Témoignage. À Vesoul, un ex-conjoint violent raconte sa prise en charge par Auviv, un foyer d'accueil spécialisé

Publié le Mis à jour le Écrit par Antoine Laroche
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Après le grenelle des violences conjugales en novembre 2019, l'Etat a annoncé la création de centres d'accueil pour les conjoints violents. A Vesoul en Haute-Saône, Auviv propose depuis 2009 un accompagnement aux victimes de violences conjugales, ainsi qu'un hébergement et un suivi des auteurs.

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Nous l’appellerons Marc, pour préserver son anonymat. Interpellé en octobre 2019 par les gendarmes après une plainte de son ex-compagne, ce Haut-saônois s’est vu proposer un placement à l’association Auviv (Auteurs et victimes de violences), un centre spécialisé de 10 places, dans l’attente de sa comparution devant le tribunal correctionnel.


C’est la première fois que la justice me rend vraiment un grand service.
Marc, résident à Auviv.


Pour lui, c’est une chance de pouvoir échapper à la détention. « Quand on vous prive de votre liberté, il vous reste quoi ? », interroge l’homme, qui avait déjà été condamné précédemment à une peine avec sursis pour violences conjugales. « Avec ma compagne, à de nombreuses reprises on a essayé de créer une rupture », regrette-t-il, remerciant la justice de l’avoir interdit d’entrer en contact avec elle. Lucide sur les raisons de son placement à Auviv, il ne cache pas son intention de saisir la main qu’on lui tend et d’évacuer ses pulsions. Disposant d’une chambre, qu’il a aménagée avec ses effets personnels, il est comme les autres résidents contraint par des horaires de présence, assouplis en fonction de leurs activités professionnelles. 
 


L'éviction du conjoint violent, prévue par la loi depuis 2004


A Vesoul, Auviv propose un hébergement et un accompagnement pour les auteurs et les victimes de violences conjugales. Créée en 2009, c'est l’une des premières structures à avoir accueilli des hommes violents en France. Jusqu'à la loi du 26 mai 2004, la mise à l'écart des auteurs du domicile conjugal n’était pas prévue par la législation. Une femme victime de violences conjugales n'avait alors d'autre choix que continuer à vivre sous le même toit que l’auteur, ou partir. Ce cadre légal a depuis largement évolué.

Permettre aux femmes et aux enfants victimes de violences de regagner leur domicile, les accompagner, tout en proposant un hébergement et un suivi aux auteurs : c’est le principe d’Auviv, l’une des seules associations à proposer cette double prise en charge en France. L’Association haut-saônoise pour la sauvegarde de l’enfant à l’adulte (AHSSEA), porteuse du projet, a ainsi élargi son dispositif de lutte contre les violences conjugales, qui incluait un service d’accueil pour les femmes en difficulté (SAFED).
 
 

2019, une année de prise de conscience


C’est un chiffre que nous avons tous entendus ces dernières années. Le nombre de féminicides, dont le décompte macabre a été davantage médiatisé que les années précédentes, est revenu hanter, chaque semaine, les victimes et leurs familles, à mesure de son inéluctable actualisation. 149 femmes sont décédées en 2019 sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint : c’est 28 de plus qu’en 2018.

Paradoxalement, 2019 a été une année de prise de conscience. De nombreuses actions ont émaillé la France, notamment à l’automne dernier, durant le Grenelle des violences conjugales. A l’issue de ce plan d’action national, plusieurs mesures ont été annoncées par le gouvernement pour la protection des victimes, l’éducation des jeunes, mais aussi la prise en charges des auteurs. Concernant ce dernier volet, peu d’outils existent actuellement. En tout cas peu d’alternatives à la détention. L'objectif est donc de multiplier les centres comme Auviv.
   

Un accompagnement quotidien et individualisé pour les auteurs


Disposant d’un psychologue et d’un éducateur spécialisé pour le suivi des auteurs, et d’une conseillère en économie sociale et familiale pour l’accompagnement des victimes, Auviv est conçu comme un lieu de réflexion, afin de préparer sa réinsertion et le retour au domicile familial, ou la séparation définitive. Equipé d'une cuisine, d'une salle de détente et d'une terrasse extérieure, le discret pavillon situé en périphérie de Vesoul renvoie une atmosphère apaisante, propice à l'introspection. A leur arrivée, les résidents sont dans un premier temps amenés à travailler sur le déni, afin de prendre conscience des violences qu’ils ont pu infliger et les conséquences qu’elles ont pu avoir sur les victimes.
 

On emploie de vrais mots, sur les vrais actes. 
Yves Pelier, chef de service et éducateur.


Des entretiens individuels sont effectués avec un psychologue afin d’analyser les agressions, et des groupes de parole sont organisés : « Le collectif permet un effet de groupe, de se mettre face à ses difficultés », détaille Bruno Marboutie. Mais chaque situation est différente, d’où un accompagnement individualisé, en fonction des besoins et de la démarche des résidents. « Pour certains, c’est l’occasion d’apprendre à faire la cuisine, à respecter les rendez-vous », expose l’éducateur, qui encadre quotidiennement les résidents. Cette liberté relative implique une autonomie des résidents, qui contrairement aux détenus ne sont pas nourris et enfermés. 
 
 

Au domicile, c’est eux qui imposent les choses. Ici, on inverse le processus. 
Bruno Marboutie, éducateur référent des auteurs. 


