Témoignage. Violences contre les pompiers : "On prend la société en pleine face"

Publié le Écrit par Lisa Guyenne et Valentin Chatelier
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Les pompiers subissent de plus en plus d'agressions et d'incivilités lors de leurs interventions. Sylvain, 45 ans dont 25 passés chez les soldats du feu, témoigne. Un constat désabusé pour ce pompier de Côte-d'Or.

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Il y a quelques jours, Sylvain s'est fait rouler sur le pied par un conducteur énervé qui a pris la fuite. Pompier professionnel depuis 25 ans, ce soldat du feu affecté en Côte-d'Or nous raconte cet événement et nous livre son sentiment sur la violence qui s'est installée dans la société, au point que les pompiers ont dû s'y "habituer". Un constat désabusé.

Que s'est-il passé lors de cette intervention ?

Sylvain : "On a été sollicités pour une personne en fauteuil qui faisait une crise d'épilepsie au centre-ville de Dijon dans une rue relativement étroite. On a dû monter sur le trottoir pour libérer la route, nous empiétons sur la voie de circulation mais le passage était possible à faible allure.

Au bout de quelques minutes, un monsieur pressé avec un camion a décidé de forcer le passage. Il est venu percuter notre rétroviseur côté conducteur. 

Voyant qu'il était en train de tout arracher, je lui ai fait signe qu'il fallait qu'il s'arrête pour éviter de faire trop de dégâts. Avec mes collègues, on s'est mis devant son véhicule pour qu'il arrête. Il a accéléré, il nous a poussés avec le capot de son véhicule. 

Ensuite, le monsieur est sorti, a ramassé ses débris de rétroviseur. Il ne nous a quasiment pas adressé la parole. Il est remonté, j'ai voulu lui dire de s'arrêter pour remplir un constat. J'avais bien vu qu'il allait se sauver, j'avais compris tout de suite. J'ai voulu ouvrir sa portière pour lui dire : "Monsieur, maintenant il faut vous garer et remplir un constat". 

Et là il a accéléré, il m'a emporté alors que j'avais la main sur la poignée, et il m'a roulé sur le pied."

Avez-vous été blessé ?

Sylvain : "Non, heureusement nous portons des chaussures coquées. Mais le monsieur s'est sauvé sans laisser d'adresse. Heureusement, nous avions pris des photos et il y avait plusieurs témoins. Mais tout ça pour un rétroviseur cassé..."

Que vous êtes-vous dit au moment où cela s'est passé ?

Sylvain : "On en voit tous les jours dans notre travail, des gens qui créent des accidents et qui se sauvent. On a l'habitude. Moi, je l'avais anticipé, j'avais bien compris qu'il n'allait pas s'arrêter. Je l'avais vu dans son attitude. Je ne sais pas si on prend l'habitude, mais je n'ai pas eu peur. Je suis rentré dans la banalité, en fait. C'est régulier, des gens qui se sauvent sans laisser d'adresse. C'est la société, finalement."

Après coup, comment avez-vous analysé ce qu'il s'est produit ? 

Sylvain : "Je me suis dit que ça aurait pu mal finir : un habit qui se coince, être traîné sur plusieurs mètres, voire même passer sous les roues... Avec le recul, je me dis que je fais un métier à risques, dans tous les sens du terme. On pensait que le pompier pouvait laisser sa peau dans un incendie. Mais sur la voie publique finalement, pour un truc complètement banal, pour une incivilité, on se dit que ça peut arriver aussi... Malheureusement, on l'a banalisé. La société l'a banalisé."

Plusieurs vidéos de pompiers agressés en intervention ont circulé ces derniers mois. Que pensez-vous lorsque vous entendez parler de collègues victimes d'agressions ?

Sylvain : "C'est terrible. On n'est pas entrés chez les pompiers pour ça. J'ai 25 ans de service. J'ai toujours connu la violence, j'étais dans le 93 avant. J'ai connu les banlieues. Mais maintenant, je dirais même qu'on retrouve davantage la violence en centre-ville ou chez les personnes "lambda", de toutes les classes sociales, que dans les quartiers. C'est triste. On s'est habitués à cette violence.

On fait quand même un métier bien vu par la majorité de la population, mais dès que l'on retrouve un peu d'alcool, de stupéfiants, de détresse sociale, les gens ne sont plus dans leur état normal et peuvent devenir dangereux."

Votre ressenti, c'est qu'il y a de plus en plus d'incivilités ?

Sylvain : "Oui. Je pourrais vous raconter une anecdote tous les jours. Il y a des choses qui, pour le commun des mortels, ne représentent rien. Mais même quelqu'un qui fait un doigt d'honneur à une ambulance qui veut passer, c'est déjà une incivilité."

Aujourd'hui, il y a une crainte de partir en opération ?

Sylvain : "Il n'y a pas de crainte, mais on se méfie maintenant, on est vigilant. On sait qu'une simple ouverture de porte chez un petit papy peut virer au drame. J'ai un collègue dans l'Ain qui est décédé d'une balle dans la tête parce que le monsieur a cru que c'était des délinquants, des voleurs qui essayaient d'entrer, et il a tiré. On a perdu un collègue comme ça."

Pour vous, le métier est-il toujours une passion ?

Sylvain : "Oui. Mais le métier a relativement changé en quelques années. La détresse sociale est venue poser beaucoup de souci, que ce soit pour nous, pour les collèges policiers ou pour les services des urgences. On retrouve cette violence partout. On le voit même chez les élus aujourd'hui. Elle a probablement toujours existé, elle était peut-être moins médiatisée, mais j'ai l'impression qu'elle est beaucoup plus présente aujourd'hui."

Avez-vous des enfants ?

Sylvain : "Oui, une fille de 15 ans."

Vous lui recommanderiez de faire ce métier ?

Sylvain : "Non. Déjà parce qu'elle veut faire autre chose. Mais tout de même, je ne l'encouragerais pas. Nous les pompiers, policiers, urgentistes, notre métier est beaucoup lié à la société. On prend la société en pleine face dans des moments de détresse, de difficulté pour la population. Ce sont des métiers où psychologiquement, on prend toutes les détresses des gens dans la tête. Donc je ne sais pas si, au bout de 40 ans de carrière, on y laisse pas un peu de nous-mêmes."

À cette date, en juin 2023, les pompiers de Côte-d'Or ont déposé 11 demandes de protection fonctionnelle (ce qui signifie qu'ils sont couverts par leur employeur qui prend en charge les frais judiciaires quand une procédure est engagée). Un chiffre en augmentation : on dénombrait 8 demandes pour toute l'année 2022 et 11 pour toute l'année 2021.

Le conducteur du camion qui a écrasé le pied de Sylvain, lui, est mis en cause pour violences aggravées sur un pompier suivies d'une ITT de moins de 8 jours, avec délit de fuite.

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