Après la manifestation contre le projet de construction de l'A69, l'évacuation de la ZAD le dimanche 22 septembre, de nombreuses affirmations inexactes voire fausses ont été déclarées par les politiques. France 3 vérifie ces affirmations.
Depuis la manifestation et l'évacuation de la ZAD contre le projet de l'autoroute A69, dimanche 22 octobre, les déclarations de politiques sur le sujet affluent. Des déclarations qui sont parfois inexactes, à nuancer ou parfois tout simplement fausses. France 3 Occitanie revient sur plusieurs affirmations pour les vérifier.
Un projet confirmé par la justice ? A moitié vrai
Sur France Inter, le ministre chargé des Transports, Clément Beaune, est revenu sur l'évacuation de l'A69. "Quand les décisions sont prises, on peut les aimer ou ne pas les aimer, c'est la démocratie et même manifester, déclarait-il dans le micro de la radio. On ne peut pas éternellement contester a fortiori par la violence, les décisions qui ont été confirmées par les élus, l'Etat et la justice".
"On peut manifester, on ne peut pas casser"
— France Inter (@franceinter) October 22, 2023
Au sujet de l'A69, @CBeaune indique : "On ne peut pas éternellement contester, a fortiori par la violence, des décisions qui ont été confirmées par les élus, l'État et la justice" #QuestionsPol pic.twitter.com/3a7XBcvaIh
Cette dernière affirmation est pourtant incorrecte comme le détaille Dorian Guinard, enseignant-chercheur et maître de conférences en droit public à l'Université de Grenoble Alpes dans un thread sur X ( anciennement Twitter). Contacté par France 3, il explique pourquoi ce n'est pas possible de dire que la justice a autorisé le projet.
Le projet est en fait sujet à deux contentieux très différents. Avec d'un côté une déclaration d'utilité publique (DUP) prise par décret, qui a été validée par le Conseil d'Etat le 5 mars 2021. Et de l'autre, l'autorisation environnementale qui fait toujours l'objet d'un recours porté au fond et toujours pas jugé.
Comme de nombreux projets de construction d'envergure, celui de l'autoroute A69 entre Toulouse et Castres a fait l'objet d'une déclaration d'utilité publique (DUP). " Le problème de la DUP c'est qu'on va regarder uniquement s’il y a un intérêt public pour faire cela. Ce document ne prend donc pas en compte les préoccupations environnementales de façon approfondie."
D'abord contestée devant la justice en 2018, cette DUP, a été validée par le Conseil d'Etat en 2021. Ce qui n'est pas le cas de l'autorisation environnementale : "la légalité du décret de déclaration d'utilité publique ne signe en aucun cas la fin du contentieux de l'autorisation environnementale délivrée par les préfets en mars 2023. Il n'y a aucune décision au fond la concernant." Il s'agit bien de deux contentieux différents.
L'essentiel selon lui : "Ce n'est pas l'arrêt sur la DUP, mais bien ce que dit la justice sur les arrêtés préfectoraux qui autorisent le projet d'autoroute par rapport au droit de l'environnement."
L'autorisation environnementale a fait l'objet de référés d'urgence qui ont aujourd'hui tous été perdus par les associations "mais c'est provisoire, précise le maître de conférences. Ce n'est pas au fond, à l'issue d'une instruction complète où l'ensemble des moyens légaux ont été vus et rejetés ou adoptés par le juge".
"Le ministre dit que la justice a confirmé le projet mais elle n'a fait que rejeter le défaut d'urgence et le doute sérieux, mais elle n'a jamais confirmé le projet."
Dorian Guinard
Les procédures juridictionnelles administratives vont continuer, le projet de construction devrait passer devant le tribunal administratif de Toulouse en 2024.
À ce jour, les travaux ont pourtant bien le droit de débuter en toute légalité, en raison d'un principe qui s'applique dans le droit administratif : le privilège du préalable et le caractère exécutoire et immédiat des actes. "Est-ce qu'on doit pourtant commencer à faire ces travaux et ne pas plutôt attendre de purger les recours au fond ?" s'interroge Dorian Guinard. " On prend le risque 18 mois après que le projet administratif soit annulé au fond par le juge. Ce qui signifiera que les deniers publics ont été dépensés de façon indue."
