Mort de Laurent, à 22 ans, dans un accident du travail : "Je vous haïrai jusqu'à la fin de mes jours"

Le forain qui employait Laurent a été condamné à deux ans de prison avec sursis et 20 000 euros d'amende. Il était jugé ce mardi 11 juillet à Dijon.

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Il aidait à décharger des pièces métalliques de 2 tonnes, sans casque, sans visibilité, vêtu d'habits sombres dans la lumière tombante d'un après-midi pluvieux de novembre, lorsque l'accident a eu lieu. Laurent Paillard, originaire de Besançon (Doubs), a perdu la vie le 7 novembre 2018 lorsque l'une de ces pièces l'a heurté à la tête. L'homme qui l'employait, un forain qui manœuvrait la grue, comparaissait ce mardi 11 juillet au tribunal correctionnel de Dijon.

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"Je vous haïrai jusqu'à la fin de mes jours"

Lorsqu'elle est invitée à la barre, Françoise Goodwin Hillier s'assied et déplie un papier qu'elle a écrit à l'intention du mis en cause. "Presque cinq ans que j’attends ce moment, de pouvoir mettre un visage sur un nom. En arrachant Laurent à notre existence, vous avez détruit notre famille." Seule l'allée centrale la sépare du prévenu, Alexandre M., qui écoute la mère sans la regarder.

"Vous m’avez détruite, moi en tant que maman (...) Vous m’avez anéantie au plus profond de mon être, dans mon cœur et dans ma chair, ce bébé que j’ai porté et qui n’avait que 22 ans ce jour-là."

"Auriez-vous, ne serait-ce qu’une fois, placé l’un de vos propres enfants dans une telle situation de danger ? J’en doute profondément."

Françoise Goodwin Hillier

mère de Laurent

"Je vous haïrai jusqu’à la fin de mes jours car ce 7 novembre 2018, vous avez failli à toutes vos responsabilités, en tant qu’employeur, en tant qu’homme et en tant que père. Mon fils aurait pu être le vôtre !" En effet, Alexandre M. est père de trois enfants de 11, 18 et 21 ans.

Ils empilaient des barres métalliques de plus de 10 mètres

Avant cela, le procès a débuté avec le rappel des faits. Début novembre 2018, Alexandre M. reçoit les éléments d'une grande roue en provenance de Turquie. Cet homme, alors âgé de 45 ans, est forain depuis tout petit, comme son père avant lui. La livraison a lieu à Magny-Saint-Médard, au nord-ouest de Dijon.

Alexandre M. doit décharger les pièces de la grande roue et les charger sur un plateau de semi-remorque pour les transporter plus loin. Il ne peut pas faire cette tâche seul ; il fait alors appel à un autre forain, qui le met en contact avec Laurent Paillard.

Le jeune homme, qui réside à Besançon, vit de petits boulots. "Il était un peu marginal, il prenait tout travail qui lui était proposé", explique la juge pour contextualiser. Un ami lui paie le billet de train Besançon-Dijon, et Laurent rejoint le forain pour lui prêter main-forte.

Les deux hommes commencent à empiler les barres métalliques (elles mesurent chacune plus de 10 mètres pour 2 tonnes) sur le plateau du camion. Alexandre M. manœuvre la grue, Laurent le guide à la voix depuis le plateau. Les barres métalliques sont empilées et forment un triangle au milieu duquel Laurent se place. "Un cercueil en fait", lâche sa mère. À un moment donné, Laurent ne dépasse presque plus de l'empilement des pylônes. Il continue de guider le grutier à la voix. C'est là que se produit l'accident : Alexandre M. ne voit rien, mais il n'entend plus Laurent. Il descend et le trouve alors inconscient, du sang à la tête. Les secours sont appelés rapidement, mais Laurent décède sur place.

Le casque, "un équipement tellement basique"

Rapidement, les enquêteurs constatent que Laurent n'avait aucun équipement de protection "à part des gants qui lui appartenaient" : pas de casque ni de chaussures de sécurité, pas de chasuble orange pour être visible. Pas non plus de formation préalable aux risques, comme la loi l'exige pourtant. Auditionné le jour même, Alexandre M. déclare : "Dans le monde forain, il n'y a pas de règles précises. Les casques, ce n'est pas la coutume."

