Elle a attendu onze ans avant de porter plainte. Agressée sexuellement par un laïc pendant un pèlerinage VTT organisé par le diocèse de Cahors-Rocamadour (Lot) alors qu'elle n'avait que 16 ans, une femme a décidé de briser le silence. Son présumé agresseur a continué d'encadrer des jeunes pendant des années. "Un danger pour d'autres", selon elle.
Pendant plus de douze ans, Clara (prénom d'emprunt pour préserver l'anonymat) a été dans l'impossibilité de mettre des mots dessus et d'en parler avec ses proches. Mais elle n'a jamais oublié l'agression sexuelle qu'elle a subie à l'âge de 16 ans.
Dépôt de plainte pour agression sexuelle sur mineur
Avec la libération de la parole, et les différentes commissions d'enquête sur les faits d'abus sexuels dans l'église, elle a décidé d'écrire à l'INIRR (Instance nationale indépendante de reconnaissance et réparation), instance qui a pour objectif de porter le devoir de justice et de réparation à l’égard des victimes de violences sexuelles dans l’Église quand elles étaient mineures.
L'Instance m'a conseillé d'écrire au Procureur de la République et de porter plainte. J'ai alors été entendue par le bureau d'aides aux victimes (BAV) au tribunal de Narbonne, non loin de mon domicile actuel dans l'Aude.
"J'ai porté plainte pour agression sexuelle sur mineur en novembre 2022 contre Damien (prénom d'emprunt pour préserver l'anonymat)., un laïc au service de l’église et pour non-dénonciation de crime à Narbonne", nous explique Clara. L'enquête est toujours en cours.
Agressée lors d'un pèlerinage par un laïc
En 2011, cette jeune femme, âgée de 16 ans au moment des faits, participait à un "pélé-VTT" dans le Lot. Un pèlerinage marial à vélo pour l'évangélisation des jeunes de 11 à 17 ans. Il était organisé par le diocèse de Cahors-Rocamadour. Clara faisait partie du staff d'encadrement dont le responsable était Damien, un homme très impliqué dans le diocèse à l'époque. Florent Millet, Recteur de Rocamadour, quant à lui, était l'organisateur de ce pèlerinage.
Lors de l'une de nos étapes sur la route, au moment d'aller se coucher, mon responsable a souhaité me parler. Il m'a dit "il faut que je te parle". Il m'a entraîné dans des vignes, seule, non loin de notre camp de base. Je ne comprenais pas ce qu’il se passait. J'étais comme figée. Je n’avais pas trop le choix car c’était mon responsable. Il a commencé à avoir un comportement étrange, il a tenté de m'embrasser et a essayé de me toucher les seins. Au moment où sa main remontait sur ma poitrine, il a été interrompu par le père Florent Millet qui nous cherchait.
Clara, victime d'une agression sexuelle
La jeune femme sera sauvée par le père Florent Millet qui était présent ce soir-là. "Il me cherchait justement car je n'étais pas dans ma tente et il nous a surpris dans les vignes", précise la victime.
Le présumé agresseur s'est alors enfui en courant. "Tout s'est arrêté là, je me suis retrouvée seule avec le père Florent Millet. Je lui ai expliqué ce qui m'était arrivé, il m'a dit "va dans ta tente, on en reparlera demain, j'étais très mal, je pleurais devant lui", poursuit la jeune femme.
"Je n'ai pas pensé à une agression sexuelle"
Un récit corroboré par le père Florent Millet que nous avons pu joindre par téléphone. Il se souvient de ce pèlerinage en VTT et de cette soirée où Clara avait disparu.
"Effectivement, je ne la trouvais pas, je me suis mise à la chercher, nous explique le père Florent Millet. J'ai compris qu'il y avait un malaise quand je l'ai retrouvé mais je n'ai pas du tout pensé à une agression sexuelle, je découvre les faits, je suis très surpris. Si tel a été le cas, je comprends sa démarche, elle a eu raison de porter plainte".
Le père Florent Millet a d'abord interrogé le responsable d'équipe le soir même pour essayer de comprendre pourquoi la jeune femme n'était pas à son poste d'animatrice. "Il m'a répondu qu'elle n'allait pas très bien et qu'il avait pris du temps pour parler avec elle."
Le religieux n'aurait rien soupçonné. Pourtant il nous confirme qu'il aurait eu des explications avec la jeune femme quelques jours plus tard. Il aurait alors proposé à la jeune Clara de porter plainte.
