Affaire Anaïs Guillaume : ce qu'il faut retenir des trois semaines du procès de Philippe Gillet, condamné à 30 ans

Du 6 au 22 avril, la cour d'appel de Reims a étudié la culpabilité de Philippe Gillet et l'a reconnu coupable d'avoir assassiné Anaïs Guillaume. L'exploitant agricole ardennais a été condamné à 30 ans de réclusion criminelle. 

C'est dans une salle baignée de lumière et bondée que le verdict a été rendu, après trois semaines d'audience qui ont semblé interminables. Ce jeudi 22 avril, la cour d'appel de Reims condamne Philippe Gillet, éleveur ardennais de 48 ans, à une peine bien plus lourde que celle prononcée deux ans plus tôt. Il est reconnu coupable de l'assassinat d'Anaïs Guillaume. Cette fois, la préméditation est retenue. Il est condamné à 30 ans de réclusion criminelle, assortis d'une période de sûreté des deux tiers. Il lui est désormais interdit de détenir ou de porter une arme soumise à autorisation. Comme en première instance, l'éleveur est acquitté des "coups mortels" sur son épouse, décédée le 3 janvier 2012.

Voici ce qu'il fallait retenir de ces trois semaines de procès.

1 - Philippe Gillet dans le déni

Dans le box ce jeudi, après 13 jours d'audition, Philippe Gillet est pâle. Pourtant, aucune émotion ne transparaît sur le visage fermé de l'agriculteur, "sonné par la décision" affirme son avocat qui le connaît bien. "Comme je l'ai toujours dit, je suis innocent madame la présidente, je n'ai rien fait", a déclaré l'exploitant avant que les jurés s'en aillent délibérer. Au moment du verdict, Hélène Langlois lui demande une dernière fois s'il veut s'exprimer. "Je n'ai rien à ajouter", marmonne-t-il, à peine audible.

Pendant les dix premiers jours d'audience, on n'a que très peu entendu l'accusé. Le premier jour, agité dans son box, il demande à intervenir mais la présidente coupe court. Il finit par placer quelques mots. "Je m'oppose à ce qui m'est reproché." Après un accusé quasi mutique, c'est un Philippe Gillet stoïque, bras croisés, parfois acteur, qualifié dans Le Monde de "sorte de Jean Gabin des champs" qui fait face à la présidente le vendredi 16 avril. Pour des raisons d'acoustique, il est prié de se rendre à la barre. 

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Pendant trois jours, la présidente du tribunal, Hélène Langlois, lui demande longuement sa version des faits. Tour à tour, il passe d'un ton vif aux murmures, marmonne quand il est mis en porte-à-faux. Celui que les rapports de détention décrivent comme ayant un "niveau intellectuel supérieur au public habituel" et un "physique athlétique qui ont aidé à son intégration", peine à convaincre. Les nombreuses questions de la présidente coupent court. "Lors de votre première déposition, vous avez déclaré qu'Anaïs était votre compagne", pointe la magistrate. "Question de sémantique", évacue Gillet. 

Plus que le déni systématique de Philippe Gillet, ce sont les éléments découverts entre les deux procès qui ont pesé lourds dans la balance. La découverte du corps d'Anaïs Guillaume recouvert de chaux n'a plus laissé de doutes sur les intentions de l'agriculteur, le 16 avril 2013, le jour de la disparition de la jeune femme. "Non seulement on découvre le corps recouvert de chaux, mais on le découvre sur la base d'indications données, nous le savons maintenant, par Philippe Gillet", précise Hugues Vigier, son second conseil. De quoi convaincre les jurés que Philippe Gillet a prémédité son geste.