Pour l'exemple, le projet de déviation de Beynac (Dordogne) a été annulé par la justice, alors que les travaux avaient commencé. La justice a imposé la destruction des ouvrages déjà construit et la remise en état du site.
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Des opposants écoterroristes ? C'est faux
Il y a quelques jours, Alexandra Masson députée RN des Alpes-Maritimes, interrogée par LCP, dénonçait "l'écoterrorisme" des opposants au projet de l'A69. Une allégation que contredit également l'enseignant-chercheur et maître de conférences en droit public à l'Université de Grenoble Alpes.
"L'#A69 c'est une demande de la population", fait valoir @A_Masson06, qui dénonce "l'éco-terrorisme" des opposants au projet. #DirectAN #QAG pic.twitter.com/0dIujM09Jl
— LCP (@LCP) October 24, 2023
L'article 421-1 du code pénal définit comme infractions pénales à caractère terroriste : " lorsqu’elles sont commises intentionnellement avec pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur. Il peut s’agir d’atteintes à la vie ou à l’intégrité d’une personne, de séquestrations, de vol, de dégradations..."
Dorian Guinard détaille : " L'adverbe "gravement" est important. D'après les manifestations que j'ai vues de l'A69 je n'ai pas vu de troubles graves à l'ordre public. Oui j'ai vu des troubles à l'ordre public, que je condamne, le sabotage de la cimenterie, c'en est un bien sûr. Mais je n'ai pas vu de troubles graves et une intimidation ou une terreur."
L'enseignant-chercheur pointe le risque du "rabâchage" du terme écoterroriste, " véhiculer cette expression nuit à l'usage et à la qualification du "terrorisme" et ça nuit aussi à la démocratie. À la fin on va qualifier de terroriste tout et n'importe quoi et c'est dangereux, car il y a ici une confusion entre violence "condamnable" et "condamnée" et terrorisme. Démocratiquement, c'est une dérive."
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La présence de 2500 black blocs ? Très exagérée
"La manifestation a réuni 2 400 personnes dans le cortège déclaré, moins qu’en avril 2023. 2 500 individus violents se sont détachés du cortège déclaré pour commettre des exactions", c'est ce que soutient la préfecture du Tarn dans ses différents communiqués concernant la manifestation contre le projet de construction de l'autoroute A69, Castres-Toulouse qui s'est déroulée samedi 21 octobre.
Ce chiffre de la préfecture qui avance " 2500 individus radicaux", a été repris sur les réseaux sociaux, dans certains médias ainsi que par certains politiques. Dans un post sur X (anciennement Twitter), le ministre des Transports Clément Beaune, le mentionne : "C’étaient 2400 manifestants, deux fois moins qu’à la précédente manifestation en avril. Et 2500 éléments radicaux, cagoulés et violents, que vous ne dénoncez toujours pas."
Pour tenter de discréditer les opposants au projet d’autoroute A69 entre Toulouse et Castres, la préfecture du Tarn et le gouvernement font de graves erreurs de calcul.
— Loup Espargilière (@L_Espargiliere) October 23, 2023
Un fil pour décrypter la communication de l'Etat ⤵️ pic.twitter.com/dlYJR4urAn
Pourtant, sur le terrain, ce chiffre a été largement contesté par de nombreux journalistes. En suivant la description de ces individus par la préfecture : qui étaient presque tous cagoulés, vêtus de noir, casqués, portant des boucliers, des bâches noires et des parapluies", les journalistes de France 3 Occitanie, sur place, ne comptabilisent pas le même nombre. Ils estiment tout au plus, au maximum, la présence de 400 black bloc.
Un chiffre qui a été confirmé à notre média par différentes sources au sein des forces de l'ordre. Les différentes images effectuées par les journalistes qui ont couvert l'événement ne montrent pas non plus la présence de plus de "2500 individus radicaux".