Toujours en lien avec la justice, l’équipe d’Auviv veille au respect des règles fixées par le juge : obligation de soin avec accompagnement psychologique dans le cas d’addictions à l’alcool ou autres drogues, interdiction de voir la victime ou d’approcher le domicile familial. Sous contrôle judiciaire, les résidents doivent être exemplaires, « N’importe quel délit peut mettre fin à l’accompagnement », prévient Yves Pelier, ce qui, constate-t-il, se produit rarement. A la fin du séjour, qui peut durer plusieurs mois, un rapport est remis à l’autorité judiciaire pour rendre compte de l’évolution du suivi : « Il permet une peine plus éducative, adaptée à la situation de la personne. »
 

Auviv, un maillon clé de l’arsenal judiciaire


L’association travaille conjointement avec le parquet de Haute-Saône, l’administration pénitentiaire et les services de police et de gendarmerie. C’est à ce titre une alternative à la détention pour les auteurs de violences conjugales condamnés et bénéficiant d’un aménagement de peine. « La majorité d’entre eux acceptent le dispositif, ils voient bien l’intérêt, remarque Bruno Marboutie, éducateur référent des auteurs. La plupart reconnaissent la gravité des faits. »

A la sortie du tribunal, j’ai souvenir d’un gars en pleurs, m’implorant de l’aider.
Bruno Marboutie, éducateur référent des auteurs


Un placement à Auviv peut aussi être proposé par le juge d’application des peines dans le cas d’une peine de prison avec sursis. Troisième possibilité, la structure est sollicitée pour des placements dits « pré-sentenciels », sur décision d’un juge des libertés et de la détention, afin d’éloigner le conjoint du domicile avant son jugement. C’est justement le cas du résident que nous avons rencontré. 
 
 

« Cette dispute aurait pu être évitée »


Un mois et demi après son arrivée à Auviv, Marc se félicite du travail qu’il a effectué avec les différents intervenants. « La vie m’a donné tout sauf la patience. Eh bien c’est quelque chose que j’ai pu travailler avec le psy. Il a su trouver les bons mots, me le faire comprendre, aujourd’hui je l’ai compris et je l’utilise. » 

Conscient que le manque de patience n’explique pas tout, Marc justifie aussi en partie son acte par la consommation d’alcool. Une réaction en chaîne qu’il analyse aujourd’hui, à l’aune des dernières semaines : « La violence elle commence quand la parole n’a plus la place. Quand vous voyez que ça part dans tous les sens, il faut faire profil bas. Il ne faut pas provoquer la personne. » Ces affirmations que l’on croirait sorties d’une médiation conjugale, il les a fait siennes et préfère y croire désormais. 

Les mettra-t-il en application une fois sa peine purgée ? Après un suivi dans ce type de centre spécialisé, le taux de récidive légale (condamnation pour le même motif, NDLR) est de l'ordre de 20%, contre 50% sans accompagnement, selon la FNACAV (Fédération Nationale des Associations et des Centres de prise en Charge d'Auteurs de Violences conjugales & Familiales). A Auviv, ce taux est de 13%.
 
 

Auviv, un laboratoire fragile


En 2018, la lutte contre les violences faites aux femmes était déclarée grande cause nationale par le gouvernement. A l’échelon local, les services de l’Etat ont ainsi dû se coordonner davantage, ce qui a eu pour effet de faire connaître Auviv dans les autres régions. La petite structure est vue comme un modèle d’expérimentation, dans un département où les violences conjugales font l’objet d’un programme de lutte, avec l’appui du parquet et du tribunal de grande instance de Vesoul - devenu tribunal judiciaire au 1er janvier.

Pourtant, cette nouvelle audience ne suffit pas à pérenniser une structure en recherche permanente de financement : « Tout le monde parle d’Auviv, mais il y a quatre-cinq ans ce n’était pas une priorité pour les gens, » lance Yves Pelier. Chaque année, le dispositif bénéficie d’un financement du service pénitentiaire d’insertion et de probation, et de la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations. Insuffisant pour mener à bien les différentes pistes d’amélioration. Outre un meilleur accompagnement des victimes, l’équipe espère mettre en place un dispositif d’accueil aux couples en situation de conflit, permettant d’anticiper les violences intra-familiales.

Contacts

  • Auviv, 19 rue Marcel Rozard, 70 000 Frotey Les Vesoul. Tél : 03 84 75 54 30
  • SAFED, 100 Rue Baron Bouvier, 70 000 Vesoul. Tél : 03 84 76 00 10
  • Numéro d’urgence national : 3919
  
Les autres dispositifs en Franche Comté
Dans la région, d'autres dispositifs d'accueil de conjoints violents ont vu le jour depuis la création d'Auviv. En octobre 2018, le foyer Altérité est ouvert au centre-ville de Besançon, il permet d'accueillir 15 hommes en attente de procès ou déjà condamnés, en leur proposant, comme Auviv, un suivi psychologique. L'association départementale du Doubs de sauvegarde de l’enfant et de l’adulte (ADDSEA), qui a porté le projet, prenait déjà en charge des femmes victimes de violence. Un pari réussi puisqu'en novembre 2019, la préfecture du Doubs a annoncé vouloir ouvrir fin 2020 un second centre Altérité dans le pays de Montbéliard. 
Enfin, l'Armée du Salut entend ouvrir début 2020 une structure similaire à Belfort, avec une capacité d'accueil de 3 places, soit une douzaine de personnes sur un an.
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