Le mystérieux vol de la panthère, à l'intérieur du zoo de Maubeuge, pose de multiples questions. On a enquêté pour tenter de mieux comprendre ce qui se cache derrière cette affaire insolite.
Qui a volé la panthère d'Armentières ? Pourquoi ? Un animal comme celui-là vaut-il cher ? Qui achète ? Qui vend ? Au surlendemain de la disparition de la bête, qui avait trouvé refuge dans un enclos protégé du zoo de Maubeuge en attendant son transfert au sein de l'association spécialisée Tonga Terre d'Accueil à Saint-Martin-la-Plaine (Loire), les questions se bousculent. L'affaire est mystérieuse, nébuleuse et curieuse...
Une certitude : quiconque a commis ce méfait n'avait en tout cas pas peur des caméras de vidéosurveillance, ni de la proximité du commissariat de Maubeuge, à une cinquantaine de mètres. "Le sas de sécurité aux normes exigeantes, car adapté aux fauves, a été forcé sur six points de sécurité. Des moyens conséquents ont donc été utilisés" estimait d'ailleurs mardi la ville de Maubeuge. Il n'y a aucune trace d'effraction ailleurs dans le zoo.
Les malfaiteurs ont également fait peu de cas de la santé de l'animal, qui commençait tout juste à reprendre des forces et dont la santé restait fragile. Surtout que le déplacement d'un endroit à un autre, "est toujours un stress pour l'animal" souligne Jean-Christophe Gérard, vétérinaire de l'association Tonga Terre d'Accueil qui s'apprêtait à l'accueillir. "Les panthères sont vite stressées."
Un "commando" et des riches commanditaires ?
Ce mode opératoire rappelle le vol, en mai 2015, de plusieurs singes protégés du zoo de Beauval (Loire-et-Cher). Sept tamarins-lions dorés et dix ouistitis argentés, rarissimes et très fragiles, avaient été dérobés en pleine nuit.
Les auteurs avaient alors escaladé le mur d'enceinte, recouvert une caméra d'un morceau de tissu, forcé la porte d'une serre tropicale et déboulé les boîtes dans lesquelles se trouvaient les singes. La justice avait rendu en 2017 un non-lieu, faute de piste probante.
Pour Éric Hansen, délégué Provence-Alpes Côte-d'Azur et Corse de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), ce vol pointerait vers l'existence de "commandos", pouvant être envoyés par de "richissimes commanditaires" pour se les approprier. "Pour certains, c'est comme une collection de timbres".
Lui-même, lorsqu'il était en poste en Guyane, a vu "des voiliers affrétés avec des commandos à bord pour récupérer des animaux amazoniens". "Ce sont des bandes extrêmement organisées. Le trafic d'animaux exotiques est un vrai business !" Il est même l'un des trafics générant le plus de profits au monde, derrière les armes, les stupéfiants et la traite d'êtres humains.
La panthère d'Armentières, spécimen rare ?
Et la panthère d'Armentières, dans tout ça ? On sait assez peu de choses de la bête, qui n'a pu être gardée qu'une poignée de jours entre ses déambulations sur les toits d'Armentières et son enlèvement au zoo de Maubeuge. Tout au plus sait-on qu'il s'agit d'une femelle, âgée de 10 à 12 mois et pesant 25 à 30 kilos.
On ignore en revanche à quelle sous-espèce elle appartient : sa couleur noire n'est pas une caractéristique, mais une mutation due au mélanisme qui affecte un grand nombre de léopards, puisque léopard et panthère désignent en réalité le même félin.
Difficile, dans ces conditions, d'évaluer la valeur que pourrait avoir un tel animal. "Elles sont beaucoup moins sur le circuit" que les lions et les tigres, glisse Éric Hansen. Pour ces derniers, "il y a un barème, un peu comme les stupéfiants" mais en ce qui concerne les animaux plus rares, tout dépend de "l'offre et la demande".
10 000 euros ? 30 000 euros ? 50 000 euros ? "Ça me semble très élevé... 50 000 euros, c'est à peu près le prix qu'aurait une panthère des neiges", espèce menacée. Il concède toutefois que "quelqu'un qui veut beaucoup un spécimen peut mettre le prix qu'il veut".
Des saisies régulières de félins en France
La panthère d'Armentières "est très belle, a un beau poil" juge de son côté un responsable des douanes à Marseille, pour qui "si elle est issue d'un trafic, les gens qui l'ont vendue ont dû payer cher". Son service avait découvert, en octobre 2018, un lionceau dans un garage de la Cité phocéenne.
La petite femelle de deux mois, non sevrée, était dans un état déplorable. Deux lionceaux avaient également été saisis en 2007 à Montpellier, dans une voiture qui venait de Belgique.
Le douanier, qui travaillait auparavant dans le Nord, notamment à Wattrelos et Roubaix, confie même avoir déjà vu des kangourous traverser la frontière belge vers la France en contrebande.
