"Ils nous ont tués, ils ont tué Piquemiette" : la neige est au rendez-vous mais ces commerçants, installés sur des pistes fermées, coulent à pic

Ces derniers jours, la neige est tombée à gros flocons sur la Franche-Comté, permettant aux stations de ski de réaliser un très bon début de saison. Pourtant, à Jougne, les télésièges sont à l'arrêt après la fermeture des pistes de Piquemiette. Une poignée de commerçants assiste, impuissante, à la chute de leur activité.

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"C'est perturbant. Il neige, et pour la première fois de ma vie, j'ai la rage". Cette phrase, Aimé Sandona n'aurait jamais pensé la prononcer un jour. Depuis 50 ans, le septuagénaire, passionné de montagne, s'occupe du magasin de ski Sandona Sport, situé aux pieds des pistes de Piquemiette, à Jougne (Doubs).

Il y a presque 40 cm de neige naturelle. Il y aurait le double avec les canons à neige. On a plus vu ça depuis une dizaine d'années.

Aimé Sandona,

gérant du magasin de ski Sandona Sport

En temps normal, de telles conditions auraient attiré des milliers de skieurs sur la dizaine de pistes de Piquemiette. Une aubaine, alors que le secteur des sports d'hiver souffre depuis plusieurs années. Mais à Jougne, personne.

Un silence assourdissant a remplacé le brouhaha des sportifs et vacanciers. Et pour cause, depuis septembre dernier, les pistes ont fermé. Au grand dam des commerçants, chez qui la colère et le ressentiment sont toujours énormes.

"Je perds entre 1 000 et 1 500 euros par jour"

Pour tout comprendre, revenons un peu en arrière. Mi-septembre 2024, le Syndicat mixte du Mont-d'Or (SMMO), qui gère la station de ski de Métabief, décide pour des raisons "économiques et écologiques" de fermer cinq remontées mécaniques sur le secteur de Piquemiette, occasionnant la fin des pistes de ski du village de Jougne (Doubs).

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Dans la commune, c'est la stupeur. La municipalité et les commerçants crient au scandale et critiquent une décision prise "sans concertation", susceptible de ruiner "l'économie locale".

Les pétitions et les réunions publiques s'enchaînent, sans arriver à faire bouger les choses. "On ne nous a pas respectés" reprend Aimé Sandona. "Et nous voilà aujourd'hui, avec des conditions météorologiques idéales qui ne nous permettent pourtant pas de gagner notre vie".

Cette année, c'est un Noël exceptionnel. Et pourtant, tous les jours, je perds entre 1 000 et 1 500 euros.

Aimé Sandona,

gérant du magasin de ski Sandona Sport

Même chose un peu plus haut, sur les hauteurs de Piquemiette, au Chalet du pisteur, restaurant tenu depuis 1996 par Jérôme Tyrode. "C'est la 2ᵉ fois seulement, en 27 ans ici, que je vois d'aussi bonnes conditions en début de saison" avoue le professionnel. "En temps normal, je devrais faire minimum 200 repas. Et vous voyez, aujourd'hui, j'en ai fait deux".

Les deux commerçants font partie des victimes collatérales de la fermeture des pistes de Piquemiette. Tous les deux ont vu leur avenir s'assombrir d'un coup, alors qu'ils avaient déjà commencé à préparer leur saison.

Et tous les deux assistent, impuissants, à la tombée des flocons de neige, sans arriver à chasser cette arrière-pensée lancinante qui leur répète que "sans cette décision, on serait en train de faire une très bonne année".

"Ils ont tué Piquemiette, ils nous ont tués"

"Ils ont tué Piquemiette, ils nous ont tués" répète en boucle Aimé Sandona. "Les gérants de la station de Métabief ont des nez de Pinocchio. Ils nous ont promis de l'aide, on l'attend toujours. Eh puis leur aide, on n'en veut pas. On essaye de survivre par nous-mêmes, mais on continue notre chute. Ce qui nous fait tenir, c'est la solidarité de quelques habitués qui viennent toujours passer commandes".

Jérôme Tyrode a lui pensé à "tout liquider". "Des jours comme ça, avec de la neige et du beau temps, on a environ 10 000 personnes qui passaient à Piquemiette" confie-t-il. "J'avais la queue jusqu'à dehors. Là, rien".

Ce qui me fait le plus mal, c'est de ne pas revoir des gens qui venaient depuis 20 ans. Cette dimension sociale, l'avoir perdue, c'est un crève-cœur.

Jérôme Tyrode,

gérant du restaurant "Le chalet du pisteur"

Il a pourtant décidé de continuer. "J'ai vu que la commune de Jougne voulait se battre et tenter de vivre malgré son départ de la station de Métabief" dit-il. "Sur le plan économique, on ne retrouvera jamais le même chiffre d'affaires qu'avant. Mais on va essayer de proposer autre chose, comme de la motoneige. On va se débrouiller".

La mairie a ainsi déneigé la portion de route menant à son restaurant pour y faciliter l'accès. MM Tyrode et Sandona vont aussi s'associer pour proposer des offres attractives, mêlant fournitures de sports d'hiver et spécialités fromagères.

"On est là pour nos commerçants" assène avec force le maire de Jougne, Michel Morel. "Mais il faut les comprendre, c'est démoralisant et frustrant de ne pas voir de skieurs avec cette neige".

On se rend compte que la station s'est tirée une balle dans le pied en fermant Piquemiette. Avec un temps comme ça, on aurait attiré énormément de monde. Là, malgré le temps, ils perdent de l'argent. J'ai des gens qui m'appellent tous les jours pour me dire qu'ils ne viendront plus.

Michel Morel,

maire de Jougne

"Ils ont dégradé leur produit, tout en maintenant le même prix des forfaits par rapport à l'année dernière" reprend Jérôme Tyrode. "Donc les gens viennent moins, c'est logique. Ce qu'ils ont fait à Piquemiette pourrait bien entraîner toute la station vers le fond". "J'en veux pour preuve qu'ils ont vendu 575 forfaits de moins que l'an dernier à la même époque" enchaîne Michel Morel.

Querelles au sujet de la piste de Troupézy

Contacté par France 3 Franche-Comté, Philippe Alpy, président de la station de ski de Métabief, refuse de certifier ce chiffre, tout en expliquant "qu'il est trop tôt pour dresser un premier bilan de la vente de forfaits".

Une nouvelle pourrait lui donner du baume au cœur : la justice a statué pour la réouverture de la très prisée piste de Troupézy, dont une partie passe sur Jougne, sans descendre jusqu'à la ville et aux boutiques.

Michel Morel l'avait fait fermer par solidarité avec ses commerçants. "Autrement, c'est trop facile : le syndicat peut faire ce qu'il veut et garder seulement ce qui l'arrange le plus. Ils ont fermé Piquemiette, qu'ils assument jusqu'au bout" avait-il déclaré en septembre dernier.

Depuis, le temps est passé, sans pour autant faire passer la rancœur. Chez les professionnels, le SMMO, qui gère le domaine skiable de Métabief, est toujours vu comme un "fossoyeur".

"Parfois, je regarde les flocons tomber au travers de la fenêtre" conclut Aimé Sandona. "Je me dis que j'aimerais faire un autre métier, agriculteur, pour aller déverser du purin sur leurs pistes de ski".

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