La fin d'une "concurrence déloyale" ? L'exploitation des terres agricoles par les Suisses désormais réglementée dans le Doubs

Depuis le mois d'août 2024, le préfet du Doubs a durci les conditions pour que les agriculteurs suisses viennent exploiter les terres agricoles françaises. Une mesure saluée par certains exploitants, mais que d'autres estiment "démagogiques".

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Une réponse à "un traitement inéquitable au détriment des agriculteurs français" ? Depuis le 6 août 2024, la préfecture du Doubs a décidé d'encadrer l'exploitation de terres agricoles françaises par des exploitants helvètes. Une décision unique en France, provoquée par la grogne d'un petit nombre d'agriculteurs s'estimant victimes de "concurrence déloyale" par leurs voisins suisses

"Ce n'est pas le plus gros souci de notre profession, mais c'est un problème qui traîne depuis 30 ans" explique Florent Dornier, président de la FDSEA du Doubs. "Il faut comprendre que pour cultiver une parcelle, il faut en France une autorisation d'exploitation donnée par l'État et aussi l'autorisation du propriétaire de la parcelle. Pour éviter l'accaparement des terres, les structures étatiques tranchent en faveur de l'exploitant qui a le moins d'hectares. Et là, il y a une faille".

Les exploitants suisses ne déclaraient pas toutes leurs surfaces

Cette "faille", la voici. Si deux exploitants, l'un Suisse, l'autre Français, sont candidats à l'exploitation d'une même parcelle, ils doivent tous les deux remplir un document répertoriant, entre autres, la surface agricole qu'ils possèdent déjà.

Problème, la Suisse ne faisant pas partie de l'Union européenne, les exploitants helvètes n'ont pas l'obligation de renseigner la surface cultivée dans leur pays d'origine. Donc sur le papier, ils apparaissent souvent comme les plus petits. Et ils empochent les parcelles.

Florent Dornier,

président de la FDSEA du Doubs

"Les règles du jeu n'étaient pas les mêmes pour tout le monde" explique Jean-Philippe Bessot, représentant du syndicat agricole Confédération paysanne à la Chambre d'agriculture du Doubs. "La décision préfectorale doit donc ramener plus d'équité". Ainsi, le préfet du Doubs Rémi Bastille précise dans un communiqué avoir demandé "aux services instructeurs d'exiger des agriculteurs suisses qu'ils déclarent l'ensemble de leurs surfaces exploitées", y compris en Suisse. Sous peine de voir "leur dossier rejeté".

Une victoire pour les députés du Doubs

Une mesure saluée par les députés du Doubs. En effet, une partie d'entre eux s'est mobilisée sur ce sujet devenu hautement politique, notamment durant les débats sur le projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole ( PJLOA) à l'Assemblée nationale, en mai 2024.

À cette occasion, le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau avait assuré avoir pris en compte le travail des députés du Doubs Laurent Croizier (MoDem, 1ʳᵉ circonscription), Annie Genevard (Les Républicains, 5ᵉ circonscription) et Nicolas Pacquot (ex-député de la 3e circonscription), et qu'il en prendrait compte dans le nouveau PJLOA.

"Cette situation inéquitable prend fin" a réagi Annie Genevard dans un communiqué. Victoire aussi pour Laurent Croizier, pour qui "il était inacceptable que les agriculteurs suisses ne soient pas soumis aux mêmes règles que les agriculteurs français". La députée de la 4ᵉ circonscription du Doubs Géraldine Grangier (Rassemblement national) se réjouit elle aussi de cette nouvelle qu'elle assure "avoir porté à plusieurs reprises [...] devant des membres du gouvernement" même si l'élue a voté contre le projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole.

"Je me suis vu refuser une parcelle de 7 ha"

Qui des principaux concernés, les exploitants agricoles français ? Nicolas Bucher, du GAEC du Soleil Levant, à Ecurcey, est l'un d’eux. Celui qui a travaillé avec la députée RN sur le sujet ne pouvait pas concevoir "que des jeunes ne puissent pas lancer une exploitation, car ils étaient barrés par des exploitants suisses". "Moi-même, je me suis vu refuser une parcelle de 7 hectares il y a deux ans, au profit d'un agriculteur suisse. Et c'est souvent la même issue lorsqu'un exploitant français est en concurrence avec un Suisse pour une même parcelle " complète-t-il.

