Les débats et controverses autour de la production de sapins de Noël ne sont pas nouveaux dans le Morvan. Mais à l'approche des fêtes, l'incendie vraisemblablement criminel d'une exploitation vient rappeler le climat tendu qui règne dans le massif bourguignon.
► MISE À JOUR 25/11/2024 : Ajout de précisions sur la différence entre les coupes rases et la culture de sapins de Noël.
Personne n'est accusé, visé, encore moins désigné coupable. Mais dans le Morvan, un incendie chez le premier producteur de sapins de Noël de France a ravivé des tensions vieilles de quarante ans entre producteurs et collectifs d'habitants écologistes.
Le 14 novembre 2024, un entrepôt de Frédéric Naudet, premier producteur de sapins de Noël en France, a été ravagé par un incendie. "Convaincu que c'était un incendie criminel [...] pour causer du tort à un moment clé de l'année", l'exploitant a vu ses convictions renforcées une semaine plus tard quand le parquet de Nevers a indiqué privilégier cette piste.
Mais affirmer que des opposants à la culture du sapin de Noël sont à l'origine du feu est un pas que personne n'ose franchir, du moins officiellement. Un pas que France 3 Bourgogne ne franchira pas non plus : l'enquête est toujours en cours, l'acte n'a pas été revendiqué et aucune conclusion n'est tirée à la hâte. Pourtant, cet événement a secoué le milieu du sapin de Noël morvandiau.
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Frédéric Naudet, qui estime les dégâts à un à deux millions d'euros, a reçu de nombreux messages de soutien de la part de la profession, preuve de l'impact qu'a eu cet incendie dans le milieu. "Je lui ai demandé en quoi je pouvais l'aider, si je pouvais filer un coup de main", témoigne Pierre Marchand, secrétaire de l'association française des producteurs de sapins de Noël naturels (AFSNN), basé à Gouloux (Nièvre).
Je n'ai pas envie de croire que les détracteurs puissent aller vers de tels agissements
Pierre MarchandSecrétaire de l'AFSNN
"La cause de cet incendie, on n'en sait rien, d'abord. Est-ce que c'est un acte précisément contre Monsieur Naudet ou contre la filière en général ? On serait quand même bien malavisé de mettre en avant cette thèse parce que je n'ai pas envie de croire que les détracteurs puissent aller vers de tels agissements", espère Pierre Marchand.
Du côté des opposants à la culture des sapins, la prudence reste également de mise. "Je ne pense pas que ce soit ces gens qui puissent faire ça. C'est fou qu'on puisse s'imaginer des choses pareilles !", s'insurge Muriel André-Petident, membre d'un collectif d'habitants du Morvan opposés à la culture intensive de sapins.
"C'est toute la filière qui a pris"
Malgré tout, cette paysanne sait que le sujet est brûlant et que les premières suspicions ont pu se tourner vers elle et les opposants en général. "On m'a dit 'Tu vas être inquiétée parce que ça a brûlé chez Naudet'. Mais ça n'a aucun sens ! Alors, peut-être que les gendarmes viendront nous voir, je n'en sais rien."
En tout cas, les forces de l'ordre ont pris l'incendie au sérieux. Caroline Garnier, pépiniériste à Alligny-en-Morvan (Nièvre), indique que des gendarmes lui ont rendu visite après l'incident. "Ils sont venus me dire de faire attention", explique-t-elle. "Et je peux comprendre parce que même si c'est chez monsieur Naudet que ça a brûlé, c'est tout la filière qui a pris. On avait déjà vu des panneaux tagués, des plantations saccagées, mais là... Je suis outrée par ce qu'il s'est passé."
La productrice explique par ailleurs avoir pris des précautions depuis longtemps dans son exploitation. Après deux cambriolages de matériel, des caméras ont été installées il y a quatre ans, pour éviter de nouveaux larcins. Mais l'épisode de l'incendie a renforcé ses craintes. "Je fais encore plus attention. J'ai ma bombe lacrymo dans la voiture, je ne laisse plus la porte ouverte le soir... Mais je n'y pense pas tellement. On est tellement dans le rush avant Noël... C'est juste que tout ça nous fait perdre du temps."
Quarante ans de tensions
Cet incendie vient s'ajouter au grand tableau des mécontentements autour de la production de sapins dans le Morvan, qui représente un quart de la production française. Pour les défenseurs de la nature, cette économie détruit les sols en raison des coupes rases. Ils dénoncent aussi la monoculture pratiquée mais aussi l'utilisation de pesticides sur les sapins, bien que cette pratique ait récemment diminué.
