Témoignages. Trois centenaires racontent leur petit bout d'histoire de France

Publié le Mis à jour le Écrit par M. F. avec Valentin Chatelier

Il y a en France 26 000 centenaires. Des personnes qui ont tout vécu, qui ont vu le monde se transformer.  Nous sommes partis à la rencontre de trois centenaires de la région. Jeanine, Suzanne et Gabriel nous racontent leur vie et à travers elle, un bout de l'histoire de France.

Ce que les enfants apprennent aujourd'hui dans les livres d'histoire, ils l'ont vécu. Suzanne Roze, Jeanine Leduc et Gabriel Vailleau sont tous centenaires. La Seconde Guerre mondiale, Mai-68, le premier homme sur la Lune, la chute du mur de Berlin… Ils partagent avec nous quelques-uns de leurs cent ans de souvenirs.

Épisode 1 : grandir dans les années 1920

Mon père était cheminot. On a vécu à Montceau-les-Mines sept ans. Après, on est venu à Avallon. Ma mère faisait de la couture, raconte Suzanne. Nous étions quand même quatre enfants. Vous savez, les cheminots gagnaient leur vie, mais c'était juste aussi." Suzanne a arrêté ses études plus tôt qu'elle ne le voulait : "À l'époque, c'était le cours complémentaire, maintenant c'est le collège. C'était spécial pour les filles. J'aurais préféré faire le lycée. Mais mes parents n'étaient pas très riches, vous savez. Alors le cours complémentaire, c'était gratuit. C'était une question de facilité."

"Ma mère m'a abandonnée. Elle a donné le nom du père, mais lui ne m'a pas reconnue, confie Jeanine. Elle aurait dû me mettre dans la Seine, elle n'aurait pas été inquiétée comme ça. J'ai été un peu traînée partout jusqu'à quatre ans et après, j'ai été à Luzy (Nièvre)." Elle ne passera pas non plus trop de temps sur les bancs de l'école. "J'ai été jusqu'au brevet, c'est tout. Je me suis arrêtée là. Maintenant, ça ne compte plus beaucoup, même plus du tout", se souvient-elle.

Gabriel lui, a grandi en Saône-et-Loire. "Mon père était de 1883, vous vous rendez compte ? Il était boucher-charcutier au Creusot. Il était très méticuleux, il enlevait tout le gras, tous les nerfs. Des Parisiens venaient acheter de la grosse rosette chez nous. Elle était très bonne."

"Mon oncle, qui était aussi charcutier, m'a dit 'tu ne veux pas faire le métier ?' Je me suis tâté un petit peu, j'avais 19 ans. Mais ce n'est pas la peine d'être allé à l'école jusqu'à 18 ans et demi pour faire boucher-charcutier. Ça ne m'a pas plu", raconte-t-il.

 

Épisode 2 :  la Seconde Guerre mondiale

Le début de la Seconde Guerre mondiale bouleverse leur quotidien. "Je devais passer un concours au mois d'août 1939. Il n'a pas eu lieu bien sûr à cause de la guerre", se souvient Gabriel. "Quand les Allemands sont venus et qu'on a entendu les tanks arriver, ce n'était pas rien", ajoute Jeanine.

Ils sont obligés de fuir. "C'était la débâcle, tout le monde était sur la route. On nous disait 'ils vont vous graver des croix gammées sur le front'. Ce n'est pas possible ça", raconte Gabriel. Suzanne et sa famille quittent Avallon pour le sud : "On est partis dans le Midi pour faire comme tout le monde, pour se cacher des Allemands qui arrivaient."

Gabriel lui, prend la route vers le sud-ouest. "On a sauté sur le vélo, j'allais sur Bordeaux pour embarquer pour l'Angleterre. Et Pétain tout d'un coup a dit 'ça y est, la guerre est finie'. Donc j'ai dit 'on ne va pas plus loin'."

Suzanne reprend le chemin en sens inverse avec sa famille. "On était après Roanne, on est rentrés par le même train à Avallon. Quand on est arrivés, la maison était pillée. Beaucoup de choses avaient disparu." Il faut se priver à ce moment-là. "C'était une période difficile pour la nourriture, pour tout. Tous les mois, on avait des tickets. Pour la viande, le beurre, l'épicerie surtout. On avait juste ce que les tickets nous donnaient", ajoute-t-elle.

Jeanine parvient malgré tout à trouver ce qu'il faut pour se nourrir. "Les lundis, j'allais dans des fermes chercher du beurre, des fromages. On n'a pas tellement souffert pour la nourriture." Même si bien sûr certains produits manquaient, "le sucre, le chocolat, le café" notamment.

Gabriel, à cette époque est électricien chez Schneider. "C'est de là que je suis parti en Allemagne, avec le STO, le service du travail obligatoire, se souvient-il. On ne savait pas ce qui nous attendait, mais c'était dans des baraques infernales. On était plein de puces, plein de poux."

On était dans une grande usine, tous les carreaux étaient peints en bleu pour ne pas qu'on voit la lumière. On ne voyait rien. Tous les soirs, on était bombardés. On avait creusé une petite tranchée, on se mettait dedans. Boum, boum, ça tombait tout le temps

Puis vient le temps de la Libération. "J'ai vu les Canadiens qui remontaient, les bérets rouges. Ça nous a fait une drôle d'émotion. Là, on a compris que la guerre était finie", confie Suzanne. "On a été heureuses quand même. On était tranquilles. C'était la fête, on a dansé", ajoute Jeanine. "Tout le monde était dans la rue, rappelle Gabriel. On dansait, on était content."