Loup Espargilière, rédacteur en chef du média Vert pointe aussi " un étrange comptage". Dans un thread sur X il développe : " La phrase comporte un évident problème de logique : il y aurait eu 2 400 personnes au total dans le cortège déclaré, dont se seraient extraites 2 500 personnes pour aller commettre des méfaits ? "
Samedi, dans le communiqué qui a suivi le rassemblement organisé par de nombreuses organisations écologistes, la préfecture du Tarn a réalisé cet étrange comptage : pic.twitter.com/GWQzGpwhS8
— Loup Espargilière (@L_Espargiliere) October 23, 2023
Ce qui laisse entendre ici qu'il y avait environ 4900 personnes en tout ce samedi. Soit plus que lors du précédent rassemblement en avril dernier, contrairement à ce qu'a affirmé la préfecture du Tarn dans son communiqué.
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Des militants lourdement armés et des drones pour coordonner les actions ? Plutôt exagéré
Toujours au micro de France Inter, Clément Beaune, le ministre des Transport affirmait : "Ce sont plusieurs dizaines de couteaux, de barres de fer, de pioches qui ont été confisquées par nos services." Même son de cloche du côté du ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin qui évoquait interpellation de certains individus "avec des armes importantes", lors d'une prise de parole dans l'hémicycle.
Manifestation contre l'A69 dans le Tarn: "Aucune ZAD ne sera constituée tant que je serai ministre de l'Intérieur" affirme Gérald Darmanin pic.twitter.com/Lz5zLOEszD
— BFMTV (@BFMTV) October 24, 2023
Dans son communiqué de presse, la préfecture recense : "Plusieurs armes par destination – barres de fer, pioches, masques à gaz, boules de pétanque, couteaux – ont également été interceptées par les forces de l’ordre, dans le cadre du dispositif de contrôle mis en place aux abords de la zone de rassemblement."
Selon la définition du ministère de l'Intérieur et des Outres-Mer, une arme par destination est considéré comme : " tout objet détourné de son utilisation habituelle et utilisé pour menacer, tuer ou blesser."
Sur son compte X, la préfecture du Tarn a affiché plusieurs clichés des armes saisies le samedi 21 octobre. On y voit une pioche, un couteau, un couteau suisse muni de petits ciseaux, des masques à gaz et ce qui semble être des lunettes de plongées et de ski.
A69 | Barres de fer, pioches, masques à gaz, boules de pétanques… Des armes par destination sont interceptées par les forces de sécurité intérieure dans le cadre du dispositif de contrôle mis en place aux abords de la zone de rassemblement pour garantir la sécurité de tous. pic.twitter.com/IKwHPShOHV
— Préfet du Tarn (@prefet81) October 21, 2023
Dans un autre post, la préfecture du Tarn déclare la saisie par la Gendarmerie nationale, quelques jours plus tôt le 19 octobre "d'une carabine à air comprimé à plombs" et d'un pistolet airsoft.
#A69 | Une arme a été saisie lors de contrôles de Gendarmerie nationale aux abords d'un lieu de rassemblement à Saïx. Des individus cagoulés sont également observés sur place.
— Préfet du Tarn (@prefet81) October 19, 2023
➡️ Aucune violence, aucune incitation à la violence ne peuvent être tolérées. pic.twitter.com/gPsXswuPi9
Contacté par France 3 pour connaître le nombre et le type exact d'armes saisies, la préfecture n'a pour le moment pas donné suite à nos sollicitations. Nos journalistes de France 3 Occitanie présents sur place lors de l'évacuation n'ont pas pu observer l'usage de cocktail molotov. Ils ont constaté au niveau de la barricade, la présence de pierres et de morceaux de bitumes pouvant être utilisés comme projectiles. Ils ont aussi constaté la saisie d'une pioche, de boules de pétanque aux abords du site de la manifestation.
Alors que le préfet avait interdit le survol de drones sur la zone, Gérald Darmanin a affirmé lors d'une prise de parole dans l'hémicycle que " 20 drones ont été utilisés pour coordonner les actions de lancer de pierres, de lancer de cocktails sur les policiers".
De son côté, la préfecture recense la détection de 4 drones. Contactée pour expliquer l'usage de ces drones par les militants contre l'A69, la préfecture n'a pour le moment pas répondu à nos sollicitations. Sur place, les journalistes de France 3 ont noté la présence de 3 drones, le samedi 21 octobre et aucun le dimanche. Difficile donc de confirmer factuellement le constat de Gérald Darminin.