Ces chiffres ne surprennent plus personne. La présence généralisée de PFAS dans les sols, eaux et légumes de Pierre-Bénite dans le Rhône a déjà été confirmée par de nombreuses analyses. Mais les prélèvements récents effectués par les autorités publiques révèlent que les taux de per- et polyfluoroalkylés sont importants dans les écoles et les jardins privés proches de la plateforme industrielle de la commune.
Nouvelles analyses, nouvelles alertes. Les habitants de Pierre-Bénite dans le Rhône, sont désormais coutumiers du fait. Mais cette fois, sans grande surprise, que les PFAS sont entrés jusque dans les cours d'école.
Les résultats de l'étude réalisée cet été, dans le cadre du plan de surveillance de l’environnement établi par arrêté préfectoral, viennent de tomber et ils ne sont pas bons.
Dans un rayon de 500 mètres autour de la plateforme industrielle de Pierre-Bénite, dans l’eau souterraine, les sols et les légumes, “les résultats montrent une présence de PFAS [...] à des niveaux globalement supérieurs aux valeurs retrouvées sur des points témoins éloignés de la plateforme industrielle”, résume le communiqué de la préfecture.
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Deux écoles de Pierre-Bénite particulièrement touchées
Pour interpréter ces résultats dans les sols, les autorités se sont basées sur la norme danoise, qui présente l’avantage de proposer un seuil pour une somme de PFAS (1 μg/kg pour PFOA+PFOS+PFHxS+PFNA). Depuis juillet 2021, cette valeur guide permet aux autorités du pays de “garantir que les utilisations des terres à accès libre pour des utilisations sensibles sont sans danger pour la santé, par exemple les jardins privés, les jardins d'enfants et les terrains de jeu”.
À Pierre-Bénite, sur les six établissements scolaires étudiés, une école est en dessous de la norme. Trois autres, dont une crèche, ont des taux proches ou légèrement au-dessus du seuil danois. Pour l’école primaire Paul Eluard, en revanche, les taux sont cinq fois supérieurs entre 0 et 5 cm de profondeur, et 10 fois au-dessus entre 5 et 30 cm. Ils atteignent jusqu’à 110 μg de PFAS par kg de matière sèche. Pour comparaison, à Anvers, en Belgique, où le scandale 3M a fait beaucoup de bruit et forcé les pouvoirs publics à légiférer, les sols contenaient en moyenne 70 μg de PFAS par kilo.
À l’école maternelle Pablo Picasso, située juste à côté, les niveaux sont jusqu’à trois plus élevés que le seuil danois, entre 5 et 30 cm de profondeur.
Les taux de PFAS présents dans les sols semblent diminuer à mesure que l'on s'éloigne de la plateforme. Mais alors que France 3 révélait en février dernier la pollution du sol d’une école d’Irigny suite à une campagne d’analyse diligentée par la commune, à des niveaux au-dessus de la référence danoise, les prélèvements réalisés par la Direction de l'environnement (DREAL) ne détectent, eux, aucune présence de PFAS.
Ces prélèvements confirment également une nouvelle fois la présence importante de PFAS dans les sols du stade Brotillon, fermé pendant deux semaines à la découverte du scandale sanitaire en mai 2022 mais réouvert ensuite.
Pas de recommandation sanitaire pour les écoles et le stade
La DREAL précise que “les dépassements des valeurs indicatives constatés dans les sols sont essentiellement portés par le composé PFNA le PFUNDA”, c’est-à-dire par la molécule utilisée par l’industriel Arkema, installé sur la plateforme industrielle de Pierre-Bénite. La seule valeur de comparaison existante pour le PFNA est une norme hawaïenne, applicable pour les écoles et les parcs pour le PFNA. A Paul Eluard, on est jusqu’à 38 fois au-dessus.
Le PFNA est jugé par une étude scientifique publiée par les autorités néerlandaises (J. Zeilmaker et al. 2018) comme potentiellement 10 fois plus dangereux que le PFOA, lui-même déclaré cancérigène pour l’Homme par le CIRC le mois dernier.
“Il est rappelé que les sols constituent une source très limitée d’exposition aux PFAS”, précise la préfecture. Mais interrogé en février dernier par notre rédaction, le professeur Jacob de Boer conseillait pourtant aux pouvoirs publics d'intervenir rapidement.
“Les enfants sont plus vulnérables à ces substances tout simplement parce qu'ils sont toujours en développement et plus exposés aux doses toxiques car ils sont plus légers. À ce niveau d'exposition, le risque principal c'est l'impact sur l'immunité, sur les défenses de notre corps. Et plus le taux d'exposition est élevé, plus le risque est grand d'attraper toutes sortes de maladies”,
rappelait le toxicologue à l'université d'Amsterdam et spécialiste de ces molécules.
C'est la "signature chimique" d'Arkema
Dans les eaux souterraines, la présence de PFAS est très importante au sud du site de la plateforme industrielle, confirmant la pollution de la nappe. Un collectif de citoyens, "Ozon l’eau saine", avait déjà révélé des taux similaires l’été dernier, en ayant fait analyser l’eau souterraine de Pierre-Bénite par un professeur canadien. Cette eau n’est pas destinée à la consommation mais est généralement utilisée pour l’arrosage des jardins et potagers.
Les légumes des potagers privés analysés présentent également des concentrations de PFNA supérieures aux valeurs indicatives européennes, notamment pour les blettes, salades et carottes. En juillet, prenant les devants, Arkema avait déjà déconseillé la consommation des légumes jardinés dans ses potagers partagés, situés à proximité directe de la plateforme.
“Ces résultats confirment un fort marquage, avec la signature chimique d’Arkema, au sud et à l’est de la plateforme”, résume un expert de la DREAL, ce qui confirme les scénarios de dispersion atmosphériques des polluants.
”Mais même quand on s’écarte de la plateforme, hors d’influence des sites industriels, il peut y avoir des dépassements, ce qui confirme que le sujet n’est pas un sujet uniquement lié à la plateforme de Pierre-Bénite. Il peut y avoir d’autres sources de contamination, les molécules sont alors différentes”.
DREAL
Comme pour les écoles, aucune recommandation n'est faite par les autorités. “En l’absence de valeurs de gestion nationales pour ces milieux (sols, végétaux, eau d’arrosage), l’évaluation des risques sanitaires potentiels est délicate à ce stade”, précise la préfecture. Ces résultats ne sont que la première étape d’une étude environnementale plus large, prescrite à Arkema. “On avance étape par étape”, nous explique-t-on à la DREAL, “on attend la suite des résultats sur un rayon de 4 km”.