Témoignages. "L'Éducation nationale n'est pas à la hauteur", comment redonner sa place au respect et à la politesse ?

Publié le Mis à jour le Écrit par Antoinette Grall

Défiance, déclin des institutions, parentalité en défaut, individualisme, excès de temps devant les écrans... L'autorité semble en crise, et le "vivre ensemble" malmené. Le respect serait-il une valeur démodée ? Devient-il urgent de la remettre au goût du jour ? Une pédopsychiatre, un sociologue, une enseignante et une neuropsychologue nous livrent leur analyse.

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Tout commence dans le ventre de sa maman. "Plus la fréquence cardiaque de la mère est régulière, plus le bébé se sent en sécurité. Dans la quiétude de l'environnement, il prend conscience de son corps et vit son premier apprentissage à la gestion de ses émotions"  explique Sylvie Tordjman, professeure en pédopsychiatrie à l'université de Rennes.

Les parents, premier groupe social


Cinq jours après sa naissance, dans cet environnement familial rassurant, le nouveau-né comprend qu'il appartient à un groupe. Il s'agit de la deuxième notion indispensable à l'apprentissage du savoir-vivre en société. Grâce à cette relation de confiance, le rôle éducatif des parents peut démarrer. La confrontation avec les règles permet à l'enfant de découvrir les limites du cadre, lui offre l'occasion de vivre en groupe et d'apprendre à respecter l'autorité.  

Je veux tout, tout de suite


En quelques décennies, la société a beaucoup évolué. Laure Stéphan*, enseignante en SVT depuis 20 ans, constate que le savoir-vivre ensemble à l'école s'est dégradé. Des petits détails sont symptomatiques : "Certains parents considèrent leur incivilité légitime, s'arrêtent par exemple sur le parking privé des professeurs pour déposer leur enfant malgré une interdiction de stationner " se désespère-t-elle.

C'est mon plaisir avant tout, je veux, je prends, je fais ce que je veux et j'emmerde les autres.

Laure Stéphan, enseignante en SVT

"Cette violence ressurgit sur les enfants !" s'insurge-t-elle. 

En cours, si l'enfant à quelque chose à dire, il n'attend pas, il me coupe la parole. Il parle sur moi, c'est complétement impoli.

Laure Stéphan, enseignante SVT

"Je leur dis de patienter en levant la main, mais et je vois bien que pendant ce temps, ils n'écoutent plus rien. Ces enfants rois sont habitués à ce que leurs besoins passent en premier et ne supportent plus d'attendre, ni de faire des efforts" déclare-t-elle. 
"L'école est un bien de consommation, il n'y a aucune gratitude, plus de "petit bonjour" entre parents ou avec l'équipe pédagogique" continue-t-elle.
Rester les uns à côté des autres sans se parler devient dangereusement la norme alors que des petits échanges contribuent à huiler les rouages du collectif.
"La société, c'est faire avec les autres, on est tous égaux devant la loi. En magnifiant l'enfant, on fait des enfants des citoyens inadaptés" explique Christophe Moreau.

La montée en puissance de l'ego nuit à l'esprit d'équipe.

Christophe Moreau, sociologue

Écrans, harcèlement, bombe à retardement

L'explosion des écrans et leur omniprésence a beaucoup modifié les comportements. Les réponses immédiates auxquelles ils permettent d'accéder donnent l'illusion de tout savoir et affaiblissent le recours à la parole. Leur usage excessif provoque un repli sur soi et des traumatismes.

Presque 100% de mes élèves en sixième ont des smartphones. Les réseaux sociaux sont une plaie. Ils décuplent les histoires de harcèlement.

Laure Stéphan, enseignante SVT

À lire : VIDÉO. Des ateliers pour apprendre à réagir face au harcèlement scolaire

La possibilité d'être anonyme sur les réseaux sociaux contribue à "ce mal écrire", à tenir des propos injurieux et violents. Le vocabulaire s'appauvrit. La communication devient de plus en plus difficile. "J'hallucine, un élève m'a demandé de lui expliquer la signification du mot "en dessous" révèle l'enseignante. 

Une école appelée à évoluer

L'OMS, les directives de l'enseignement national demandent la mise en œuvre de l'enseignement des compétences psychosociales à l'école pour améliorer le savoir-être. Christophe Moreau est chercheur en sociologie à Jeudevi (Jeunesse Développement Intelligents). Son jugement est assez sévère : 

L'Éducation nationale n'est pas à la hauteur, son fonctionnement est archaïque, il manque cruellement d'interventions éducatives sur les questions d'habilités sociales.

