"L’explosion de l'extrême droite remonte aux années 1980" : la sociologie du vote RN en PACA décryptée avec un historien

À l'approche du second tour des législatives, l'historien Jean-Marie Guillon, professeur émérite à l'Université Aix-Marseille, revient sur l'enracinement progressif de l'extrême droite en Provence Alpes Côte d’Azur. Le Front National (FN) devenu Rassemblement National (RN) s'est implanté au fil des années dans les départements de la région.

Société
De la vie quotidienne aux grands enjeux, découvrez les sujets qui font la société locale, comme la justice, l’éducation, la santé et la famille.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "Société". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité

À l'issue du premier tour des législatives, le RN arrive en tête dans 16 des 42 circonscriptions de la région Provence Alpes Côte d'Azur sera présent dans 30 duels au second tour.

Dans les années 80, les instances dirigeantes du Front National, avec à sa tête Jean-Marie Le Pen, ont décidé de s'investir sérieusement en PACA. Jean-Marie Le Pen et ses lieutenants multiplient alors les déplacements et les meetings pour renforcer leur avantage naissant. Le premier coup électoral marquant restera les élections régionales de 1986, avec 20 % des voix et 25 conseillers régionaux élus sous l'étiquette Front National. En 2015, une nouvelle étape sera franchie avec le doublement des voix et 40 élus dans l'hémicycle régional. 

"L’explosion de l'extrême droite remonte au milieu des années 1980", explique l’historien Jean-Marie Guillon, professeur honoraire à l’université d'Aix-Marseille, qui décrypte pour France 3 Provence Alpes la sociologie du vote RN dans les six départements de PACA. 

>>> ci-dessous en vidéo l'enquête signée Jean-FrançoisGiorgetti et Christian Mathieu 

durée de la vidéo : 00h04mn22s
Pour mieux comprendre pourquoi la région PACA est devenue au fil des ans un bastion du Rassemblement National, des scientifiques expliquent ce phénomène social et électoral Une enquête signée JFGiorgetti et Christian Mathieu. ©France Télévisions

Le Vaucluse : 42,26% de vote RN

Jean-Marie Guillon : le Vaucluse a toujours été un département d'affrontements politiques très vifs à travers l'histoire, entre les Rouges et les Blancs au 19ᵉ siècle : c'est le clivage politique fondamental en Provence. Les Rouges, c’est-à-dire "républicains avancés", avec une traduction en vote radical-socialiste ou socialiste, parfois communistes, et les Blancs, c'est-à-dire la tradition cléricale et monarchiste.

Dans cet affrontement, la gauche a été dominante et le vote "Blanc", notamment dans le Comtat, a toujours été important, mais minoritaire. Le Front national est venu réactiver cette tradition, puisqu'on a vu apparaître, avec l'émergence du FN, des familles monarchistes que l'on croyait oubliées, en tout cas disparues ou reléguées à l'arrière-plan. Ce vote, et ça va être le cas dans le Var, s'appuie sur un regain du traditionalisme catholique. Il y a des noyaux traditionalistes catholiques, donc hostiles à l'esprit Vatican II, qui servent de support à ce vote d'extrême droite. On comprend pourquoi Marion Maréchal-Le Pen [NDLR, élue députée frontiste en 2012 à Carpentras] a remporté un succès certain dans ce département, apportant à l'extrême droite des gains en voix tout à fait spectaculaires.

Le Var : 50,80% de vote RN

Jean-Marie Guillon : C'est un peu la même chose que le Vaucluse, une tradition d'oppositions, toutefois moins violentes, avec une très forte tradition républicaine, mais qui s'effrite à partir des années 1960. Comme presque toute la région, le Var est en pleine expansion démographique et la sociologie change, avec l'arrivée de retraités aisés et leur implantation, l'emprise de l'armée, ce qui se traduit électoralement. La droite qui vient des Alpes-Maritimes gagne le littoral varois, rejoint Toulon, qui a toujours été un bastion de la droite et puis finalement, s'étend vers l'arrière-pays.

Là, le Front national récupère une grande partie de cet électorat de droite et une partie de ses cadres. Avec un renouvellement d'ailleurs de l'encadrement du FN dès 2012. Avec Marine Le Pen aux commandes, arrivent des gens un peu mieux formés, comme le maire de Fréjus : avec David Rachline, la tradition maurrassienne, monarchiste, de la fin du 19ᵉ siècle est toujours là, même chose avec Frédéric Bocalletti [NDLR, député RN sortant de la 7ᵉ circonscription ].

Il ne faut pas croire que l'idéologie a changé, on reste sur des thèses nationalistes, à savoir le rejet de l'autre, la critique d'un système parlementaire dont on profite, le tout drapé dans la République, mais les thèmes fondamentaux sont toujours là. Il est intéressant d'observer le décalage entre l'électorat et des cadres idéologiquement nationalistes au sens traditionnel du terme.