2 - Face à lui, une famille plus unie que jamais

Sur le banc des parties civiles, les membres de la famille Guillaume n'ont pas manqué une journée d'audition. Pourtant, ils ont vécu de nouvelles épreuves difficiles. Comme la diffusion de la vidéo des fouilles sauvages entreprises par Victoria Gillet (la fille de Philippe) et son ami. À l'aide d'une pelleteuse, ce dernier creuse la terre sous un tas de fumier situé en face de la ferme de Philippe Gillet. Au bout de quelques minutes, un os blanchâtre se distingue dans la terre remuée et une voix féminine s'écrie : "On est bien d'accord ?" La salle comprend. Valérie, la mère d'Anaïs, qui n'a jusqu'alors pas sourcillé, quitte la salle en pleurant. Son époux fixe le sol. Ses deux fils la rejoignent. Pendant ce temps, l'accusé scrute l'écran, masque baissé. Comme s'il se trouvait au premier rang d'une salle de cinéma.

Malheureusement, la famille endeuillée a affronté d'autres épisodes douloureux durant ces trois semaines. "Le fait qu'on attaque Anaïs sur la drogue, qu'ils disent que c'était une fille facile, c'est insupportable à entendre", pointe Fabrice Guillaume à l'issue du verdict. "C'est notre fille. L'avocat de Gillet est venu nous expliquer qu'ils font leur travail. Mais même si vous le savez et le respectez, vous ne pouvez pas accepter ça."

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Car Philippe Gillet a la dent dure. Interrogé à de multiples reprises sur la nature de sa relation avec Anaïs, il soutient qu'il ne l'a pas aimée, dresse le portrait d'une jeune fille paumée dont il ne voulait pas. Même si de nombreux témoignages disent le contraire, il s'évertue à démentir. "Il l'a détruite, salie, humiliée, fait d'elle son objet sexuel", s'étrangle Valérie Guillaume dans un sanglot le jour de sa déposition. Arrive alors la seconde fois où Valérie Guillaume quitte la salle. Dans une énième tentative de prouver son innocence, Philippe Gillet affirme de but en blanc que s'il avait su que le corps d'Anaïs se trouvait dans son champ, il lui suffisait "de mettre les os dans un épandeur", avant de détailler, dans une logique qui lui paraît implacable : "Je prenais le tracteur, je l’éparpillais, on labourait les terres, et c’était fini !" 

Il y aura toujours la mort dans notre foyer, et c'est notre fille.

Valérie Guillaume, la mère d'Anaïs.

Le jour du verdict, la salle d'audience est pleine à craquer. Malgré le contexte sanitaire, la famille d'Anaïs est venue en nombre soutenir les Guillaume, dont le "courage", la "ténacité" et la "complicité" ont été maintes fois salués. Alors, quand le verdict tombe, des larmes de soulagement coulent sur toutes les joues. "On a rendu la dignité à Anaïs et c'est ce qu'on voulait, conclut Valérie. "On va accuser le coup, souffle Jonathan, l'aîné de la fratrie, qui vit désormais loin des Ardennes. On va essayer de se retrouver en famille et de se détendre."

3 - Les deux filles de Philippe Gillet livrées à elles-mêmes

Philippe Gillet restera derrière les barreaux durant de longues années. Il est pourtant la seule famille qui reste à ses deux filles, âgées de 17 et 20 ans. Privées de leur mère et de leurs deux grands-mères, décédées en 2013 et en 2014, elles sont maintenant livrées à elles-mêmes. Lors du verdict, seule Irina, la fille cadette, est présente à l'audience. A l'annonce de la sentence, elle s'éclipse. Même si désormais, elle sait que son père n'est pas le meurtrier de sa mère, elle ressent le besoin de prendre de la distance. "Je pense que c'était dans l'intérêt d'Irina que son père ne soit pas reconnu coupable du meurtre de sa mère. Ça a été entendu deux fois, et donc notre posture était la bonne", conclut son avocat, Richard Delgenes. 