Christophe Moreau, sociologue

"Les cours sont déconnectés du réel, il faudrait non pas des leçons théoriques sur la morale,mais plus d'interactions avec l'extérieur pour préparer les gamins à la vraie vie" explique Christophe Moreau.

À lire : Vidéo. Au collège, une mini-entreprise pour booster la classe

Aujourd'hui, nous n'avons pas besoin que des gens qui savent lire et compter mais, des gens qui savent négocier leur relation, leurs émotions.

Christophe Moreau, sociologue à Jeudevi

Faire cogiter les élèves

Les points de vue sur les techniques pédagogiques divergent et sont nombreux.
"Pour aller vite, vous pouvez pratiquer des cours avec du descendant, sauf que les élèves sont passifs et pas attentifs. Pour les retenir, il faut les rendre acteurs. Cela demande plus de créativité, et de temps de préparation des cours en amont. 20 à 25 élèves par classe et plus de moyens humains seraient idéals pour la mise en pratique de cette pédagogie" argumente Hélène Ribeiro Horna, ancienne enseignante, neuropsychologue et conceptrice de programme pédagogique. 

Ce qu'il faut, c'est de l'accompagnement, des gens qui fassent cogiter les élèves.

Hélène Ribeiro Horna, conceptrice de programmes scolaires

Responsabiliser

"Tous les vendredis avec mes petits de maternelle, nous prenions une demi-heure ensemble pour parler des problématiques de la semaine et réfléchir à des solutions" poursuit-elle. 

Les échanges ont créé beaucoup de lien entre eux, leur ont appris à s'écouter sans se juger. Acteurs de leur espace de vie, ils se sont responsabilisés.

Hélène Ribeiro Horna

Cette pédagogie nécessite d'avoir un œil critique sur ses pratiques. Tester, observer, émettre des hypothèses, prendre le temps d'analyser ce qui marche et ce qui ne marche pas, est quelque chose que l'on n'enseigne pas aux enfants dans cette société où tout se joue dans des rapports de force et de compétition. 

À lire : "Mon fils se sentait mal à l'école, il ne correspondait pas aux standards". Ces parents ont fait le choix de pédagogies alternatives

Remettre les horloges physiologiques à l'heure


"Moins les horloges biologiques d'un individu sont respectées, plus celui-ci est vulnérable à l'émergence de troubles psychiatriques, de troubles anxieux et dépressifs, de comportements violents" explique le professeur en pédopsychiatrie.
Pour bâtir les fondations biologiques indispensables à un bon équilibre mental, il faut de la régularité. Premier point, introduire des règles d'horaire de lever et de coucher pour obtenir une quantité et une qualité de sommeil suffisant. Deuxièmement, fixer des heures régulières de repas pour profiter d'un moment de convivialité et de communication intrafamiliale.  

À lire : VIDEO. Rythmes biologiques : mieux les connaître pour mieux préparer sa rentrée

Ce n'est plus si inhabituel qu'aucun repas ne soit pris ensemble au cœur des familles.

Sylvie Tordjman, pédopsychiatre

"Dès 10, 11 ans, le jeune se sert dans le frigo, s'isole dans sa chambre et mange seul devant un écran" constate le médecin. Troisièmement, pratiquer au minimum 20 minutes d'activités physiques. 

L'activité physique procure une conscience corporelle qui permet une connexion à ses émotions et rend plus apte à se connecter à celles des autres.

Christophe Moreau, sociologue à Jeudevi.

À lire : "Ils ne parviennent plus à courir, au bout d’une minute, ils sont essoufflés". Médecin-conseil, elle démissionne pour alerter sur la santé des jeunes

"Quatrièmement, introduire des temps d'activités sociales. L'individu a besoin de stimuli sociaux. Après un fort isolement, se réadapter aux autres se traduit par des conduites agressives tant la tâche est difficile. Un journal de sommeil où le jeune note ses horaires de repas, de sommeil... lui permet de réorganiser sa temporalité " poursuit l'experte en pédopsychiatrie.