Nous n'avons rien contre nos collègues suisses. Au contraire, il est nécessaire qu'ils soient présents dans certaines zones frontalières en friche ou qui n'attirent pas d'exploitants français. Mais l'agriculture française est dans une telle situation qu'il faudrait nous favoriser lorsqu'on demande des autorisations d'exploitation.

Nicolas Bucher,

agriculteur au GAEC du Soleil Levant, à Ecurcey

Lucas Targuet est lui aussi exploitant agricole à Pierrefontaine-lès-Blamont (Doubs), dans la zone du plateau de Blamont, particulièrement touchée par la situation. Comme Nicolas Bucher, le jeune agriculteur s'est vu refuser par deux fois des autorisations d'exploitation au profit d'un collègue suisse, dont une parcelle "juste en face de chez moi" confesse-t-il. "C'est vrai que c'est agaçant, et que cette mesure peut nous soulager. Mais il ne faut pas faire de généralités, les Suisses ne sont pas la cause de tous nos problèmes et il ne faudrait pas les faire fuir".

"L'inflation qui touche les matières premières, nos faibles rémunérations, les prêts bancaires, les cadences de travail sont des sujets plus importants" assure Lucas Targuet. "Les exploitants suisses restent des collègues. Il y a des abus, mais cela reste minime. On a un ou deux cas dans l'année".

Des exploitants suisses peu nombreux

Cette nuance est aussi apportée par Florent Dornier, président de la FDSEA du Doubs, qui siège à la commission statuant sur les autorisations d'exploitation. "Sur les deux dernières années, on a eu une dizaine de cas, c'est n'est pas énorme" explique-t-il. "Mais il faut faire attention et toujours avoir à l'esprit que tout le monde doit être logé à la même enseigne. Donc cette mesure était nécessaire".

Côté chiffre, la préfecture du Doubs précise, elle aussi, que la part des exploitants suisses dans le département est encore minime : 45 en 2024, qui s'occupent de 1 088 ha sur les 222 000 ha de surface agricole départementale. Des données chiffrées qui méritent néanmoins une "vigilance" toute particulière estiment les autorités.

"Je ne sais pas si cela va marcher"

Cette mesure, créée pour répondre à un problème pour l'instant marginal dans le Doubs, sera-t-elle efficace ? Cela reste à voir. "Je ne sais pas si cela va marcher" répond ainsi Laurence Lyonnais, agricultrice et porte-parole de la Confédération paysanne dans le Doubs. "Il y aura des négociations avec les autorités suisses par rapport à cette décision. Et puis beaucoup de fermes suisses qui exploitent côté français ont de petites surfaces, donc elles seront toujours prioritaires".

Je trouve que sur ce sujet qui existe, mais reste mineur, on fait beaucoup de démagogie.

Laurence Lyonnais,

agricultrice et porte-parole de la Confédération paysanne dans le Doubs

Bien que de l'avis opposé, Nicolas Bucher, agriculteur à Ecurcey, trouve également "qu'il faudrait mettre en place des mesures plus strictes, avec un avantage donné aux exploitants français, pour que cette mesure soit efficace. Il faut aussi s'assurer que les Suisses respectent bien les normes européennes auxquelles nous sommes soumises". C'est aussi l'avis de Géraldine Grangier, députée RN de la 4e circonscription du Doubs, qui annonce que son "combat n'est pas terminé".

"Ne pas faire des Suisses les boucs émissaires"

Du côté suisse, si on loue "un retour à l'équité", on met en garde contre "le fait de pointer les Helvètes comme les boucs émissaires des maux français" confie Marlène Perroud, jeune agricultrice de 32 ans, installée depuis un an à Dompierre (Canton de Vaud). "On reste tous des agriculteurs, des collègues, qui rencontrons souvent les mêmes problèmes". 

Unanimement saluée comme "juste", la décision du préfet du Doubs a donc provoqué différentes réactions quant à sa réelle utilité. Des effets notables se feront-ils ressentir pour améliorer l'accès aux terres agricoles des paysans français ? Réponses dans les prochains mois.

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