La plupart du temps, dans le cadre des lions et des tigres, "ce sont des animaux qui sont nés en captivité dans des cirques, et qui sont troqués, vendus ou volés" explique-t-il.
Même constat chez Éric Hansen, qui entre la Guyane et la Méditerranée a posé ses valises dans le Centre-Val de Loire et l'Île-de-France. "En cinq ans, on a saisis une quinzaine de grands félins", essentiellement "détenus par des particuliers".
"Ce sont des animaux qui se reproduisent très facilement en captivité. Il suffit de mettre un mâle et une femelle ensemble à la bonne période, et on sait que ça va marcher", contrairement à d'autres animaux comme la panthère des neiges. À partir de là, un cirque peu scrupuleux peut décider de vendre un ou deux petits d'une portée, "un peu sous le manteau".
Il cite le cas d'un ancien dresseur de cirque, qui à son départ en retraite n'a pas voulu se séparer de ses fauves. "Il les a gardés chez lui, dans des conditions qui n'étaient absolument pas adéquates".
Que dit la loi française ?
Il est pourtant possible de "détenir un animal dangereux, mais pas sans autorisation administrative" rappelait un responsable de l'ONCFS auprès de Franceinfo en 2014.
Il faut à la fois un certificat de capacité pour démontrer les compétences du propriétaire à accueillir l'animal – qui peut être obtenue via une épreuve d'aptitude – ainsi qu'une qualification préfectorale d'ouverture d'établissement. Même s'il s'agit seulement du domicile d'un particulier, il doit être équipé de façon à "recevoir des félins en toute sécurité pour lui et pour autrui". Il arrive fréquemment, rappelle la douane nationale, que l'on fasse appel à ces particuliers pour prendre en charge des félins saisis.
Si tout n'est pas encadré et qu'il manque l'une de ces deux autorisations, posséder un félin dangereux constitue un délit passible d'un an de prison et d'une amende de 15 000 euros.
Éric Hansen se souvient particulièrement d'une saisie, en février 2014 à Ardon (Loiret). "Un informateur nous avait dit avoir entendu un animal rugir dans une forêt du Loiret. Nos agents ont fait une perquisition vers 6 heures du matin sur un grand terrain, avec d'anciennes remorques."
"À l'intérieur de l'une d'entre elle, il y avait un lion et un tigre dans des cages dont les portes étaient soudées. Le propriétaire ne pouvait même pas y entrer, les bêtes vivaient dans trois mètres sur trois, marchant sur 40 centimètres d'excréments. Le tigre était épais comme un couteau !"
Effet de mode et selfies
Autre cas, à Paris cette fois. "Il y avait eu une saisie de téléphones dans le cadre d'une opération contre un trafic de stupéfiants", raconte Éric Hansen. "On a découvert à l'intérieur des photos d'un lionceau, aux côtés de clients." Il s'avère que les dealeurs "faisaient payer 30 ou 40 euros le selfie avec l'animal". Ce dernier, qui n'était guère qu'un "outil" commercial, n'était nourri qu'avec du lait.
D'une manière générale, le trafic d'animaux exotique répond à des phénomènes de mode. "Il suffit que l'on voie une vedette ou un rappeur passer devant une caméra avec un grand félin en laisse et la demande explose !" Et les mammifères n'en sont pas les seules victimes. "Il y a eu une demande colossale d'iguanes parce qu'on avait vu une star avec un iguane sur l'épaule."
Et les films, même lorsqu'ils alertent sur cette problématique, n'y échappent pas. "À la sortie du film Le Monde de Nemo, tout le monde voulait un poisson-clown, alors que ce sont des poissons d'eau de mer qui nécessitent un aquarium adapté." Rebelotte après Rio, "les gens voulaient à tout prix le même perroquet que dans le film." L'ONCFS fait alors face à une hausse du trafic d'aras : "10 000 euros pour la femelle, 35 000 euros pour le couple..."
Le grand félin, marque de richesse et de pouvoir
Qui veut se montrer avec un chat quand on a les moyens d'avoir un lion ? Au-delà de l'effet de mode, détenir un tigre, un lion ou un léopard est aussi un symbole de richesse et de pouvoir. Notamment sur les réseaux sociaux.
C'est en particulier le cas aux Émirats Arabes Unis où cette mode a poussé les autorités à réagir. La détention de grands félins n'a été interdite par la loi qu'en janvier 2017, sans pour autant réussir à endiguer ce trafic.
Difficile d'ailleurs de montrer l'exemple quand même le prince de Dubaï, Hamdan ben Mohammed Al Maktoum, s'affiche avec de gros félins.
De nombreuses zones d'ombres demeurent sur les circonstances dans lesquelles la panthère noire d'Armentières s'est retrouvée sur les toits de la ville nordiste. Était-elle élevée dans cet appartement pour y rester ? N'y restait-elle qu'une courte période dans le cadre d'un trafic ? Son propriétaire, "identifié" par la police, est toujours en fuite.