Prévenir, dialoguer, collaborer

Pour la pédopsychiatre, il faudrait communiquer davantage pour aider les parents à reprendre ou prendre les rênes de l'autorité parentale. Il faudrait trouver une solution pour accéder aux parents en difficulté et non demandeurs. "Depuis le Covid il y a 2 fois plus de crises suicidaires chez les jeunes de moins de 16 ans. Quand la famille vient consulter, le premier rendez-vous se passe à l'hôpital avec une équipe d'urgence pédopsychiatrie en blouse blanche. Les rendez-vous suivants se font hors des urgences dans un véhicule banalisé. Cette équipe mobile ne juge pas, et donne aux parents la possibilité de redevenir acteurs. Ils reconstruisent des liens de confiance" relate Sylvie Tordjman. 

La figure d'attachement et d'autorité des parents qui se construit dès la petite enfance est un processus dynamique qui peut se remanier au cours du temps.

Sylvie Tordjman,

professeure en pédopsychiatrie

Dans les années 2000, il était question que l'enfant soit au cœur du système. Selon moi, cela doit fonctionner, mais l'enfant ne doit pas être tout seul, les adultes doivent poser des jalons" délivre Hélène Ribeiro Horna. L'environnement familial et scolaire devraient communiquer davantage et devenir complémentaires.

Il faut recréer du lien entre les trois acteurs : élève, école et famille. Chacun doit reprendre et exercer son rôle.

Hélène Ribeiro Horna, neuropsychologue

"En Allemagne, en cas d'agressions répétées, pédopsychiatres, travailleurs sociaux, enseignants, et parents contractualisent un listing d'attentes les uns vis-à-vis des autres. De leurs rencontres régulières naît une considération mutuelle, il n'est plus question de se rejeter la faute, de déserter le champ de bataille. Appliquer les règles redevient possible au jeune" ajoute Sylvie Tordjman. 

  

Dans le travail, il faut soigner l'ambiance, il faut lui redonner du sens et des perspectives.

Christophe Moreau, sociologue

Prendre les devants

Les méthodes d’apprentissages classiques ne répondent plus totalement aux besoins des entreprises, c'est également le constat d'Olivier Méril, président de MV Group, société de conseil en stratégie digitale à Rennes. "Je suis impressionné par le manque de créativité, de confiance et d'estime de soi des collaborateurs, globalement les gens ne savent pas communiquer, ils interprètent. Je pense que l'école en est largement responsable" dénonce le président.

En France, on stigmatise systématiquement sur ce qui ne va pas, au lieu d'encourager les gens là où ils sont bons.

Olivier Méril, Président de MV Group

La revanche du savoir-être 

C'est ainsi qu'il a créé au sein de sa société, sa propre école pour recruter un personnel qui correspond aux valeurs de sa culture d'entreprise. Une école inversée. Les cours sont mis à disposition et le temps de classe est consacré à des travaux pratiques collectifs ou individuels, à des retours d'expériences et à des discussions pour rendre l'apprentissage dynamique et interactif.

Si la personne a le savoir-faire, mais pas le savoir-être, nous ne la choisirons pas.

Olivier Méril, Président de MV Group

"Ce n'est pas parce que vous avez le diplôme que vous êtes compétent. C'est plus facile de faire monter quelqu'un en compétence sur un logiciel que de modifier cette personne si elle est mal élevée et ne sait pas s'exprimer. Nous ne sommes pas seuls dans la vie et avons besoin de bien nous comporter pour interagir intelligemment avec les autres" souligne-t-il.

La politesse, c'est basique, mais un excellent point de départ pour une bonne communication.

Olivier Méril, Président de MV Group

"Je préfère quelqu'un d'un peu moins bon au départ, mais qui va jouer en collectif. Nous capitalisons sur des formations en compétences du bien vivre ensemble appelées soft-skills. Plus épanouie, une personne travaille mieux, sert mieux son client. Les clients sont satisfaits, le manager du projet également, le collaborateur se sent à l'aise, a moins envie de bouger, tout cela intervient en cascade. Mes salariés sont intervenants dans l'école et les formateurs qui nous ont plu à l'école interviennent dans l'entreprise" relate Olivier Méril.


L'avènement des compétences douces ou du savoir-vivre ensemble semblent nécessaires pour retrouver des relations sociales harmonieuses et savoir s'adapter rapidement dans notre société très changeante. Pour tous les interlocuteurs rencontrés, les compétences de demain ne seront pas uniquement des compétences de "comment faire" mais aussi et surtout des compétences de "comment être".

Laure Stéphan* : ce nom a été modifié

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