Féminicide de la rue de Dole à Besançon : "C’était une personne pure, qui ne méritait pas de partir si tôt" témoigne au procès le fils du couple

Philippe Ohren comparaît ces 30 et 31 janvier 2024 devant la cour d'assises du Doubs pour le meurtre de sa femme Corinne, survenu en décembre 2021 à leur domicile de la rue de Dole. L'accusé encourt la réclusion criminelle à perpétuité.

Une silhouette imposante a fait son entrée dans le box ce 30 janvier, le visage barré par des lunettes, une chevelure tombant jusqu'aux épaules et une barbe poivre et sel. Philippe Ohren comparaît devant la cour d'assises du Doubs pour avoir donné la mort à sa femme, Corinne Pitallier, dans les derniers jours de l'année 2021 après 40 ans de vie commune à Besançon.

"J'ai un énorme trou, déclare l'accusé, interrogé par la cour à propos du soir des faits. Je ne me souviens de rien, entre le réveillon du 24-25 décembre 2021 et mon hospitalisation à Lyon." Le sexagénaire, chapelet autour du coup, reconnaît néanmoins son implication au vu des éléments qu'on lui a rapportés. Ce sont les témoins entendus ensuite qui vont éclairer la cour sur le soir du drame.

Un appartement ensanglanté

Ce soir du 29 décembre 2021, les voisins du couple, qui résidait au 46 rue de Dole à Besançon, sont alertés par une femme hurlant à la mort. L'un d'eux s'aventure sur le palier. "Leur porte était entrouverte, j’ai aperçu une jambe de femme vêtue d’un pyjama et une main qui dépassaient de la porte, du sang sur le sol," se souvient ce voisin, entendu par la cour d'assises.

"Il y avait un calme surprenant, je sentais une présence derrière la porte, j'ai demandé ce qu'il se passait. Et M. Ohren - je l’ai très bien reconnu - m’a répondu « c’est bon, je gère ». Il a réussi à fermer la porte et la femme s’est mise à crier « il est en train de me tuer ! »"

Un voisin du couple Ohren-Pitallier

Les voisins contactent alors la police. L'équipage arrive alors sur place en voiture peu après 22 heures, et aperçoivent un couple sur un petit balcon au premier étage.

"La femme était acculée au fond du balcon, et l'homme portait plusieurs coups de couteau en direction de la victime," raconte le commissaire de police auditionné par la cour. Les policiers intiment l'homme d'arrêter son geste et le mettent en joue. Philippe Ohren "lâche alors sa femme et regagne silencieusement l’intérieur de l'appartement". Corine Pitallier reste dehors, répond indisctinctement aux agents avant de perdre connaissance. "Elle perdait beaucoup de sang. Il y avait un ruissellement depuis le balcon jusqu’en bas," se rappelle le fonctionnaire de police, qui appelle alors des renforts.

 

Les policiers doivent enfoncer la porte pour pénétrer dans l'appartement, et y découvrent le sol et les murs maculés de sang, de même que plusieurs couteaux. Philippe Ohren est retrouvé sur une chaise dans sa chambre, le buste et les bras couverts d'hémoglobine. "Il a tenté de mettre fin à ses jours en se portant des coups au niveau des veines des poignets et de la gorge. (...) il était très calme et demandait à ne pas recevoir de soins".

Arrivé sur place, le Samu tente de réanimer Corinne Pitallier, qui souffre de "27 plaies sur l'ensemble du corps, dont 6 au visage," souligne le médecin-légiste en charge de l'autopsie. Le décès de la quincagénaire est prononcé sur place à 22h43, par une hémorragie liée à un coup à la gorge. La plaie principale, mesurant une quinzaine de centimètres, est "complexe, pas franche, qui pourrait être le produit de plusieurs coups". Pendant les projections de photos du corps sans vie de sa compagne, l'accusé reste la tête baissée.

Dans la chambre, les policiers découvrent plusieurs armes, un fusil 22 long rifle, un cutter, une dague, un couteau de cuisine. Mais aussi un étrange outil dans la cuisine, composé de deux morceaux de bois relié par une corde, "qui ne peut servir qu'à des fins d'étranglement" garantit l'enquêteur, M. Boulanger.

Une probable séparation

Evacué sur une civière, Philippe Ohren peut être entendu début janvier 2022, mais souffre de "confusions" et semble "détaché" des événements, note l'enquêteur qui a mené ce premier interrogatoire.