Épisode 3 : mariages et enfants

Nos trois témoins ont 25 ans. La guerre et ses drames sont derrière eux, leur vie peut enfin commencer. Il est désormais temps pour des mariages, des enfants, des voyages, dans un contexte presque idyllique, celui des Trente Glorieuses.

"C'est au bal que j'ai connu ma femme, raconte Gabriel. J'étais avec un copain, il me dit 'tiens, celle qui a la robe verte, elle danse bien'. Je suis allé la voir, on a dansé et elle ne m'a pas quitté."

"J'avais une bonne amie à Paris aussi à ce moment-là alors je lui ai dit 'c'est bon, au revoir'. Mais c'est qu'elle m'a écrit sans arrêt. J'ai réfléchi et puis elle avait de beaux yeux quand même, elle était belle. Alors je me suis marié avec elle en 1947, j'avais 26 ans."

Jeanine s'est mariée à un militaire. "Il a été appelé au Maroc. Je suis partie début 1946, raconte-t-elle. Il fallait que mon mari ait un logement. Je suis partie au mois de janvier, j'ai été chez plusieurs coiffeurs. Ils n'avaient pas besoin de brevet professionnel comme nous [...] J'ai tout le temps travaillé, ça occupe quand même."

Gabriel lui, quitte l'usine Schneider du Creusot. "J'ai été aux PTT. Je m'occupais des téléphones [...] J'étais dans tout l'est de la France, ma femme était toute seule pendant des semaines. Enfin, bref c'est comme ça."

Suzanne est pendant quelque temps secrétaire dans les assurances. "J'ai eu ma première fille à 23 ans. Mais c'était ma belle-mère qui la gardait un petit peu. Mes beaux-parents avaient un café, ils avaient quand même beaucoup de travail. Alors j'ai arrêté, j'ai élevé mes enfants. J'en ai eu quatre."

Je plaignais les femmes qui allaient travailler et qui avaient des enfants. Mon mari était quand même un petit peu de l'ancien régime si je peux dire. Il n'aimait pas que sa femme travaille. Maintenant, au contraire, les hommes aiment bien que les femmes travaillent.

En mai 1968, la révolte des étudiants embrase toute la société. Les grèves et les manifestations s'enchaînent. "On s'est tenu tranquille. Je n'ai pas manifesté ni rien parce que je n'aimais pas bien les combats de rue. C'était des blocages partout.", se souvient Gabriel. "Ça a duré un moment. Les manifestations, les bagarres. Les hommes ont été un moment sans travailler. On s'est fait du souci, parce qu'on se demandait où cette histoire-là allait nous mener", ajoute Suzanne.

Épisode 4 : les progrès technologiques

Mai-68 terminé, nos trois centenaires s'apprêtent à voir un monde se transformer sous leurs yeux. Les progrès technologiques s'accumulent, avec par exemple l'arrivée des téléphones, des ordinateurs puis d'internet. "Ça a quand même été le siècle des trouvailles, des inventions, reconnaît Suzanne. Je suis née au début de la voiture."

"Et puis le train qui quand même tout doucement a fait aussi ses progrès, comme le Mistral. Maintenant, il n'existe plus, c'est le TGV", ajoute-t-elle.

"Le téléphone portable, ça c'est extraordinaire. Je n'en ai pas, mais mes enfants en ont. Quand ils viennent, on correspond avec les autres qui ne sont pas là. Et on se voit. Je trouve ça fantastique. C'est peut-être une des plus belles inventions", s'enthousiasme Suzanne.

Gabriel, malgré ses cent ans passés, a installé un ordinateur chez lui, en Saône-et-Loire. "Internet, c'est bien. Je reçois des messages. On peut demander n'importe quoi là-dessus, c'est incroyable. Je regarde toutes sortes de choses, ça ne manque pas. Il y a tout", confie-t-il. Suzanne et Jeanine restent plus éloignées des ordinateurs. "J'aurais bien voulu savoir, mais je ne sais pas", reconnaît Suzanne. "Je ne sais pas ce que j'en ferais. Les vieilles, on n'est plus bonnes à rien", ajoute Jeanine dans un sourire.

Les restrictions des derniers mois dictées par la lutte contre la pandémie de Covid-19 ont pesé. "Cela fait un an qu'on n'est pas sortis. C'est quand même long", explique Suzanne, qui réside à l'Ehpad Mémoires de Bourgogne, à Perrigny près d'Auxerre dans l'Yonne. "Ça a été une année très difficile. Plus de restaurants, plus de théâtre. Tout est fermé, complète Gabriel. Je ne sais pas si je retrouverai la vie normale avant de mourir."

Mais pour eux qui ont vécu la guerre, la comparaison avec la période actuelle ne tient pas. "Il faut faire attention. C'est difficile, bien sûr, mais ce n'est quand même pas la guerre", explique Suzanne. "Ce n'est pas du tout pareil. On ne peut pas comparer, précise Jeanine, qui a passé le confinement au sein de la résidence autonomie de La Couronne, au Creusot en Saône-et-Loire. Là, on a peur que sa famille attrape le Covid. Et puis ce n'est pas drôle d'avoir ces masques sans arrêt."

Gabriel n'a pas pu fêter comme il se doit son centième anniversaire. "Je n'ai pas pu le faire, mais je le ferai quand ce sera fini si je suis toujours là. Je ne me donne pas beaucoup de temps maintenant encore. Deux ou trois ans même pas. Peut-être deux ans, même un an. Je n'en sais rien." À cent ans, ils pensaient avoir tout vécu, tout vu avant qu'un virus ne change la donne. C'est peut-être ça la vie de centenaire, voir le monde changer et essayer de vivre avec.

Feuilleton signé Valentin Chatelier, Guillaume Gosalbes, Olivier Allirol, Marc Ploncard et Guy Marlier

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