Chaque jour, en France, un pharmacien est agressé. Qu'il s'agisse d'une agression verbale, physique ou d'un vol, ces violences se multiplient. Plusieurs professionnels nous racontent.
Tous les pharmaciens interrogés s'accordent à le dire. La crise sanitaire liée au Covid, a changé quelque chose dans leur rapport aux patients. Pire, les agressions se sont multipliées à l'encontre de ces professionnels de santé.
"Encore hier soir, j'ai vu le post d'un confrère sur un groupe Whatsapp. Il nous annonçait qu'il venait d'être cambriolé et agressé. Ce n'était pas en Occitanie, c'était à Versailles, mais c'est révélateur de ce qu'il se passe partout" débute Philippe Vergnes, pharmacien en Haute-Garonne.
Le tournant du Covid
Dans le bilan annuel sur la sécurité des pharmaciens, qui recense les déclarations d'agression des professionnels sur le formulaire de l'Ordre, l'organisme note 366 agressions (verbales, physiques ou vols) sur l'année écoulée.
Un chiffre important, mais qui n'est peut-être pas révélateur de la réalité. "Moins d'une agression signalée sur deux donne lieu à des plaintes, regrette le pharmacien. Il faudrait que les plaintes soient déposées et que, a minima, les agresseurs aient un rappel à la loi ".
Dans le quartier de Saint-Exupéry, à Toulouse, Magalie Belaud reconnaît qu'elle est moins exposée que d'autres de ses confrères, installés ailleurs dans la ville. Toutefois, elle aussi constate une montée de la violence."Depuis le Covid, les gens vont mal, certains sont devenus dépressifs. C'est donc devenu difficile à gérer, au comptoir".
Du travail en amont avec des psychiatres
Pour aider ses équipes à appréhender au mieux ces comportements déviants, Magalie Belaud a fait appel à des psychiatres."Ils nous apprennent des techniques pour éviter l'escalade surtout. Ça ne fonctionne pas de répondre avec de l'agressivité. L'important est d'arriver à désamorcer. On essaie d'expliquer, d'être dans l'empathie et de s'adapter aussi à la personnalité des gens ".
On a installé un punching-ball, à l'étage. Il ne sert pas souvent, mais ça peut être un bon moyen de décompresser.
Magalie BelaudPharmacienne
"On montre tous les jours aux patients qu'on essaie de trouver une solution à leur problème. On travaille avec un logiciel qui indique les disponibilités de produits dans les autres pharmacies. Ensuite, je me mets à leur place. Je comprends que les patients en aient marre...".
Mais il y a différentes manières de manifester sa lassitude. Face à un patient qui s'emporte, il n'est pas toujours facile de désamorcer une situation. Surtout lorsqu'il se considère en manque d'une dose. Des personnalités qui peuvent être changeantes sous le fait des médicaments.
"Il y a eu un changement dans les mentalités, poursuit le pharmacien. La santé est un domaine sensible. C'est le patient qui détermine l'urgence. Et lorsqu'on est malade, on s'estime tous dans l'urgence".
Fausses ordonnances et vraies dépendances
Le point de départ de nombreux conflits, ce sont les refus des pharmaciens de délivrer des médicaments sans ordonnance. Dans les faits, ils ne font qu'appliquer la règle. Mais cela peut créer des tensions. "Des fois, des gens viennent et ils ont besoin de médicaments x ou y, détaille la pharmacienne. Ils se retrouvent dos au mur parce qu'ils n'ont pas géré en amont et se retrouvent donc sans ordonnance ou avec de fausses ordonnances".
Philippe Vergnes va plus loin, en s'estimant être en bout de ligne, d'un système médical épuisé. "Ça ne va pas fort à l'hôpital, chez les médecins... En pharmacie, on fait face à une pénurie d'employés, les pharmaciens et comme les préparateurs".
De son côté, le conseil national de l'ordre des pharmaciens tente de jouer son rôle, pour aider ses professionnels. Il est, notamment, désormais possible de notifier une agression sur le site internet de l'ordre. "Un suivi se met en place, détaille Jean-Marie Guillermin, représentant de l'ordre des pharmaciens en Occitanie. On appelle le pharmacien et un conseiller régional le prend en charge pour lui apporter une aide psychologique et technique".
Petit pas ou grande avancée ? L'avenir le dira. Mais pour chacun de ces trois professionnels, alerter ou dénoncer ne sera peut-être pas suffisant, pour faire changer les mentalités.