Au cours de celui-ci, Philippe Ohren raconte qu'une dispute a éclaté dans l’appartement à propos d'une séparation. Il aurait alors porté un coup de couteau à la gorge de sa femme "pour l'impressionner", et aurait tout fait pour l'empêcher de s'échapper. Interrogé à nouveau par la juge d'instruction quelque temps plus tard, Philippe Ohren ne parle finalement plus d'une dispute liée à une rupture, et évoque une amnésie, la même dont il témoigne à l'audience aujourd'hui.

"On n'avait jamais entendu de dispute," confient les voisins, présentant le couple comme "un monsieur qui parlait beaucoup, faisait beaucoup de blagues, actif dans la copropriété" et "une femme très agréable, plus discrète que son mari".

Entendu par la cour, Dylan Ohren, fils unique du couple et partie civile au procès, rapporte que ses deux parents avaient connu des difficultés de santé. Son père souffrait de diabète, de surpoids et d’ulcères, situation qui le rendait dépressif, à l'opposé de sa mère qui, après une rémission du sein, était "plus coquette et pétillante". Elle venait d'obtenir son permis, du premier essai.

C’était une personne pure, qui ne méritait pas de partir si tôt. Elle subvenait à mes besoins, aux besoins de mon père. (...) J’aurais aimé que mon père mette sa force dans autre chose, qu’il se confie. Le mot est faible, mais je suis déçu de mon père. Ce n’était pas la seule issue possible.

Dylan Ohren

à la barre de la cour d'assises

"Ma maman s'était confiée à moi, et je sais à quel point ça n'a pas dû être facile pour elle, poursuit le jeune papa, âgé d'une vingtaine d'années. Elle m'a parlé de quitter mon père. Je lui ai dit qu'elle avait 56 ans, qu'elle avait encore quelques belles années devant elle. (...) Elle semblait me demander mon avis. Elle m'a dit qu'elle ferait ça bien." Sur question de la cour, Dylan Ohren décrit un "sentiment d'abandon" qu'aurait développé son père les dernières années.

"Elle ne lui disait plus « oui » tout le temps", résume Nadine, la mère de Corinne Pitallier. Cette dame de 81 ans, qui ne tarie pas de détails sur la relation de sa fille et son gendre, est convaincue que "le drame a éclaté parce que le gamin n’avait pas à savoir ce qu’il se passait dans le couple". Auditionnés par la cour, aucun des membres de la famille Pitallier n'a reçu de confidence de la victime quant à une rupture, ni n'a envisagé celle-ci.

"Depuis quelque temps, elle prenait davantage soin d'elle, ça ne plaisait pas trop à Philippe" confirme la meilleure amie et voisine de Corine Pitallier. Selon elle, le couple Ohren ressemblait davantage à "deux personnes qui cohabitaient".

"Vous déclarez que M. Ohren était radin, qu’il « écrasait » Corinne Pitallier… C’est votre meilleure amie, pourquoi vous ne lui conseillez pas de le quitter ?", gronde Me Catherine Bresson, avocate de la défense, qui reproche à la témoin, interdite, de ne pas étayer ses propos d'exemples. "Mais c'est vrai !" s'insurge un homme dans le public, preuve que de nombreux proches et voisins sont présents dans la salle d'audience pleine à craquer. Ce dernier manque d'être évacué.

Prostré dans le box, l'accusé n'a levé la tête que lorsque l'amie de sa défunte femme a évoqué leur relation de couple. Puis est devenu très attentif pendant la déposition de son fils.

Un acte prémédité ?

Les enquêteurs sont convaincus que Philippe Ohren avait préparé son acte. "La demande de Philippe Ohren à son épouse qu'elle rentre avant la nuit, le règlement d'un problème administratif, la banquette arrière abaissée du véhicule de Philippe Ohren et l'objet constitué de deux poignées reliés par une ficelle, tout cela laisse entendre que l'accusé avait prémédité son acte," énumère M. Boulanger. Néanmoins, "rien n'évoque une strangulation," confirme le médecin-légiste à propos de l'objet bricolé.

La préméditation n'a pas été retenue par la juge d'instruction à l'encontre de Philippe Ohren, qui est poursuivi pour meurtre sur conjoint, et non pour assassinat. Ce que ne manque pas de rappeler son conseil Me Bresson. "S'il voulait préméditer son acte, il n'aurait pas été plus facile de la tuer avec une arme à feu ?" demande-t-elle à l'enquêteur.

Philippe Ohren est jugé devant la cour d'assises du Doubs jusqu'au mercredi 31 janvier. Il encourt la réclusion criminelle à perpétuité.

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