Lundi 11 novembre, un homme en situation irrégulière a vandalisé une stèle qui rendait hommage aux victimes de terrorisme dont Laura et Mauranne, tuées en 2017. Leur assassin avait été arrêté juste avant son passage à l'acte puis relâché. Depuis, les familles sont dans une impasse judiciaire.
Une stèle en hommage aux victimes de terrorisme vandalisée à Marseille. L'occasion pour les médias et les politiques de revenir sur l'affaire à l'origine de cette plaque commémorative : l'assassinat, en 2017, de Laura et Mauranne, alors âgées de 20 ans. Pour les familles de ces deux cousines, c'est surtout "l'horreur de revivre cette journée terrible". Pour elles, le combat ne s'est jamais arrêté.
Tribunal administratif, cour d'appel, Cour constitutionnelle et maintenant, Cour européenne des droits de l'Homme. Depuis sept ans, les familles tentent de faire établir la faute de l'État. L'assaillant, Ahmed Hanachi, un ressortissant tunisien, avait été arrêté deux jours plus tôt à Lyon pour vol à l'étalage puis relâché. Il était connu sous sept identités différentes. Pour les familles, il n'aurait jamais dû être en liberté au moment des faits.
"Nous sommes toujours en froid avec le Conseil d'État"
Depuis que cette plaque a été dégradée, "j'y pense tous les jours, mais ça m'a replongé dans cette journée terrible, j'ai revu le scénario de cette journée, je ne dors plus depuis", se confie Pascale Harel, la maman de Laura. Et de reprendre : "j'ai téléphoné à mon avocate, nous sommes toujours en froid avec le Conseil d'État"
On n'a jamais eu le droit à un procès, nous avons perdu en appel mais maintenant, nous nous sommes saisis de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Pascale Harel, maman de LauraFrance 3 Provence-Alpes
Si l'assaillant avait été abattu par les militaires Sentinelle, son frère, mis en examen pour association de malfaiteur terroriste, avait bénéficié d'un non-lieu en France en 2021. Pour les familles, c'est trop. Pascale Harel se dit complètement abandonnée par le gouvernement. "Il y a encore trois semaines, l'État a refusé de reconnaître sa faute, qu'il avait pourtant reconnue au moment des faits", précise-t-elle. Elle fait référence à la réponse du gouvernement du 4 novembre 2024, concernant la saisine de la Cour européenne des droits de l'Homme en date du 18 juillet 2023.
"On attend que la CEDH demande de convoquer les parties ou donne des suites", précise son avocate, Maître Béatrice Dubreuil. Les familles vont-elles obtenir gain de cause par la justice européenne ? Si elles atteignent un tel niveau de procédure, c'est parce que deux recours ont déjà été refusés.
Ce qui est reproché à l'État
Maître Béatrice Dubreuil, revient sur cet imbroglio judiciaire. D'abord, les faits : Ahmed Hanachi, avait été interpellé deux jours avant de poignarder Laura et Mauranne, alors qu'il était en situation irrégulière. Puis, il avait été relâché pour "carence de signataire" concernant la mesure d'éloignement du territoire français dont il aurait dû faire l'objet.
L’après-midi, le CRA n’a reçu aucun autre appel de la préfecture du Rhône, qui ne l’a donc pas contacté pour demander le placement d’A. Hanachi.
Rapport de l'inspection générale de l'administration, octobre 2017
Dans un rapport de l'inspection générale de l'administration, il est mentionné que l'agent "n'a pas sollicité le sous-préfet de permanence pour lui faire signer une OQTF ni même l’informer de la situation de M. Hanachi".
Ce sont ces faits, qui sont rapprochés à l'État par les familles des victimes. "On trouve ça stupéfiant, car s'il avait été placé dans un centre de rétention, il n'y aurait pas eu ce qu'il s'est passé", analyse maître Béatrice Dubreuil.
L'avocate entend faire valoir l'article de la Cour européenne des Droits de l'Homme concernant le droit à la vie. Elle souligne "le manquement de la France à son intention positive de garantir le droit à la vie".
Les familles deux fois déboutées
Un recours avait d'abord été lancé au tribunal administratif de Lyon. Mais le 22 janvier 2020 la requête a été déboutée pour les motifs suivants : "si plusieurs dysfonctionnements ont été mis en évidence (...), les juges estiment que la faculté, offerte au préfet, de prescrire une mesure d’éloignement et de placer en rétention un étranger en situation irrégulière doit s’apprécier au cas par cas. Or, le tribunal relève que le casier judiciaire de cet individu était vierge, qu’il ne figurait ni au fichier des personnes recherchées ni au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste et que l’infraction de vol à l’étalage ne révélait pas une dangerosité particulière". Le tribunal avait rejeté les demandes d'indemnisation des familles.
Mais pour nous le problème c'est le fait que le préfet n'ai pas été saisi !
Maître Béatrice Dubreuil, avocate de Pascale HarelFrance 3 Provence-Alpes
En appel, la cour déboute une nouvelle fois les familles, le 20 mars 2023. "Cette fois, ils reconnaissent des dysfonctionnements, mais concluent qu'ils ne peuvent être regardés comme cause directe et exclusive", précise l'avocate.
"Ils ne sortent que des arguments qui, pour moi, non ni queue ni tête. Même avant la nouvelle loi sur l'immigration, il aurait dû faire l'objet d'une OQTF. Il avait son passeport et pourtant rien n'a été fait", rappelle maître Béatrice Dubreuil.
Une faute reconnue dans les médias selon l'avocate
Christophe Castaner, alors porte-parole du gouvernement, avait déclaré le 10 octobre 2017 sur le plateau de Franceinfo, que : "deux jeunes filles sont mortes sauvagement assassinées, et dont on aurait pu éviter l’assassinat s’il n’y avait pas eu de dysfonctionnements graves relevés par l’inspection générale de l’administration et rapportés par le ministère de l’Intérieur. Sur la base de ces constats, il faut modifier les règles et que certains portent la responsabilité de cela."
Quant à Gérard Collomb, alors ministre de l’Intérieur, il avait donné sa démission le 1ᵉʳ octobre 2018, le jour de la cérémonie d’hommage rendu à Laura et Mauranne à laquelle il participait. Trois jours plus tard, il affirme sur le plateau de CNews qu’il a été en partie guidé par "le souvenir de la détresse des parents des filles qui avaient été tuées à Marseille. Grande dignité dans leurs discours, grande détresse. Et donc un sens accru des responsabilités."
Emmanuel Macron avait lui-même, dans un entretien à BRUT le 4 décembre 2020, reconnu des "fautes" dans cette affaire. Des médias nationaux, qui ont un peu oublié l'affaire depuis, déplore maître Béatrice Debreuil.
Au niveau national, que ce soit les politiques ou les journalistes, personne n'a contacté les familles des victimes depuis la dégradation de cette stèle. Il s'agit pourtant d'une attaque à la République. L'absence de réactions m'interroge.
Maître Béatrice Debreuil, avocate de la maman de LauraFrance 3 Provence-Alpes
"On est considéré comme un simple fait divers par l'État. Mais on veut seulement que cela ne se reproduise plus ! Malheureusement, ça a déjà été le cas le 13 octobre 2023", tient à rappeler la maman de Laura. À cette date, un professeur, Dominique Bernard, avait été assassiné devant son lycée par un assaillant déjà connu pour des faits de radicalisation.