Témoignage. "Le soir, mentalement, je suis cuit ", un surveillant de prison raconte son quotidien sous tension

Publié le Écrit par Annie Vergnenegre

Ce vendredi est la deuxième journée nationale des métiers de l'administration pénitentiaire. Un surveillant partage son quotidien au sein de la troisième prison de France.

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"Personne ne rêve d'être maton quand il est petit". Alban* n'a pas eu la vocation et il ne s'en cache pas. Comme 95% de ses collègues, il a choisi la sécurité de l'emploi et le statut de fonctionnaire, dans le cadre de sa reconversion professionnelle. Après avoir réussi le concours, il a suivi les quatre mois de formation au métier de surveillant pénitentiaire à l'ENAP à Agen, et fait ses quatre mois de stage en établissement. Ses bons résultats lui ont permis de choisir l'affectation de son choix. "Il n'y avait pas beaucoup de places à Aix, mais comme j'étais dans les premiers, j'ai quand même réussi à l'avoir".  Aix-Luynes, troisième prison de France. Quelque 2000 individus à l'ombre pour 1400 places. 

Quelques années plus tard, le quadragénaire y est toujours en poste. Il est agent d'étage au sein d'une brigade dans la prison Aix-Luynes1, qui compte environ 700 détenus. Le surveillant fait une grosse semaine de 60 heures sur cinq jours englobant le week-end, puis une "petite semaine" de 24 heures sur deux jours. La routine est rien rôdée. La journée commence à 6h45 par l'appel des agents. "On est programmés deux agents par étage. En ce moment, c'est à peu près correct, mais on est souvent en sous-effectif,", note Alban.

L'appel des "présents vivants"

Les gardiens gagnent ensuite leur secteur pour un premier comptage cellule par cellule."On monte à notre étage et on fait l'appel des détenus, pour voir s'ils sont bien 'présents vivants' et s'ils ne se sont pas évadés, explique Alban. "On ouvre la porte, on appelle son nom, il nous répond et on ferme la porte". L'opération prend entre 20 et 30 minutes selon les étages.

Quand "l'appel est bon" à tous les niveaux sur les deux maisons d'arrêt du centre, "les mouvements sont lancés". Les détenus "isolés", qui ne doivent pas croiser de co-détenus et sont toujours conduits "d'un point A à un point B", sont les premiers à aller en promenade. Par sécurité. Ce n'est qu'à leur retour en cellule, que les autres sont envoyés à l'infirmerie, au parloir ou en promenade. L'appel est renouvellé au cours de la journée, au déjeuner et à 18 heures après le repas du soir, pour veiller à ce qu'aucun détenu ne soit fait la belle entre temps. La journée d'Alban s'achève alors, vers 19 heures "s'il n'y a pas de problèmes".

Deux détenus en cellule individuelle avec un matelas au sol

Depuis qu'Alban monte la garde dans les couloirs, la prison a bien changé. "Quand je suis arrivé, il y avait beaucoup de gens qui ne venaient pas travailler, qui étaient en arrêt de travail, c'était très dur parce qu'il n'y avait pas encore la deuxième structure, la prison était surpeuplée", se souvient-il. L'ouverture d'Aix-2, réservée aux prévenus, a permis de désengorger Aix-1, qui n'accueille que des condamnés. Mais pour Alban, le quotidien de gardien est redevenu difficile depuis deux- trois ans. L'absentéisme est de retour. Par manque d'effectif, il se retrouve à faire des tâches qui ne lui incombent pas normalement. "On est des numéros, on en a marre, le soir, mentalement, je suis cuit". Alban appréhende les prochains mois. "L'été, ça va être l'angoisse, avec les mutations, on a énormément de départs et pas beaucoup d'arrivées, explique-t-il, le nombre de surveillants qui demandent une mutation à Aix est extrêment bas, ça va coincer". 

Moins de gardiens et toujours plus de détenus. La prison bat des records de surpopulation. "A la base c'est un encellulement individuel, là ils commencent à être à deux avec un matelas au sol sur Aix-2 et ça va arriver sur Aix-1 dans pas longtemps."

Un détenu tué à mains nues

Cette supopulation conjuguée avec le manque d'effectifs est source de tensions avec les détenus. 

On n'a plus le temps de les sortir en activités, ou c'est annulé parce qu'il n'y a plus de surveillants, ils ne sortent plus de leur cellule et à la fin ils sont plus agressifs.

Un surveillant pénitentiaire à Aix-Luynes

France 3 Provence-Alpes

La présence de certains détenus vient aggraver les choses. "On a beaucoup de détenus de Marseille, souligne Alban, des gangs de DZ Mafia et Yoga, la prison est blindée de ça".

Dans la nuit du 17 au 18 au février dernier, un homme de 23 ans a été tué à mains nues dans sa cellule par un co-détenu. La victime avait été condamnée à deux ans de prison par le tribunal correctionnel de Marseille, pour trafic de stupéfiants et devait être libérée sous une quinzaine de jours. Une mort en lien avec la guerre que se livrent les deux gangs rivaux depuis des mois et qui a fait une quarantaine de morts en 2023.

"Les histoires de dehors se retrouvent en cellule tout le temps et les affaires sont gérées de l'intérieur", tranche Alban, et moins on est de surveillants, moins on peut encadrer tout ça", notamment avec les fouilles nécessaires. Il redoute un gros incident un jour avec un surveillant, "peut-être que les gens se réveilleront", ajoute-t-il.

Une vie derrière les barreaux

Pour Alban, ce n'est pas toujours facile de se motiver à aller travailler le matin. Il s'efforce de bien séparer le travail et vie de famille. "Le truc c'est ça, du moment qu'on rentre dans la prison on est maton, quand j'en sors, je redeviens moi, ne pas ramener les problèmes à la maison, c'est important, j'en parle pas trop".

Le surveillant a déjà pensé à raccrocher le trousseau de clés. "Tous les jours, on voit des barreaux, on est enfermés toute la journée, on en rigole avec les détenus, mais nous, on a pris perpet', on va la voir toute notre vie la prison", reconnaît le surveillant. Dans les moments de lassitude, il s'interroge sur son métier. "J'ai enfermé combien de détenus ? Combien d'individus j'ai privé de liberté? Combien de portes j'ai fermé dans ma vie ? J'y pense des fois."

*Le prénom a été changé. 

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