Regain de tension dans la montagne de Lure. Après le bras de fer des écologistes à Cruis et à Revest-Saint-Martin contre l'implantation de centrales photovoltaïques, l'émergence d’un nouveau projet à Aubignosc est perçue comme une provocation par les militants.
Dans les Alpes-de-Haute-Provence, au fil du temps, pousse silencieusement une forêt de centrales photovoltaïques. En marche ou encore à l'état de projet, leur multiplication dans la montagne de Lure excède les militants écologistes. L’installation de ces fermes solaires nécessite la destruction d'hectares d'espaces naturels, menaçant au passage de nombreuses espèces protégées. C'est ce que dénoncent les associations de défense de l'environnement qui ont porté les dossiers successifs devant les tribunaux (ANB, GNSA...), tandis que des habitants passaient à l'action sur le terrain, s'enchaînant aux bulldozers pour "arrêter le massacre", comme ce fut le cas en mars 2023 à Cruis.
Mais malgré la mobilisation citoyenne, la "bataille de Lure" n'a pas empêché l'implantation, sur 17 hectares de végétation, de quelque 29 000 panneaux solaires, propriétés de la société canadienne Boralex. Une centrale flambant neuve entrée en fonctionnement au cœur de cet été 2024. Plus largement, le collectif Elzéard, Lure en résistance, avance le chiffre de 1000 hectares menacés à terme par cette éclosion de fermes solaires, partout à la ronde.
Le nouvel eldorado du photovoltaïque
Sylvie fait partie des militants de la première heure. Un engagement qui a coûté cher à cette comédienne sexagénaire, condamnée par le tribunal de Digne en novembre 2023, aux côtés d’une autre opposante, pour avoir barré la route des engins de chantiers, sur le site de Cruis.
Pourtant, aujourd’hui Sylvie est prête à recommencer à Aubignosc, où un nouveau projet photovoltaïque est en gestation. "C’est une agression extrême pour nous, qui fait monter une colère et une rage sans dimension", affirme la porte-parole du collectif Elzéard, "une nouvelle centrale à 15 km de Cruis, c'est une provocation !". La société Q Energy vient en effet d’obtenir l'autorisation administrative de commencer le chantier de déboisement sur neuf hectares.
Pour cette opposante, "Lure est devenue un eldorado, un site industriel de création d'électricité. La préfecture s'en réjouit, parce que ça va rapporter de l’argent et que sur les versants de notre montagne, il y a plein de place", souffle-t-elle, "mais nous, on ne peut pas laisser faire."
"Des délinquants de l'environnement"
Depuis ce lundi matin, des militants sont postés sur le site d'Aubignosc et se relaient pour guetter les engins de chantier. Objectif : les empêcher de commencer le défrichage en se mettant en travers de leur route. De la désobéissance civile, garantie sans violence. Une "alerte" à laquelle prend part l'Association nationale de la Biodiversité.
Après Cruis, voici Aubignosc (04)
— Asso Nationale pour la Biodiversité (ANB) (@ANBiodiversite) September 1, 2024
📣 Encore une fois la montagne de Lure est attaquée par une entreprise industrielle : @qenergyfrance
👉 Une fois de +, ce sont des hectares et des hectares qui sont en passe d’être détruits pour qu’un industriel puisse s’en mettre plein les… pic.twitter.com/nHksDQhDrN
L'écologue Pierrot Pantel, juriste de l'ANB, est une nouvelle fois sur le pont, pour tenir tête à l’administration, brandissant le Code de l'environnement, et ce, malgré la déception de Cruis. "Le combat a été perdu vis-à-vis du milieu naturel, on n'a pas pu empêcher le massacre", affirme-t-il, "mais on a pu démontrer que les exploitants étaient des délinquants de l’environnement et que la Préfecture était leur complice".
On s'est confronté à une multinationale, aidée par les pouvoirs exécutif et judiciaire, on a affronté les bulldozers, mais on continue à penser que c'est légitime de se battre.
Pierrot Pantel, écologue à l'Association Nationale pour la BiodiversitéFrance 3 Provence-Alpes
L'ANB a ainsi mandaté des écologues indépendants pour dresser l'inventaire des espèces protégées sur ce secteur, comme elle l'a fait pour le site voisin de Revest-Saint-Martin, où l'exploitant a, là aussi, obtenu l'autorisation d'implanter six hectares de panneaux solaires. "Le scandale de Cruis se poursuit", affirme Pierrot Pantel, "mais la roue tournera, c'est certain", veut croire le juriste.