Moins de 48 heures après les élections européennes suivies de la dissolution de l’Assemblée nationale, nous sommes allés prendre le pouls des électeurs à Ajaccio, dans le quartier des Salines. La plupart des personnes rencontrées ce mardi matin iront voter aux Législatives anticipées du 30 juin prochain. Dans l'île, l'ombre du processus d'autonomie plane déjà au-dessus du scrutin.
"Ça fait plusieurs années que le Rassemblement national fait de gros scores en Corse. Regardez la dernière Présidentielle. Ce n’est donc pas une surprise qu’il soit encore arrivé en tête dimanche."
Au pied des tours des Salines, à Ajaccio, cette habitante du quartier en train de promener son chien ne nous en dira pas plus. "Déçue par la politique", elle préfère continuer son chemin sans ajouter un mot.
Moins de 48 heures après les résultats des élections européennes, ici, toutes les personnes rencontrées ce mardi matin n’ont "pas été surprises" par la victoire de Jordan Bardella dans la cité impériale (45,01%) et plus largement en Corse (40,76%).
Dimanche soir, dans les cinq bureaux des Salines, la liste "La France revient" - conduite par le président du RN - est sortie en tête à chaque fois, avec une moyenne de plus de 53% des voix. Des résultats qui ont ravi Éliane, dont "toute la famille vote RN".
"Je pense que du bien de ces résultats, pour la sécurité et pour tout le reste, explique la retraitée de 78 ans en train de trier ses déchets devant les bacs disposés dans la rue François Pietri. Ici, je ressens de l’insécurité, et sur le continent aussi. On n’est plus en sécurité, on n’est plus en France. J’ai toujours habité le quartier et je peux vous dire que ça a changé. C’est de pire en pire ! Je ne pourrais pas vous dire quand exactement mais j’ai vu la situation progressivement se dégrader."
Je n’ai pas toujours voté extrême droite. Avant, j’étais plutôt de l’autre côté.
Paul, électeur du RN
Paul situe la "bascule à deux ans en arrière". "Il n’y a plus la même ambiance dans les quartiers populaires", confie l’homme d’une cinquantaine d’années qui travaille dans le bâtiment. Il se dit "préoccupé par l’insécurité en France, le pouvoir d’achat et le logement pour nos jeunes".
"Il y a un laisser-aller, ajoute-t-il, quelque peu dépité. Je n’ai pas toujours voté extrême droite. Avant, j’étais plutôt de l’autre côté, mais j’ai été déçu par la gauche. Des promesses, toujours des promesses…"
Casquette vissée sur la tête, Chris, la vingtaine, ne s'est pas rendu aux urnes dimanche.
"Je n’ai pas reçu ma carte électorale, sinon, j’y serais allé pour voter Bardella. Le souci, c'est l'immigration, il y en a trop. L’insécurité, je m’en fiche. Je ne la ressens pas à Ajaccio."
"Pour le moment, le processus est cuit"
Autour de la place Jean Casili, on semble davantage avoir été surpris par l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, quelques minutes après les résultats du scrutin européen.
"Macron a fait ça subitement. Ça a été le choc", glisse Pierre-François, la trentaine, au sortir de la galerie marchande. "Le président a fait un nouveau coup de poker, il en a l’habitude", analyse Evelyne avant de s'engouffrer dans le bureau de poste, sans trop "comprendre où tout cela va mener le pays".
Carina, elle, est arrivée en Corse de son Portugal natal il y a plus de vingt ans. Âgée de 44 ans, elle habite aux Salines mais ne vote pas en France. Ce qui ne l’empêche pas de s’intéresser à la politique et aux élections législatives anticipées qui se profilent (30 juin et 7 juillet).
"J’ai été choquée par les résultats de dimanche soir, affirme-t-elle. Je l’ai été encore plus par l’attitude du président de dissoudre l’Assemblée nationale. Je ne savais pas qu’on pouvait le faire. J’ai donc fait quelques recherches sur le sujet et j’ai compris ce que cela allait engendrer. Je trouve que c’est un peu lâche, le président ne pense qu’à lui. On a l’impression qu’il veut se venger. Comme j’ai été un peu choquée par son attitude, si je pouvais voter aux législatives, je pense que je le ferais. Mais je ne voterais pas pour le RN, ça c’est sûr."
