Quatre jours après la fusillade qui a coûté la vie à Mehdi, 23 ans, près du parc de la Colombière à Dijon, son père Mohamed témoigne pour rendre hommage à son fils. Il évoque un jeune homme "avec le cœur sur la main", qui a noué "de mauvaises fréquentations". Il espère que le tireur "assume et réfléchisse".
Mehdi venait de fêter ses 23 ans, le 7 mars. C'était cinq jours avant de mourir, touché par des tirs d'arme à feu, dans le quartier Greuze à Dijon. Samedi 12, Mehdi a succombé dans la voiture qui l'emmenait aux urgences. Quatre jours plus tard, son père, Mohamed, nous reçoit chez lui, pour raconter qui était Mehdi, et demander justice.
"Il était gentil, doux, le cœur sur la main"
"Mehdi, c'était un garçon qui était aimé de beaucoup de monde", raconte son père. "Il était serviable, gentil, doux. Il rendait service, il avait le cœur sur la main. Comme tous les jeunes, il avait des sautes d'humeur, mais ce n'était pas quelqu'un de violent. Il était toujours prêt à rendre service, il se précipitait pour porter les courses des gens qui vivaient dans le quartier. Il aidait beaucoup sa grand-mère, chez qui il logeait. Quand il achetait des gâteaux ou des boissons, il faisait profiter tous ceux qui étaient autour de lui."
"Ce n'était pas un égoïste. Mais il était peut-être un peu trop naïf. Facilement manipulable", regrette Mohamed. "On s'est servi de lui, comme dans la plupart des quartiers où il y a du trafic."
"C'était un petit maillon de la chaîne du trafic"
Le trafic de drogue, et l'hypothèse d'un règlement de comptes, c'est la première piste envisagée par le parquet. C'est vrai que Mehdi était connu des services de police, son père ne le nie pas. "Je savais qu'il dealait quelques barrettes, il s'est fait attraper plusieurs fois par les inspecteurs dans le quartier, il a été en garde à vue. Mais c'était pour financer sa consommation personnelle, lui-même était addict et fumait des pétards."
"Ce n'était pas un gros dealer. C'était juste un petit maillon de la chaîne. Un petit larbin des trafiquants."
Mohamed avait pourtant essayé, plusieurs fois, de le faire décrocher. "J'ai essayé de lui parler de tout ça. Je connais ce monde, j'ai été jeune moi aussi, j'ai vécu dans ce quartier. J'ai essayé de lui faire comprendre que ce n'était pas ça la vie. Qu'il vaut mieux travailler, se lever tôt, même si c'est pénible. Mais rien n'y faisait : ça rentrait par une oreille, ça sortait par l'autre."
"Par moments, il se réveillait : il avait décroché un contrat pro de deux ans dans une entreprise de ravalement de façade, il a travaillé six ou sept mois, mais il a fini par arrêter parce que le rythme était trop soutenu pour lui." La dernière fois qu'ils se sont parlés, Mehdi lui a dit qu'il avait une nouvelle piste : un contact pour travailler dans la fibre optique.
"Arrivé aux Grésilles, les fréquentations ont commencé à se compliquer"
Le portrait d'un jeune homme éloigné de l'emploi, qui n'a pas eu un parcours de vie facile. Une séparation des parents lorsqu'il avait sept ans, suivie d'une séparation de fratrie : lui, son frère et sa sœur ont été placés chacun dans une famille d'accueil différente, pendant plusieurs années. Par la suite, le père, Mohamed, trouve un logement suffisamment grand aux Grésilles et récupère leur garde : "Je ne voulais pas aller dans ce quartier, mais c'était là que les appartements étaient disponibles le plus vite."
Les enfants se scolarisent alors aux Grésilles. Mehdi rentre au collège. "Les fréquentations ont commencé à se compliquer. Avant, il faisait du foot à Arc-sur-Tille, ça lui plaisait, il jouait bien." Inscrit dans un nouveau club aux Grésilles, il perd goût au sport : "Il y avait trop de monde dans l'équipe, il jouait peu et restait sur le banc, ça a cassé sa motivation."
"Après, il a commencé à dériver, à se retrouver avec d'autres jeunes. Ils commençaient à faire de la moto-cross dans le quartier. J'ai vu que ça empirait."
Mohamed décide alors de quitter le quartier et d'emmener ses enfants au vert, à Saint-Seine-l'Abbaye. "J'ai voulu les éloigner de ce monde, les mettre à la campagne, sans mauvais entourage. Malgré ça, Mehdi prenait le Transco et revenait à Dijon voir ses amis."
La famille revient à Dijon en 2017. Mohamed trouve un appartement dans un autre quartier, mais Mehdi revient régulièrement dans le quartier Greuze, et loge chez sa grand-mère qui habite sur place. Il passe aussi voir des connaissances aux Grésilles, au Drapeau, à la Fontaine-d'Ouche, à Chenôve.
"Il y a une justice, j'en suis convaincu. Mais pourquoi en arriver là ?"
Il avait beau savoir que son fils "traînait" dans le trafic, Mohamed n'aurait "jamais" imaginé ce qu'il s'est passé. "Jamais. Surtout à Greuze. C'est un petit quartier, ils doivent être une vingtaine de jeunes, à peine. Il y a un petit trafic qui dure depuis des années, c'est vrai. Mais les anciens du quartier, des amis qui sont venus me voir, sont sidérés. Ils n'en reviennent pas."
Comment se sent-il aujourd'hui ? "Je suis dévasté." Il marque une pause, les yeux dans le vide. "On voudrait qu'il y ait une justice. Que le tireur paie pour ce qu'il a fait. Pour ce désastre, ce séisme qu'il a propagé autour de la famille de Mehdi. Je ne sais pas où va cette génération. Ils ne réfléchissent pas à tout le mal qu'ils peuvent faire. Même cette personne, le tireur, s'est fait du mal à lui-même et à son entourage, parce que je sais qu'un jour ou l'autre, il le paiera."
Mohamed dit avoir toute confiance dans le travail de la police, et espère que le coupable sera retrouvé et jugé. "Le tireur a été jusqu'à commettre cet acte, alors, qu'il l'assume. Qu'il réfléchisse. Il y a une justice, j'en suis convaincu. Mais pourquoi en arriver là ?"