Témoignages. "Nous voulons qu'il soit condamné" : dans le Doubs, ils combattent pour que leur ancien instituteur, accusé d'agressions sexuelles, soit jugé

Publié le Écrit par Antoine Comte
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Depuis quelques mois, plusieurs anciens élèves ont porté plainte contre leur ancien instituteur dans les villages de Vorges-les-Pins et Busy (Doubs). Elles dénoncent des agressions sexuelles commises dans les années 1970 jusqu'aux années 90. Des faits aujourd'hui prescrits. Face à une justice jugée "inactive", les victimes présumées ont donc décidé d'enquêter par elles-mêmes pour trouver d'autres personnes abusées plus récemment. Et ainsi rouvrir le dossier.

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Un combat "pour la justice". Essentiel pour panser des plaies béantes traînées depuis l'enfance. Depuis de longs mois, une affaire sordide agite les petits villages de Vorges-les-Pins et de Busy, dans le Doubs. En octobre 2023, les habitants des deux communes découvraient, par une lettre anonyme déposée dans leur boîte aux lettres, que l'ancien instituteur de Vorges, aujourd'hui retraité mais toujours habitant de la commune, faisait l'objet d'une enquête pour des faits de pédophilie "perpétrés alors qu'il avait en charge éducative des enfants de nos deux villages".

Une information confirmée à l'époque par le procureur de la République de Besançon, qui évoquait trois plaintes pour des faits prescrits, ne pouvant donc pas donner suite à des poursuites judiciaires. Le mis en cause, lui, avait nié les faits. De leur côté, deux victimes présumées avaient accepté de livrer leur témoignage à France 3 Franche-Comté, en octobre dernier. Ghislaine Girardet et Olivier Maitre, toujours habitants des deux communes, avaient livré leur détresse à notre micro et émis un souhait, un seul  : que leur ancien instituteur "soit condamné, reconnu". 

Quatre mois plus tard, pourtant, rien n'a changé. "On a toujours cette blessure bien ouverte" reconnaît Olivier Maitre, joint par France 3 Franche-Comté. "L'enquête n'a pas été beaucoup plus loin que le dépôt de plainte. On le regrette. Mais elle reste ouverte. Donc, on a décidé de prendre les choses en main, avec un petit groupe prêt à remuer ciel et terre pour un peu de justice".

Ce petit groupe est né à la même période, en octobre 2023. Il a un nom, le "Collectif Vorges-Busy", et regroupe actuellement une quinzaine de membres. Neuf victimes présumées de l'ancien instituteur qui ont toutes porté plainte, et une poignée d'habitants des deux communes, convaincue de la bonne foi des anciens élèves.

Neuf victimes présumées ont déjà porté plainte

Rafaele fait partie de ces personnes, extérieures à l'affaire, qui ont décidé de s'impliquer. La Vorgienne est une des voisines de Ghislaine, la première victime à avoir voulu "briser le silence du village sur ce sujet". Mise au courant de la situation cet été, elle avoue "ne pas avoir pu rester sans rien faire". "Je n'étais pas très à l'aise avec cette lettre au départ" concède-t-elle. "Mais ces accusations m'ont choquée. Et puis petit à petit, j'ai vu qu'au fil des semaines, rien ne se passait".

L'agresseur présumé continuait ses occupations habituelles dans le village, et ce sont ses potentielles victimes qu'on regardait mal. Je les voyais se débattre tout seuls, avec l'impression que tout le monde s'en foutait.

Raffaele,

habitant de Vorges-les-Pins, membre du "collectif Vorges-Busy"

"C'est comme si on essayait de les faire taire une deuxième fois" confie Rafaele qui décide donc, par l'intermédiaire de sa voisine Ghislaine, de réunir les victimes présumées déjà identifiées. "Je voulais leur donner un gage de confiance" précise la cinquantenaire. "Et une façon de se faire entendre autrement que par les rumeurs ou des lettres anonymes". Et devant une justice "statique", le groupe décide de continuer l'enquête de son côté.

