Alors que le verdict du procès de l’homme au marteau est attendu vendredi 21 mai au palais de justice de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), un pédopsychiatre nous explique les mécanismes qui peuvent pousser un adolescent à agir avec violence.
Ce lundi 17 mai, débute la dernière semaine du procès de l’auteur présumé de plusieurs violences et agressions au marteau à la Cour d'Assises des mineurs de Saône-et-Loire. Des actes commis entre Dijon (Côte-d’Or) et Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire) entre septembre 2017 et janvier 2018. Le mis en cause aujourd’hui majeur devrait connaître sa peine ce vendredi 21 mai.
Une condamnation qui dépendra fortement de l’avis des experts psychiatriques qui ont pu échanger avec le mis en cause. Selon une source proche du dossier, les professionnels ayant eu à statuer sur la santé mentale du jeune homme mineur au moment des faits, ont émis des diagnostics différents.
Des situations qui arrivent souvent
Mais que raconte ce cas de la criminalité chez les jeunes ? Comment un adolescent peut passer à l’acte et devenir l’auteur d’une série de délits comme ceux commis pendant près de 4 mois entre 2017 et 2018 ? Le psychiatre et pédopsychiatre Abderrahmane Saidi nous a apporté quelques éléments d’analyse.
Pour rappel, l’auteur présumé des faits a agi alors qu’il n’avait que 17 ans. Le spécialiste est souvent appelé par la justice sur des cas comme celui-ci. "Ce sont des situations que l’on voit malheureusement. On est plus sollicité pour ce genre d’affaires qu’auparavant", explique celui qui est praticien à l'hôpital André Breton de Saint Dizier (Haute-Marne).
Entre 8 et 9% des personnes condamnées en France sont des mineurs selon le ministère de la Justice. Dans le détail, 67% d'entre eux sont condamnés pour viol. 44% des délits commis par des Français de moins de 18 ans sont des vols ou des recels. Les atteintes aux personnes représentent quant à elles 21% des actes délictueux pour lesquels les mineurs sont condamnés.
L’adolescence, une phase décisive et dangereuse
L’adolescence est la phase de tous les dangers. C’est durant cette période intermédiaire de sa vie, où il n’est plus un enfant, mais pas encore un adulte, que le sujet peut basculer et prendre les mauvais chemins. "C’est à l’adolescence que l’on s’identifie à l’autre, qu’il soit bon ou mauvais. Si on s’identifie au mauvais, les cadres sociaux, les injonctions des adultes ne sont pas acceptées", aiguille l’expert.
On part du principe que le mineur seul n’existe pas. On ne parle pas de personnalité seule chez un mineur car elle est en construction. Cela peut changer du tout au rien. Un enfant peut rencontrer quelqu’un qui va avoir un effet sur son parcours.
Et les conséquences peuvent donc être terribles si certains conflits internes ne sont pas traités et soignés. L’adolescence peut être synonyme de période de crise. "La crise est la résurgence de toutes les problématiques infantiles qui n’ont pas été résolues. L’adolescence, c’est là où commencent les grandes maladies psychiatriques. On arrive à des aboutissements catastrophiques quand on ne signale pas un souci".
Pourquoi passer à l’acte ?
Mais le processus de passage à l’acte est long. "On ne s’improvise pas criminel du jour au lendemain", souffle le Dr. Saidi. C’est ainsi l’addition de nombreux paramètres qui aboutissent au geste fatal pour un mineur. Souvent, il faut regarder dans le passé du mis en cause. "Un enfant qui a été maltraité développe une haine contre la société qui ne l’a pas protégé. Cette haine se transforme progressivement. En grandissant, il acquiert de la capacité physique et mentale. Alimenté par la haine, vous avez un dangereux potentiel".
La haine est un sentiment désagréable. Soit elle est traitée par le verbe, c’est la psychothérapie, sinon il passe à l’acte.
Dans l’affaire des agressions commises à Chalon-sur-Saône et Dijon, l’auteur présumé des faits s’est rendu lui-même aux forces de l’ordre expliquant en avoir eu "marre de tout ce cirque". La reddition marque une étape fondamentale dans l’évolution d’un adolescent qui a pu passer à l’acte. "Ça traduit la faillite d’un imaginaire, qui se confronte à la réalité", avance le pédopsychiatre.
Quel est le travail de l’expert ?
L’expert entre alors en matière pour jauger le potentiel de dangerosité du mis en cause et tenter de déterminer si une maladie mentale peut expliquer ses actes. Un travail vaste qui comporte plusieurs axes. Le docteur cherche à savoir si l’auteur a des troubles psychiatriques ou une maladie organique, étudie ses capacités intellectuelles, définit l’organisation de sa personnalité et procède à une évaluation globale de son fonctionnement. "C’est la conjugaison de ces différentes étapes qui est la base de notre travail".
Si par malheur un enfant a eu un parcours traumatique qui a modifié sa personnalité mais n’a pas induit de maladie, je vais le considérer comme responsable de ses actes.
Une fois ce travail réalisé, l’expert pose donc un diagnostic. L’auteur est responsable de ses actes s’il est conscient et si ses troubles tiennent du domaine psychologique, à savoir la personnalité. À l’inverse, si ses conflits sont induits par une maladie mentale, du registre de la psychiatrie, il n’est pas jugé responsable de ses actes et n’est pas donc admissible à une peine de justice.
Quelles sont les perspectives de réinsertion ?
Un adolescent ayant commis des actes de violence a-t-il des chances de s’en sortir et de ne plus représenter de danger pour la société ? Oui selon l’expert qui exerce depuis 1992. Le processus de réinsertion passe par un travail mené avec le mis en cause, au-delà de sa potentielle condamnation. Car si les pédopsychiatres interviennent au moment de l’enquête, ils continuent leur travail une fois la peine prononcée.
"Dans les maisons d’arrêt, il y a des prises en charge. On est de plus en plus sollicité pour des expertises post-sentencielles". Chaque centre pénitentiaire dispose également d’un psychologue qui intervient auprès de l’incarcéré. Son but : amener l’auteur de crimes et délits à réfléchir à ses actes. "Ce travail fait resurgir des choses survenues lors de l’enfance. Cela crée parfois de la souffrance", raconte celui qui est devenu également spécialiste de la psychologie des mineurs en 2003.
Une étape essentielle dans la reconstruction de la personnalité. Car de la souffrance naît la culpabilité et la remise en question. "C’est bon signe de souffrir. Cela signifie que cela commence à mentaliser. C’est par la culpabilité que l’on avance et que l’on réduit notre pouvoir de nuisance", estime l'expert.
Au total, 43 000 jeunes de moins de 18 ans ont été sanctionnés par une peine de justice en 2018 selon les dernières statistiques officielles du ministère de la Justice.