Témoignage. "Je pleurais, je hurlais devant mon miroir, mais j'ai réappris à me regarder", cette femme raconte comment elle a retrouvé sa féminité après un cancer du sein

Publié le Mis à jour le Écrit par Emmanuel Deshayes
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Karine a subi une ablation du sein à la suite d'un cancer. Une "perte", une "mutilation" qu'elle a dû apprendre à accepter et à dépasser. Cette sexologue de Besançon (Doubs) partage aujourd'hui son expérience dans des conférences à l'occasion de la campagne Octobre rose. Elle nous dit comment elle a pu reprendre possession de son corps de femme.

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De sa maladie, d'habitude, elle parle très peu. Par pudeur dit-elle. Il y a 9 ans, Karine Bertrand découvre une petite boule dans son sein gauche. Elle consulte aussitôt un spécialiste au CHU Jean-Minjoz de Besançon. Mais elle n'est pas vraiment surprise par le diagnostic : c'est bien un cancer du sein et il faut opérer très vite pour enlever la tumeur.

"Au début, ils devaient seulement m'enlever une partie du sein, raconte-t-elle. J'avais digéré, accepté, c'était OK pour moi. Et puis quelques semaines après la première opération, ils me disent que tout n'est pas retiré et qu'ils vont devoir faire une ablation complète du sein."

J'ai demandé : "est-ce que vous allez m'enlever aussi le téton ?" Ils m'ont dit oui. Et là je me suis effondrée. J'ai pris une gifle, c'était la mutilation. Là, je perdais ma féminité.

Karine Bertrand, sexologue.

Accepter son corps

Selon la Haute Autorité de Santé (HAS), 22.000 mastectomies totales sont réalisées chaque année en France à la suite d'un cancer du sein. On estime qu'une femme concernée sur trois s'engagerait dans une reconstruction chirurgicale. Comme beaucoup de patientes, Karine va donc opter pour cette reconstruction. Mais très vite, elle se rend compte que la prothèse ne lui convient pas.

"J'ai voulu mettre une prothèse, mais cela a été une vraie galère. Je ne la supportais pas. C'était seulement un volume pour que je puisse m'habiller, mais c'était tout sauf un sein. J'ai décidé de faire sans. D'ailleurs, je n'aime pas du tout ce terme de reconstruction. Pour moi, on ne reconstruit rien en fait. Il faut construire quelque chose de nouveau. Et puis, je ne voulais pas tricher, je ne voulais pas de ce truc en plastique. Je suis plus amazone que Barbie girl !". Elle en plaisante aujourd'hui, mais elle n'en oublie pas pour autant ces moments "très douloureux". Le temps qu'il lui a fallu pour se réapproprier son corps meurtri. Tous les efforts qu'elle a dû faire pour se retrouver.

Je pleurais, je hurlais devant mon miroir mais j'ai réappris à me regarder. Ça me faisait du bien car je travaillais à l'acceptation de ce corps.

Karine Bertrand, sexologue.

Karine a heureusement échappé à la chimiothérapie et à la perte de ses cheveux qui aurait été pour elle une blessure supplémentaire.

"À qui je peux plaire comme ça ?"

À 51 ans, elle porte désormais un regard plus apaisé sur cette période. Sexologue de profession, elle n'évoque jamais sa propre expérience dans son cabinet, avec ses patientes. Elle sait combien ce combat est personnel et les profondes cicatrices qu'il peut laisser. "Chaque femme va traverser cette aventure à sa manière. Beaucoup vont avoir du mal à retrouver leur féminité. Si je suis célibataire, à qui je peux plaire comme ça ? Si je suis en couple, comment va réagir l'autre ? J'ai des patientes qui n'osent plus se mettre nues dans l'intimité parce qu'elles ont peur du regard de leur partenaire, des femmes qui gardent un t-shirt ou un soutien-gorge pour faire l'amour." Car, explique-t-elle encore, les seins (et les hanches) ont toujours été les emblèmes de la femme, comme on peut le vérifier dans la littérature ou dans l'histoire de l'art.

Quand Molière fait dire à son Tartuffe : "couvrez ce sein que je ne saurais voir", en fait, il faut bien sûr comprendre : "montrez ce sein que je souhaiterais voir". Le sein, c'est depuis toujours l'attribut, le symbole de la féminité. C'est ce qui définit notre identité, c'est à la fois l'emblème de la femme, de la mère, de la maîtresse.

Karine Bertrand, sexologue.

"On est beaucoup dans les stéréotypes du féminin et du masculin, poursuit la sexologue. De la même façon, un homme qui a eu un cancer de la prostate et qui a des difficultés érectiles, aura la même angoisse de ne pas être l'homme qu'on attend." 

Elle reconnaît néanmoins que la prise en charge des femmes après la guérison s'est améliorée, notamment grâce à ces ateliers socio-esthétiques mis en place à l'hôpital. "Mais il manque cette approche sexuelle, vraiment intime, regrette Karine. Il y a des couples qui explosent parce que la sexualité a changé, parce que la personne a changé." C'est ce qui la guide au quotidien dans son métier et qui la pousse aussi à s'investir dans la prévention, notamment pendant Octobre rose, le mois dédié à la sensibilisation au cancer du sein.

"Regard sur soi après la maladie"

"La femme dans l'histoire et le cancer du sein, regard sur l'estime de soi pendant et après la maladie", ce seront justement les thèmes de la conférence-rencontre que Karine propose le dimanche 8 octobre 2023 à Marnay (Haute-Saône), juste après "la marche rose", marche solidaire contre le cancer du sein organisée par l'association La fée à la moustache. Le jeudi 26 octobre, elle animera également un groupe de parole à Montbozon (Haute-Saône) toujours à l'occasion d'Octobre rose. Au programme des échanges autour de "la femme dans son corps".

Avec environ 61 000 nouveaux cas en 2023 et plus de 900.000 personnes atteintes en France, le cancer du sein reste le plus répandu des cancers féminins. Une femme sur huit développera un cancer du sein au cours de sa vie. Avec 12.000 décès par an, c'est l'un des plus meurtriers. Mais s'il est détecté tôt, le cancer du sein guérit dans 9 cas sur 10.

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