"Les gendarmes nous ont dit très tôt qu'ils ne pourraient pas investiguer plus que ça, faute d'effectifs" reprend Olivier Maitre. "On pense qu'ils auraient pu faire plus, au moins venir enquêter dans les villages, interroger plus de gens, publier un appel à témoins. Tout ce travail, il a fallu qu'on le fasse nous".

On s'est mis à appeler nos ex camarades de classe. On a remonté tous les élèves qui auraient pu passer entre les mains de cet homme. On a toqué à beaucoup de portes, contacté beaucoup de monde sur Facebook. Avec le bouche à oreille, on a retrouvé 14 victimes. Neuf ont accepté de porter plainte.

Olivier Maitre,

victime présumée d'actes pédophiles perpétrés par son ex-instituteur

"Les faits reprochés ont eu lieu de 1972 à 1990" reprend Olivier Maitre. "Ils sont donc prescrits aux yeux de la loi. Mais cet homme a continué à enseigner jusqu'à 2005. Nous sommes persuadés qu'il a continué à faire du mal. Tout l'enjeu est donc qu'une victime agressée après 1996 accepte de porter plainte". Le dossier serait donc rouvert, et la prescription tomberait pour toutes les plaintes déjà posées.

Pour maximiser leur chance, une pétition a été mise en ligne par le Collectif en novembre 2023 pour demander que les investigations soient relancées. "Cela a également beaucoup aidé certaines victimes" confesse Rafaele. "Elles ont pu trouver le courage d'en parler. Avec plus de 450 signatures, elles ont vu aussi que beaucoup de personnes les soutenaient. La honte a un peu changé de camp".

Le mis en cause, aujourd'hui âgé de plus de 70 ans, a en effet été écarté de plusieurs associations du village. Pour autant, l'enquête des victimes continue à se heurter à plusieurs obstacles. "Les dernières victimes retrouvées ont été abusées au football, où ce monsieur était aussi entraîneur" explique Rafaele. "J'ai cherché des informations sur la conservation des listes de licenciés de l'époque. Mais on a refusé de m'en parler. C'est une violence, un déni supplémentaire".

Le Collectif compte envoyer dans les jours à venir un nouveau courrier au procureur de la République de Besançon, pour lui demander de rouvrir de "réelles investigations" au vu des nombreuses plaintes et des centaines de pétitionnaires. "Normalement, tout ce qu'on a fait, c'était à la justice de s'en charger" explique Olivier Maitre. "Ça remue des mauvais souvenirs. Personnellement, j'étais arrivé à me reconstruire. Mais, depuis quelques mois, savoir que je n'étais pas la seule victime à tout fait remonter".

Cet homme a détruit des vies. Il y a eu des dépressions, des tentatives de suicide parmi ses victimes. On veut qu'il soit jugé, et condamné. Ça nous ferait un bien fou. Le confronter dans un tribunal, face à nous, qu'ils entendent nos mots.

Olivier Maitre,

victime présumée d'actes pédophiles perpétrés par son ex-instituteur

"S'il était reconnu coupable, ce serait une libération" conclut Olivier Maitre. "On a besoin d'une reconnaissance de la justice pour que cette blessure se cicatrise. Cela fermerait un chapitre très douloureux, et on passerait à autre chose". Contacté par France 3 Franche-Comté à plusieurs reprises, le procureur de la République de Besançon, chargé du dossier, n'a pas pour l'instant répondu à nos sollicitations.

L'avocat du mis en cause, Me Françoise Pequignot, nous a indiqué que cette affaire semblait souffrir pour elle "d'une manipulation malsaine dont mon client est la victime silencieuse". "Il faut garder à l'esprit que la présomption d'innocence reste un principe fondamental de notre droit" ajoute-t-elle. "S'agissant enfin de la pétition mise en ligne, il convient d'aborder avec prudence et mesure ce type de manifestation non corroborée par des éléments objectifs de l'enquête".

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