Interrogé à la barre ce 11 juillet 2023, Alexandre M. dit avoir pris conscience des choses.

"Cette affaire m'a profondément marqué. Ça fait 4-5 ans que la vie a changé pour moi, ça a été un choc énorme."

Alexandre M.

prévenu

La présidente du tribunal l'interroge tout de même :

"Pourquoi Laurent n'a pas de casque ce jour-là ? Alors que c'est un équipement tellement basique."

"C'est une erreur, une inattention... Je ne sais pas."

"Vous en aviez dans le camion pourtant, non ?"

"Tout à fait."

La présidente tranche : "Dans ce tribunal, on traite des homicides, des drames, parce que des gens ne respectent pas les règles. Mais les règles, elles sont faites pour ça. Il suffit de deux secondes pour un drame."

Le forain assure que depuis, il a changé sa manière de faire. "Au début, je ne pensais pas que c'était un travail, juste du déchargement. Aujourd'hui, il y a davantage de sécurité, je fais de la prévention quand on manie des grues, on porte des casques, j'en parle à tous mes hommes", assure-t-il.

"La chronique d'une mort annoncée"

Maître Gilles Foursicot est l'avocat de la mère, du frère, de la sœur et de la grand-mère de Laurent. Devant le tribunal, il rappelle que la date du 7 novembre, qui correspond à l'anniversaire de Laurent, devait être célébrée chaque année mais est devenue un jour de deuil. Il liste les négligences commises par Alexandre M. "En fait, c'était la chronique d'une mort annoncée."

Maître Randall Schwerdorffer, qui défend le père et les grands-parents paternels de Laurent, rappelle un détail qui a "particulièrement choqué le père" : "Le prévenu avait déclaré que ce n'était pas du travail, mais du bénévolat." En effet, Alexandre M. a toujours dit qu'aucun montant, aucun salaire n'avait été discuté en amont. D'ailleurs, il n'avait pas non plus établi de contrat de travail.

"Envoyer un message fort aux employeurs et aux forains"

Le procureur prend ensuite la parole. "Monsieur M. nous a parlé de coutumes. Il était d'usage, au XIXe siècle, de faire travailler des enfants dans les mines. Il était courant que les mineurs meurent dans des coups de grisou. Heureusement, ces coutumes ont évolué."

"Une vie a été perdue. Ça aurait pu bien se passer, ça aurait dû bien se passer. Et ça se serait bien passé, si monsieur M. avait respecté les règles."

David Dufour

procureur

Le magistrat demande aux juges "d'envoyer un message fort aux employeurs et au monde forain". Il demande 18 mois de prison, moitié ferme et moitié avec sursis, 5000 euros d'amende et 750 euros de contravention.

Les proches déçus par le délibéré

Après délibéré, le tribunal décide de ne pas suivre les réquisitions. Alexandre M. est condamné à deux ans de prison intégralement sous sursis, 20 000 euros d'amende dont la moitié avec sursis. Il devra aussi verser 3 100 euros à la famille de Laurent. 

À la sortie de l'audience, les proches ne cachent pas leur amertume. "Il n'a rien pris", lâche sa mère qui espérait de la prison ferme. "On s'en doutait", tempèrent le frère et la sœur de Laurent. Tous reconnaissent que ce procès était "important" pour eux. "C'est une étape du processus de deuil, et la fin de tout l'administratif, toutes les démarches judiciaires qui nous replongeaient dedans à chaque fois", explique Sandra, la grande sœur. Le père, Eric, se dit "choqué" par l'attitude d'Alexandre M. : "Il ne nous a pas présenté ses excuses. Il ne s'est pas du tout adressé à nous, il s'est contenté de dire que ça l'avait marqué lui, il n'a parlé que de lui."

Françoise Goodwin Hillier déplore un déséquilibre de la peine prononcée par rapport à d'autres affaires d'accidents du travail. Il y a un mois, un entrepreneur a écopé de 36 mois de prison, dont la moitié ferme, pour des négligences qui ont conduit à l'homicide involontaire d'Alban Millot, un ouvrier Jurassien de 25 ans. L'homme a depuis fait appel et doit être rejugé.

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