De l'émergence de vidéos de trafiquants armés à la cité Mistral de Grenoble à l'interpellation, mercredi 2 septembre, du rappeur à l'origine d'un clip, la semaine a été agitée à Grenoble : le préfet de l'Isère, le maire de la ville Eric Piolle et même le ministre de l'Intérieur se sont illustrés.
Lundi 24 août : deux vidéos suscitent l'indignation sur les réseaux sociaux
Deux vidéos font irruption sur les réseaux sociaux. Des hommes cagoulés et lourdement armés à la cité Mistral de Grenoble dans ce qui pourrait être du trafic de drogue. Le procureur de la République de Grenoble, Eric Vaillant, a déclaré que les vidéos renforçaient "la détermination du parquet de Grenoble à lutter contre le trafic de stupéfiants". Le magistrat pense qu'il pourrait s'agir d'une "mise en scène".
Mercredi 26 août : enqûete ouverte et impressionnante opération de police sur ordre du ministre de l'Intérieur
Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, annonce sur Twitter, mercredi 26 août, une opération policière à Mistral, avec le préfet de l'Isère à la manoeuvre. "L'Etat s'imposera face à l'ensauvagement d'une minorité de la société."
Sur mon instruction directe, une opération de police est en cours dans le Mistral, à #Grenoble. Merci aux effectifs mobilisés pour imposer l'ordre républicain, le seul qui protège.Aucun doute ne doit subsister: l’Etat s’imposera face à l’ensauvagement d’une minorité de la société
— Gérald DARMANIN (@GDarmanin) August 26, 2020
Peu avant, une enquête avait été ouverte par le parquet de Grenoble pour "association de malfaiteurs". Journalistes et caméras étaient conviés à cette opération en présence du préfet de l'Isère Lionel Beffre et de la directrice départementale de la sécurité publique du département, Fabienne Lewandowski.
Une quarantaine de policiers sont intervenus en fin de journée mercredi. Le bilan est maigre : aucune interpellation et deux scooters saisis sur une cinquantaine de contrôles. Au cours de cette soirée, des jeunes du quartier lancent au préfet que "c'était un clip de rap" et que "les armes étaient factices".
Jeudi 27 août : Eric Piolle dénonce un coup de communication et s'oppose au ministre de l'Intérieur
Eric Piolle n'est pas longtemps resté silencieux. Le maire de Grenoble a dénoncé, jeudi 27 août, un coup de communication, au lendemain de l'impressionnante opération de police. "Rentrer dans cette logique de guerre de provocations avec les dealers, c'est malsain (...). Je regrette fortement que le ministre s'engage dans cette logique où on pointe du doigt un quartier de telle ou telle ville", a déclaré l'édile à BFM.
Le préfet de l'Isère, Lionel Beffre, a assumé cette opération avec comme principal argument la présence de l'Etat. "Qu'aurait-on dit si l'Etat n'avait pas montré qu'il n'appartient lui-même pas à quelques-uns ? On aurait parlé d'inaction de l'Etat. Il s'agissait hier de réaffirmer sa place."
Vendredi 28 août : Darmanin répond à Piolle qui se dit "effaré"
Le lendemain, le ministre de l'Intérieur riposte : il adresse un courrier au maire, lettre qu'il rend publique. "Le quartier Mistral, malgré le manque d'implication de la ville, fait l'objet d'une attention particulière et constante de la police nationale. (...) Je compte sur vous pour une action résolue aux côtés de l'Etat pour le bien de la France et des Grenoblois", lui a t-il écrit, tout en pointant le manque de moyens dans la police municipale grenobloise. Il dénonce "le faible niveau d'investissement de votre commune dans la sécurité".
Piolle réagit sur BFMTV dans la foulée et se dit "effaré". "Un ministre de la République ne devrait pas s'adresser ainsi aux élus locaux (...). Ca n'est pas digne de la République que nous souhaitons". L'édile lance une invitation au ministre de l'Intérieur.
Mardi 1er septembre : les vidéos ne seraient qu'une partie d'un clip, Piolle invité par Darmanin
Le jour même d'une communication de la Préfecture de Grenoble, qui fait notamment état de 14 interpellations, 6 placements en garde à vue et 10 kg de cannabis saisis, le rappeur Corbak Hood sort un clip de sa nouvelle chanson, "Chicagre", lundi 31 août. On y retrouve une partie des vidéos polémiques de la semaine précédente, mais de meilleure qualité et avec des angles différents.
Le procureur de la République de Grenoble, Eric Vaillant, et la préfet de l'Isère, Lionel Beffre, restent prudents. "Ce ne sont pas des malfrats qui vont occuper la voie publique avec des armes, factices ou pas", a déclaré ce dernier lors d'un point presse.
Mardi 1er août, dans l'après-midi, le rappeur, âgé de 16 ans, assure à France 3 Alpes que son clip n'a "rien à voir" avec le trafic de stupéfiants qui gangrène le quartier du Mistral. "Tout ça, c'est de la mise en scène. Y'avait une opportunité de buzzer et je l'ai utilisée."
Dans la soirée, Eric Piolle, invité au journal de France 3 Alpes, ne se mouille que peu sur les récentes nouvelles à propos des vidéos du Mistral. Mais il annonce qu'il a été invité place Beauveau par Gérald Darmanin, qu'il continue toutefois de critiquer toutefois. Le maire de Grenoble martèle les mêmes expressions : la "stigmatisation" de ce type de quartiers et "les coups du menton" du gouvernement.
Mercredi 2 septembre : Darmanin persiste, Corbak Hood en garde à vue
Sur le plateau de Télématin, mercredi 2 septembre, Gérald Darmanin émet des doutes sur le clip et assume les opérations qu'il a commandées. "Quand j'ai demandé des opérations de police au préfet de l'Isère, nous nous sommes aperçus au bout de trois opérations qu'il y a eu une saisie de 10 kg de drogue sur les quartiers avoisinants. Vidéo vraies ou vidéos pas vraies, ça méritait sans doute que la police s'y intéresse."
Dans la matinée, on apprend par le préfet de l'Isère que le rappeur, à l'origine du clip à partir des vidéos qui ont provoqué l'ire des autorités, a été placé en garde à vue vers 8h30. Les chefs d'accusation : "provocation à l'usage ou au trafic de stupéfiants, à l'usage de substances présentées comme douées d'effets stupéfiants ; provocation, non suivie d'effets, au crime ou au délit par parole, port prohibé d'armes, injures publiques envers une personne dépositaire de l'autorité publique", selon le procureur de la République de Grenoble, Eric Vaillant.
L'enquête reste ouverte pour faire la lumière sur cette affaire rocambolesque, qui a mobilisé jusqu'à l'un des personnages les plus hauts placés du gouvernement.