Pendant trois semaines, tous les jours, cette adolescente coquette s'installe derrière le banc des parties civiles, même quand son avocat est absent. C'est comme si la lycéenne se rendait en cours. Tous les matins, le même rituel. Elle pose son cahier. Range méticuleusement un assortiment de surligneurs fluorescents. Se distrait sur son téléphone portable. Mais elle est là, chaque jour, sans un regard pour son père. Quand la présidente lui demande si elle a déjà questionné son père sur sa culpabilité, elle répond, tranquille : "C'est le genre de question que je ne préfère pas poser." A quelques semaines du bac, elle s'est inscrite dans une faculté de droit et rêve de devenir avocate.

Deux semaines plus tôt, c'est sa soeur Victoria qui attire l'attention. Arrivée des Ardennes pour son audition le 8 avril, elle s'installe tranquillement au deuxième rang, bien en vue de son père. Crâne dégarni, stigmate d'une lourde maladie, elle est méconnaissable. Il faudra quelques minutes après la reprise de l'audience pour que Philippe Gillet la reconnaisse. Dans un cri, il s'effondre et exige de quitter la salle quelques minutes. 

L'audience reprend et en fin de journée, Victoria se livre à un récit bouleversant, lucide et déterminé. Depuis quelques mois, elle s'est éloignée de son père. Elle qui faisait sa fierté, "brillante", première de la classe, vouée à embrasser une carrière de vétérinaire. Tout a changé en octobre 2019, après la lettre anonyme et la découverte du corps. Elle a eu besoin de prendre le large. Car c'est lui qui a demandé d'envoyer la lettre anonyme. Lui qui a indiqué où creuser. L'endroit précis où elle a retrouvé les os d'Anaïs. "A ce moment-là, les gendarmes me disent que je ne suis pas obligée de rester, que je peux partir. Mais moi, ça fait quatre ans que je vis tout ça, que je suis là dedans. Je veux savoir si c'est elle", se souvient Victoria.

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"Aujourd'hui, quel est votre sentiment sur son implication ?", lui demande la présidente. "Je vous l'ai dit : je ne sais plus qui croire, répond l'Ardennaise. Est-ce qu'il a une part de responsabilité ? Est-ce qu'il est totalement coupable ? Je ne sais pas." Elle marque une pause. "Et puis ça fait tellement longtemps qu'on se parle plus. On n'a plus aucun lien. J'ai essayé de m'installer, d'instaurer une vie saine." Elle ne revient pas une seule fois, pas même le jour du verdict.

4 - Une justice qui a pris le temps

C'est l'avantage des cours d'assises. On prend le temps de s'intéresser au parcours de l'accusé et de dérouler l'enquête dans les moindres détails. Face à un dossier exceptionnel, un dispositif peu commun : trois semaines de procès et deux avocats généraux pour décider de la culpabilité de l'accusé. Enfin, la sentence, exceptionnelle elle aussi. "C’est une peine très lourde prononcée contre Philippe Gillet, souligne Damien Delavenne, qui représente la famille Guillaume, ce n’est pas tous les jours qu’une cour d’assises prononce un tel verdict."

C'est un dossier exceptionnel par les faits, les réquisitions très lourdes de la part du parquet général, et de la défense où deux acquittements étaient demandés.

Damien Delavenne, avocat de la famille Guillaume.

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Pour autant, ce n'est pas une décision pour l'exemple, mais une "décision justifiée par rapport à la nature des faits, réagit Jacques Louvier, l'avocat général. Les jurés ont tout retenu. Le fait qu'on ait retrouvé le corps avec de la chaux, c’est ce qui a joué."

Le temps, la présidente du tribunal l'a également pris pour donner la parole à Philippe Gillet, qui a pu longuement étayer son point de vue. D'abord pendant plus de quatre heures un vendredi soir, le 16 avril, durant lesquelles Philippe Gillet n'a rien lâché. L'audience reprend le lundi matin. Hélène Langlois tente de comprendre la personnalité de l'accusé. Un temps précieux, car il révèlera les failles de l'exploitant : son attachement à sa ferme, et la "passion dévorante" qu'il l'a toujours empêché de partir.

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