Le mouvement national des agriculteurs, contre la précarité, la concurrence déloyale des importations et les contraintes environnementales, se traduit par des actions diverses, dont le déversement de déchets sur la voie publique. En Haute-Saône, la FDSEA estime que le rapport de force est "le seul moyen" d'être entendu.
Barrages routiers, opérations escargots, banderoles déroulées, la plupart des modes d'actions des agriculteurs s'effectuent dans le calme depuis le début du mouvement, et n'occasionnent aucun dégât. Parfois pourtant, la colère laisse des traces.
À Vesoul, où une manifestation a démarré mercredi 24 janvier à l'appel de la FDSEA, des bennes de fumier et de déchets ont été déversées devant l'hypermarché Leclerc, devant l'Intermarché de la Vaugine, ou devant le restaurant Burger King situé dans la même zone.
Quelles sont les cibles des agriculteurs ?
Considérées par les organisations agricoles comme déloyales dans leurs positionnements commerciaux, que ce soit l'importation de denrées alimentaires non françaises, ou la hausse des prix en rayons non répercutée sur le prix payé aux producteurs, ces enseignes sont des cibles récurrentes lors des mouvements des agriculteurs.
"Si la distribution, on les a visés, c'est par ce qu'il y a non-respect de la loi Egalim", tonne Emmanuel Aebischer, président de la FDSEA de Haute-Saône, en référence à cette mesure votée en 3 volets entre 2018 et 2023 dans le but de protéger les revenus des agriculteurs face à l'industrie agroalimentaire et à la grande distribution.
La première action cette semaine en Haute-Saône à l'appel de la FDSEA visait d'ailleurs une fromagerie du groupe Lactalis, à Loulans-Verchamp, mardi 23 janvier.
Visé également, l'État : "Il y a un non-respect du gouvernement par rapport à ce que disait le président : "On ne va pas laisser notre agriculture à d'autres", déplore le patron du syndicat agricole. Reçue ce jeudi matin en préfecture de Haute-Saône, une délégation d'agriculteurs, dont Emmanuel Aebischer, s'est dite "entendue" par le préfet, mais n'attend pas moins une réponse du gouvernement.
Une réponse attendue ce vendredi 26 janvier, le premier ministre devrait faire des annonces lors d'un déplacement.
"On ne les maîtrise pas tous"
Alors en début d'après-midi, les convois agricoles quittent peu à peu l'échangeur de la Vaugine à Vesoul, après avoir passé la nuit sur place, et déversé le contenu d'une quarantaine de bennes sur la RN19 : fumier, pneus, déchets plastiques divers. "C'est hors de question qu'elles repartent pleines", tranche Emmanuel Aebischer, qui se fait l'écho de la colère. Le rapport de force serait donc la seule méthode ? "C'est malheureux d'en arriver là", assume-t-il.
C'est pas la première fois qu'on dit qu'il y a une grave crise qui se prépare. Ça fait longtemps qu'on leur dit ça va péter.
Emmanuel Aebisher, président de la FDSEA de Haute-Saône
Après le barrage filtrant mené depuis la veille sur le rond-point de l'échangeur, c'est plusieurs centaines de pneus qui coupent ce jeudi après-midi la circulation sur la nationale 19. "C'est le seul moyen. C'est toujours comme ça", justifie Emmanuel Aebischer.
Pour la FDSEA, ce sentiment d'injustice partagé par les agriculteurs, la certitude de ne pas être écoutés explique ces actions coup de poing, quelle que soit l'image renvoyée. Le syndicat ne donne ainsi pas particulièrement de consigne quant au contenu des bennes : " On ne les maîtrise pas tous. C'est pas facile de dire à un agriculteur : 'tu ne benneras pas ça'."
Plus globalement, le syndicat agricole estime qu'il faut laisser s'exprimer cette grogne. "Il ne faut pas les frustrer. Le mieux, c'est de les canaliser", réagit Emmanuel Aebischer qui explique aussi ces actions par le large "panel de doléances" des agriculteurs.
En novembre 2023, la FDSEA de Haute-Saône avait mené la veille de la foire agricole de la Sainte-Catherine une opération devant deux enseignes de restauration rapide de Vesoul, déversant fumier et déchets divers.
Qui ramasse ? Qui paye ? Quelles conséquences ?
Une fois les dégâts constatés, il est difficile d'obtenir des informations sur le coût pour la collectivité du nettoyage des routes.
Concernant les voiries privées, que ce soient les supermarchés ou les enseignes de restauration rapide, c'est à chaque société de gérer le nettoyage sur ses emprises. "On va prendre notre mal en patience, assure le responsable d'un supermarché dont l'accès est barré par des pneus, et qui préfère ne pas réagir. On va rester calme et zen."
Le conseil départemental n'a pas souhaité répondre à nos questions. La ville de Vesoul estime de son côté qu'elle n'a pas à assumer les conséquences de la mobilisation : "C'est à l'État de s'occuper des dégâts, notamment sur l'évacuation des déchets déposés par les agriculteurs."
L'État, de son côté, par la voix de la préfecture de Haute-Saône, assure que la priorité est de libérer la circulation, en repoussant les déchets sur les bas-côtés de la nationale, avant de faire appel à des sociétés de nettoyage, "le tout aux frais de l'État." S'agissant du prix de telles prestations, la préfecture n'a pas souhaité en dire plus : "Pour les coûts, on ne communiquera pas."
Pour un camion, il faut compter 500 euros la journée, 800 euros pour une pelleteuse avec chauffeur
Un entrepreneur de BTP de la Haute-Saône
Les déchets doivent être collectés, convoyés puis triés et envoyés vers des filières de recyclage sinon détruits. Une société de dépannage routier, qui assure ce type de prestation, chiffre le coût de la destruction des déchets "entre 200 et 300 euros la tonne", soit de 3000 à 4500 euros pour une benne de 15 tonnes de déchets. L'incinération, si elle est possible, coûte de 100 à 200 euros la tonne. Le balayage de la route est quant à lui de l'ordre de 1500 euros la journée, selon une entreprise spécialisée de la région.