Les Bouches-du-Rhône : 40,89 % de vote RN

Jean-Marie Guillon : Le département a offert une résistance de la gauche, un peu plus longue qu'ailleurs. Mais cette résistance, elle s'est affaiblie. Plusieurs causes, plusieurs effets. D'abord, l'effondrement du vote communiste, qui est consécutif à la transformation économique de la région. Toute l'industrie provençale, la métallurgie s'effondre à la fin du XXe siècle et cette désindustrialisation a des conséquences. Du côté du Parti socialiste, la guerre était réelle, particulièrement entre Gaston Defferre et les communistes. Les socialistes se sont alliés à un centre droit très élargi à droite, Jean-Claude Gaudin participait d'ailleurs à cette alliance.

Puis, ils se sont trouvés quelque peu déstabilisés par le programme commun de gouvernement avec François Mitterrand et donc l'alliance obligée avec les communistes en 1983. L’électorat ne les suit plus. Par ailleurs, les socialistes n'ont pas su, comme ailleurs, se renouveler. Par la suite, les frasques de Jean-Noel Guérini  [NDLR, ex-patron de la Fédération socialiste des Bouches-du-Rhône] vont lui faire perdre largement son crédit et à partir de là, le département se droitise. Il ne reste plus que quelques points de résistance, mais extrêmement faibles.

Et c'est sur ce terrain, en même temps, que s'installe le Front national autour du rejet de l'immigration, en sachant qu'à Marseille, on avait toujours eu des voyous d'extrême droite très puissants. Rappelons-nous les ratonnades de 1973 et le meurtre du jeune Comorien par trois colleurs d'affiches du Front national.

Les Hautes-Alpes : 36,12% de vote RN

Jean-Marie Guillon : Dans le Mont-Genèvre la frontière a toujours été poreuse et un point de passage d'immigration, légale ou clandestine, en provenance du Piémont et d'Italie. Les Hautes-Alpes sont traditionnellement un département orienté à droite, mais avec une tradition plutôt à sensibilité catholique, ouverte, démocrate-chrétienne. Et aujourd'hui, avec une installation de néorésidents très portés sur la défense de l'environnement, on voit parfaitement que c'est encore un môle de résistance à l'extrême droite, ce qui est paradoxal. C'est même pratiquement le seul môle de résistance qui subsiste dans la région de façon à peu près solide.

Les Alpes-de-Haute-Provence : 42,54 % de vote RN

Jean-Marie Guillon : Ce département, avec une très forte tradition républicaine née de l'insurrection de 1851 contre le coup d'État de Louis-Napoléon Bonaparte. Là, il y a un équilibre difficile entre une gauche qui est toujours bien enracinée, on l'a vu aux dernières élections législatives et une droite qui est peu à peu gagnée par les thèmes de l'extrême droite. C'est un département fragile, qui est en bascule actuellement, qui a résisté à la poussée de l'extrême droite jusque-là, mais cette résistance est en train de s'effriter alors le plus à toute heure.

Les Alpes-Maritimes : 46,33 % de vote RN

Jean-Marie Guillon : C'est un cas particulier. C'est le bastion d'une droite anti-gaulliste, issue du Centre national des indépendants, très "Algérie française", qui a dominé la vie politique régionale, particulièrement avec un phénomène de la dynastie Médecin. Elle incarne les prototypes du populisme méridional, de la démagogie, et cultive le localisme et le petit patriotisme niçois tout en reprenant les thèmes traditionnels d'une droite très affirmée.

Dans les années 1980-1990, François Léotard  [NDLR, ex-maire de Fréjus, et député UDF du Var], va s'opposer au Front national, mais à l'époque, il est allié avec le camp Médecin et Maurice Arreckx [NDLR, maire de Toulon de 1959 à 1985] et ensemble, ils sont en quelque sorte des garde-fous sur le plan local. Mais dans les Alpes-Maritimes, on trouve une droite dure, traditionnellement populiste, démagogue et appuyée sur les élites du littoral, mais avec une assise électorale dans l'arrière-pays. La porosité entre droite et extrême droite est peut-être encore plus grande qu'ailleurs sur le long terme.

Par conséquent, le ralliement d'Éric Ciotti au Rassemblement national s'inscrit lui aussi dans la durée. Ce n'est pas une nouveauté. Les passages de l'un à l'autre ont été assez fréquents. Ce qui est nouveau, c'est la résistance d'une partie de la droite locale qui s'oppose à ce ralliement.

Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Veuillez choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité
Je veux en savoir plus sur
le sujet
Veuillez choisir une région
en region
Veuillez choisir une région
sélectionner une région ou un sujet pour confirmer
Toute l'information