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En réalité, les producteurs de sapins de Noël ne pratiquent pas de coupes rases mais du "déserrage" : sur une période de 10 ans environ, une partie des arbres est retirée chaque année afin de permettre aux plus anciens de grandir davantage en daille. "C'est cette pratique, caractéristique de la production de sapins de Noël, qui rend les parcelles si hétérogènes pour le plus grand bonheur de la faune et des oiseaux notamment", précise Pierre Marchand.
Le secrétaire de l'association française des producteurs de sapin de Noël déplore que, dans l'imaginaire collectif, un amalgame soit fait entre la culture de sapins de Noël et la sylviculture du sapin Douglas, "qui fait couler beaucoup d'encre dans le Morvan et qui génère des tensions au sein de la filière bois".
"Il y a toujours eu une tension très forte ici. Le massif est la grande victime de l'industrialisation de la sylviculture. Et cette tension ne baisse pas, tout simplement parce que les coupes rases et les plantations ne baissent pas non plus", explique Thierry Colin, cogérant du groupement forestier pour la sauvegarde des feuillus du Morvan (GFSFM).
Et l'incendie du 14 novembre est venu rappeler l'ambiance parfois hostile qui règne dans le milieu. "Si l'enquête démontre que ce sont des opposants aux sapins qui ont mis le feu chez monsieur Naudet, ce serait une catastrophe. Dans ce cas, nous devrons passer à la vitesse supérieure, en termes de communication ou d'actions en justice contre des gens qui font de la publicité mensongère", poursuit Pierre Marchand.
Le président de l'AFSNN en veut pour prendre une étude de 2022 d'Agir pour l'environnement. Selon elle, 85% des sapins sont contaminés par des pesticides. De quoi faire enrager la profession.
Des études "mensongères" pour les professionnels
"Cette étude est fausse et mensongère. Les quantités de pesticides n'ont rien à voir avec celle d'avant. On n'en utilise que dans les trois premières années quand l'herbe empêche aux sapins de grandir", rétorque Pierre Marchand. "On est en agriculture raisonnée, on ne balance pas des pesticides à gogo... Mais il en faut toujours un peu, sinon les sapins ne pourront plus pousser. De toute façon, le 100 % bio, c'est impossible", complète Caroline Garnier.
C'est dommage de voir que tout ça se fait d'avocat à avocat
Mathias ChaplainCoordinateur des campagnes chez Agir pour l'environnement
L'association nationale des producteurs de sapins de Noël naturels avait d'ailleurs demandé, par son avocat, des précisions sur cette étude à l'association. "On a répondu qu'on était prêt à échanger avec eux, mais on n'a jamais eu de suite. C'est dommage de voir que tout ça se fait d'avocat à avocat, sans échanger directement. Mais ces tentatives de menaces, c'est de plus en plus courant", répond Mathias Chaplain, coordinateur des campagnes chez Agir pour l'environnement.
Un dialogue ? Quel dialogue ?
À lui seul, cet épisode traduit tout le climat qui règne dans le Morvan autour de la question. Entre les "pros" et les "antis", la parole n'existe plus. "Le dialogue est devenu impossible, [les opposants] ne sont pas très ouverts", résume Caroline Garnier. "On a toujours voulu discuter, mais en face, on ne voit personne", réfute Muriel André-Petident.
Et cette dernière de continuer : "De toute façon, dès qu'on bouge le petit doigt : tac ! Les gens sont virulents. Disons qu'il n'y a pas plus de tensions qu'avant, mais elles sont latentes. Pourtant, c'est le dialogue qui réglera le problème."
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Une réunion entre les deux partis devait d'ailleurs se tenir il y a trois ans, autour des alternatives à la production intensive de sapins. "Tout le monde était d'accord pour venir sauf que la veille au soir, les opposants ont demandé que la presse vienne. Ce à quoi se sont opposés les exploitants car il s'agissait d'une première rencontre. Donc la réunion n'a jamais eu lieu. C'est vraiment regrettable parce que nous, le Parc, on veut jouer le rôle de médiateur", se désole Sylvain Mathieu, président du Parc naturel régional du Morvan, et conseiller régional (PS) en charge des forêts et montagnes.
Depuis, le dialogue est rompu entre les deux camps, quand bien même des efforts sont déployés pour baisser le nombre de pesticides. Par communiqués de presse ou par études interposés, ils tentent de faire valoir leurs arguments respectifs autour d'un sujet toujours plus explosif, vu les enjeux qu'il représente dans la région. Pendant ce temps, la table ronde reste vide.