Pierre non plus. Dimanche dernier, il a glissé dans l'urne un bulletin Jean Lassalle "car il représente la ruralité et nous représente donc un peu". Avant de se mettre au guidon de sa moto, l’homme âgé d’une soixantaine d’années fait part de son "inquiétude" quant à l’avenir du processus d’autonomie : "Tout ça risque de le retarder, voire de le compromettre. Pour le moment, le processus est cuit."
S’il y avait une alliance à gauche ou chez les nationalistes, ça me plairait.
Une électrice
Le 30 juin prochain, il se rendra au bureau de vote pour les Législatives comme il le fait "à chaque élection depuis [ses] 18 ans", précise-t-il en enfilant son casque.
"Je vais voter nationaliste comme je l’ai toujours fait. Mais il faudrait qu’ils fassent une démarche commune sinon on l’aura dans l’os. Il faut qu’on soit ensemble et qu’on arrête avec tous ces problèmes et ces querelles de personne sinon on n’aura plus qu’un seul député. S’il n’y a pas d’union, je voterai Femu. Mais bon, je vais suivre ce qui se dit dans les prochains jours."
Lundi soir, Femu et Core in Fronte ont d’ores et déjà appelé à faire front commun pour ces Législatives anticipées.
Anne-Marie adhère à la démarche. "Désespérée" par le vote RN et la dissolution de l’Assemblée nationale, la septuagénaire qui dit se situer "plutôt à gauche sur l’échiquier espère une alliance" :
"Il faut quand même discuter dans la vie et il ne faut pas rester comme ça avec des œillères, mime-t-elle avec ses deux mains, en pressant le pas vers le bureau de tabac. S’il y avait une alliance à gauche ou chez les nationalistes, ça me plairait."
Le "dilemme" de l'autonomie
À droite et à gauche, ces dernières heures, plusieurs candidatures ont été officiellement déclarées. Idem pour le tout nouveau parti identitaire Mossa Palatina. "Ça pourrait bien me tenter, confie Loïc, tout en déchargeant le contenu de sa fourgonnette dans le parking d'un des immeubles. J'habite au village, dans le Cruzzini, et j'écoute depuis quelque temps ce que dit Nicolas Battini. Entre le RN et lui, j'avoue que j'hésite."
Florent, lui, "ne vote jamais". Mais cette fois, ce quarantenaire qui travaille dans la restauration hésite. "Je réfléchis, il faudrait voter, mais pour qui ? À gauche c’est hors de question, à droite aussi et à l’extrême droite, pour ici, ce n’est pas très bon. À la limite peut-être pour les nationalistes car ça peut avoir du poids, notamment pour l’autonomie à laquelle je suis favorable. Pour l’instant, le processus est compromis mais la priorité, c’est ça, être autonome."
La question de l'avenir institutionnel de l'île taraude également l’esprit de Paul. S’il a voté Rassemblement national aux Européennes, il ne sait pas s’il redonnera sa voix au candidat du parti d’extrême droite de sa circonscription le 30 juin prochain, pour le premier tour de la législative. Le RN n’ayant jamais fait mystère de son opposition à l’autonomie de la Corse, notre interlocuteur se retrouve "face à un dilemme".
"J’irai voter mais peut-être pas pour le Rassemblement national car moi, l’autonomie, je suis vraiment pour. Ce qui n’est pas le cas du RN. C’est compliqué et là, c'est une élection législative et ce n’est pas pareil, il y a des candidats locaux et d'autres enjeux pour la Corse."
En juin 2022, lors du dernier scrutin des Législatives, le Rassemblement national n'était pas parvenu à surfer sur son score de la Présidentielle dans l'île et à hisser l'un de ses candidats au second tour.
Les autonomistes avaient alors envoyé trois députés à l'Assemblée nationale. Le quatrième siège attribué à la Corse était quant à lui revenu au parti Horizons, affilié à l'époque à la majorité présidentielle.
*Certains prénoms ont été modifiés.