Elle a refusé de porter plainte. Si j'avais su que c'était aussi grave j'aurai agi autrement, c'est sûr. A l'époque on n'était beaucoup moins bien formé à gèrer ce genre d'agressions. Concernant Damien il cherchait l'âme soeur c'est sûr, mais pas au point d'imaginer qu'il puisse agresser une jeune femme. Je n'ai pas eu d'autres retours de ce type le concernant.
père Florent Millet
L'Église aurait dû agir
Une inaction juridique que confirme la victime et qui la choque aujourd'hui. "Le lendemain le père Millet m'a proposé de porter plainte en effet, mais à l'époque j'étais trop mal. J'étais très jeune surtout, je me sentais responsable. Avec du recul, j'étais mineure, je pense que le prêtre aurait dû porter plainte à ma place. Mais il ne s'est rien passé. Mon agresseur a continué ses missions auprès des jeunes comme avant", conclut la jeune femme.
Selon elle, ce laïc, très impliqué dans ce diocèse lotois, avait un comportement étrange avec les jeunes filles. Mais à sa connaissance, aucune autre jeune femme n'aurait subi d'agressions de sa part. Il reste présumé innocent. "Elles ont peut-être réagi comme moi et ont préféré rester silencieuses", rajoute Clara.
Pour se faire pardonner, l'homme a même écrit une lettre à la jeune victime. Dans son courrier, il reconnaissait avoir eu un comportement déplacé et s'excusait de son attitude.
"Il m’a envoyé une lettre pour dire qu’il n'était qu'un humble pêcheur, une preuve de sa culpabilité", précise celle qui vient de déposer plainte. "J’ai mis plus de 10 ans à le faire, parce que la parole se libère. Surtout depuis que j'ai moi-même des enfants, il fallait que je le fasse, cela me paraissait essentiel. Des histoires comme la mienne, il y en a hélas beaucoup dans l'Église catholique".
Un homme toujours au contact d'adolescents
Cette jeune maman témoigne aujourd'hui car elle veut alerter sur un dysfonctionnement au sein du diocèse de Cahors-Rocamadour et sur cette omerta qui a régné autour de son histoire.
J’ai surtout besoin que ces deux hommes ne soient plus au contact d’enfants et d'adolescents. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Si Florent Millet n’a pas su me protéger moi, il ne le fera pas avec d'autres.
Clara, victime d'une agression sexuelle
À notre connaissance, aucune plainte concernant des faits similaires n'aurait été déposée contre Damien Aujourd'hui l'homme vit aux Antilles. Il travaille pour le diocèse de Martinique. Il assure le bon fonctionnement du quotidien de l'Archevêque (agenda, déplacements, etc.).
En 2016, il continuait d'occuper des fonctions officielles au sein des pèlerinages dans le Lot. Malgré cet événement, l'homme a continué d'être au contact de jeunes. Une attitude qui n'a visiblement pas inquiété le diocèse de Cahors et le père Florent Millet.
"L'enquête est toujours en cours, nous confirme Eric Camous, le procureur de la République de Narbonne en charge du dossier "mais pour le moment il n'y a aucune ouverture d'information judiciaire", Damien est présumé innocent.
Le père Florent Millet visé par des plaintes canoniques
Quant au père Florent Millet, recteur de Rocamadour, il a été vicaire général jusqu'en juillet 2022 pour le diocèse de Cahors. Il aurait quitté sa fonction de vicaire car le sanctuaire de Rocamadour lui prenait trop de temps selon ses dires.
Mais selon nos confrères de "Riposte catholique" ce retrait serait la conséquence de sanctions canoniques survenues en 2022 suite à plusieurs signalements pour des dérives lors de confessions et de directions spirituelles.
En effet, des mineurs disent avoir fait l’objet de questions très indiscrètes de la part du père Florent Millet, notamment sur leurs pratiques intimes et sexuelles.
Des questions sur des pratiques intimes
Moi effectivement il m'a déjà demandé en confession si je me masturbais. Sur le moment étant dans le cadre d'un accompagnement spirituel, je pensais que c'était normal. Cela ne m'avait pas choqué mais cela m'a mise très mal à l'aise. Je n'avais que 15 ans. Effectivement avec du recul, je trouve ça inapproprié.
Clara
Des accusations que le père Florent Millet a très mal vécu. "J'ai peut être été indélicat dans le cadre de confession, je le reconnais. Mais en général je répondais à des questions intimes car la personne s'interrogeait", nous précise le père Florent Millet.
Je n'ai jamais cherché à vouloir volontairement entrer dans l'intimité des gens. J'ai bien compris lors de ces plaintes canoniques que j'ai pu choquer des personnes et j'en suis désolé, je l'ai reconnu devant l'Evêque. Maintenant dès que l'on me pose des questions intimes, je n'y réponds plus.
père Florent Millet
En mars 2022, Florent Millet a donc été interdit d'accompagnement spirituel de groupes ou de personnes.
Quant à Claire, elle a pris ses distances avec le diocèse de Cahors. "Je suis toujours pratiquante, cela n'a pas impacté ma foi, mais je ne pourrais pas retourner au diocèse de Cahors. J'ai recroisé par hasard le père Florent Millet il y a 7 ans, j'étais très mal", conclut Clara.