. Quand on laisse la cocaïne traîner à la maison, il y a des intoxications pédiatriques accidentelles.

Céline Eiden, rapporteur national pour l'ANSM sur le suivi de la cocaïne

Tandis que la cocaïne en poudre, elle, s’intègre de mieux en mieux à la société. Avec deux causes, intrinsèquement liées et facilement identifiables : une hausse de la production dans le Monde, presque exclusivement cantonnée à l’Amérique du Sud, et par conséquent, une concurrence sur le marché mondial, qui tire les prix vers le bas. En France, le prix de la cocaïne est estimé entre 50 et 70€ le gramme [un rail équivaut environ à 0,1 gramme], le plus bas jamais enregistré.

Un prix qui varie en fonction des secteurs : certaines villes, proches des plateformes de trafics européens, sont particulièrement exposées. En 2020, trois quarts des volumes ont été saisis en Belgique, aux Pays-Bas et Espagne. Proche de ces portes d’entrées de la cocaïne en Europe, la guerre des prix est déclarée entre les fournisseurs, de plus en plus présents sur les réseaux sociaux. SnapChat, WhatsApp… depuis les années 2010, l’arrivée de la livraison à domicile a changé les habitudes des consommateurs. Plus besoin d’aller au contact de la drogue, les fournisseurs font en sorte qu’elle vienne jusqu’à vous.

Combler un manque

Malgré le constat indéniable de la propagation de la cocaïne en France, l’analyse du changement de mentalité parmi les nouveaux consommateurs reste difficile. Pour Manon*, plusieurs facteurs pourraient entrer en compte : "J’ai l’impression que les soirées technos, où prendre ce genre de drogue est normal, ont joué un rôle en se développant autant. Peut-être aussi que ça reflète un sentiment de mal-être dans notre génération, qui essaye de fuir la réalité."

Selon Anna*, il y a un vrai problème de "surenchère" : "Quand on est adolescents, on commence par des cuites à l’alcool. Puis, on veut quelque chose de plus fort, on passe aux joints. Après, on s’oriente vers les drogues dures." Une limite que s’interdit de franchir la jeune femme, préoccupée de voir ses amis s’y adonner régulièrement. Car même si les effets de la cocaïne ne font plus vraiment peur, leurs conséquences sur la santé ne doivent pas être négligées. D’abord, pour le système nerveux central : « Dans 50% des cas, les complications sont de l’ordre psychiatrique, indique Céline Eiden. Des délires, des paranoïas, tentatives de suicide ou dépression… le reste, ce sont des risques cardiaques, comme des infarctus, tachycardie ou syndrome coronarien. »

Ces dernières années, le Dr Nicolas Franchitto observe une augmentation de la prise chez les très jeunes, étudiants, voire, lycéens et regrette de voir peu d’entre eux consulter les centres d’addictologies : « Ils n’écoutent plus leur corps, même quand les symptômes devraient les inquiéter. Même si, in fine, l’idée est de leur donner les moyens d’arrêter, nous suivons aussi des personnes qui n’ont pas envie d’entrer dans un parcours de soin. » Comme dans tous les marchés illicites, la qualité des produits consommés est très inégale. Avec l’explosion du marché mondial de cocaïne, les produits vendus sont aussi de plus en plus purs. Une plus forte concentration de molécules qui crée de plus grand risque de complications… et une plus forte dépendance.

Anticiper la prise en charge

Selon l’étude de l’Observatoire français Collectif des drogues et des tendances addictives, « les signaux sanitaires relevés en France sont convergents : triplement des recours aux urgences pour un usage de cocaïne entre 2010 et 2022, montée en charge des hospitalisations et des demandes de traitement pour un usage de cocaïne. » Mais pour le médecin spécialiste Nicolas Franchitto, dresser des constats ne suffit plus. « Les prises en charges intégrées, qui mêlent les aspects médico-psychosociaux, on sait comment faire, soutient le médecin. Mais on va rapidement manquer de moyens. » Les moyens pour absorber le volume de tous ces nouveaux patients et surtout, adapter les parcours de soins aux différents profils de consommateurs, avec les structures et le personnel formé nécessaire. Un cheval de bataille primordial dans le secteur de l’addictologie.

Pour les médecins, même si le constat est alarmant, la situation n’est pas encore critique. L’usage de la cocaïne reste encore très loin derrière la première drogue illicite en France, le cannabis, consommé par près de 5 millions de Français chaque année. À l’heure actuelle, les études menées ne permettent pas d’affirmer si cette hausse de la consommation de cocaïne est un simple effet de mode ou si elle s’oriente vers véritable enracinement dans le paysage des addictions.

**Le rapport de l’Observatoire français Collectif des drogues et des tendances addictives, ainsi que ses sources, est accessible ici.

*Tous les prénoms ont été modifiés.

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