DATA. Nappes phréatiques au plus bas : la Normandie pourra-t-elle se passer de méga-bassines à l'avenir ?

L'accès à l'eau sera l'enjeu majeur des prochaines années dans le monde. En Normandie, où il fait de plus en plus chaud et où les sécheresses s'enchaînent, les niveaux des nappes phréatiques et des rivières inquiètent fortement. Comment les agriculteurs s'organisent-ils afin de préserver cette ressource primordiale à la vie et à leur activité.

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2022 a été l'année la plus chaude jamais recensée en Normandie. La température annuelle moyenne a atteint les 12,46°C, records de 2014 et 2020 battus. En parallèle, une forte sécheresse a touché la région. Bien pire qu'en 1976, elle a engendré une dangereuse baisse des niveaux des rivières et des nappes phréatiques, jusqu'à faire craindre des coupures d'eau potable dans certains territoires.

On a connu une situation de crise en 2017 et 2019 mais elle s'est déclenchée fin août et la première quinzaine de septembre puis tout est rentré dans l'ordre avec l'automne, mais là nous sommes un mois plus tôt et ça change tout. Nous sommes dans l'exceptionnel !

Denis Gandin, Direction départementale des territoires de l'Orne le 10 août 2022 

L'été dernier dans la Manche, à Cherbourg et Coutances, Météo France a enregistré 47 jours consécutifs sans pluie, entre juin et août. Du jamais vu. Dans le Calvados, les restrictions d'eau n'ont été levées qu'à la fin du mois... d'octobre ! Sur le terrain, des brigades de la Police de l'environnement ont multiplié les contrôles pour traquer les contrevenants aux nombreuses interdictions vis-à-vis de l'usage de l'eau. 


Le nappes phréatiques n'ont pas refait le plein

Pour compenser ce déficit de pluviométrie, il aurait fallu que les précipitations tombent en abondance de novembre à mars. Ce scénario est loin de s'être produit

Les pluies infiltrées durant l’automne sont très insuffisantes pour compenser les déficits accumulés durant l’année 2022 et améliorer durablement l’état des nappes. En conséquence, plus des trois-quarts des nappes restent sous les normales mensuelles. Les niveaux sont nettement inférieurs à ceux de décembre de l’année dernière.

BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières)

Dans la quasi-totalité de la région, les nappes phréatiques sont à des niveaux alarmants. Dans plusieurs secteurs, le constat est même affolant. C'est le cas dans l'Orne, autour de Saint-Lô dans la Manche, et dans le Pays d'Auge notamment, comme l'indique la carte ci-dessous. 


Alors que le printemps débute tout juste, les Préfectures du Calvados et de l'Orne ont déjà enclenché le niveau 1 de vigilance sécheresse. L'an dernier, elles avaient attendu le début du mois de juillet pour le faire. C'est dire si la situation est critique. 

Pierre-Yann David, hydrogéologue au BRGM, tempère l'alarmisme : "La Normandie a des ressources souterraines. Toutefois, à l'avenir, la problématique sera : est-ce qu'on va être en mesure de prélever les mêmes quantité d'eau chaque année ?". Car si, pour le moment, 2022 est considéré comme une année exceptionnelle, ses caractéristiques climatiques et météorologiques pourraient bien devenir la norme dans une trentaine d'années. Selon les experts, d'ici à 2050 les débits moyens des rivières vont baisser de 40% et l'évaporation du sol augmenter d'un tiers. 

Economiser l'eau, une prise de conscience de tous les acteurs

Face à ce constat préoccupant, les collectivités tentent d'organiser la riposte, sur la lancée du Plan Eau, présenté le 30 mars dernier par le président de la République Emmanuel Macron. Le Département du Calvados vient de lancer son PTGE (plan territorial de gestion de l'eau), une large concertation financée par l'Agence de l'eau Seine-Normandie. 160 acteurs sont rassemblés pour établir un diagnostic des besoins en eau et trouver des solutions pour économiser la ressource et mieux la répartir. 

Il y a plusieurs problématiques dans le Calvados, où l'on est pas si bien que ça en général. Le bassin de Caen consomme plus qu'il ne produit, celui de la Vire ne fonctionne qu'avec les eaux de surface, c'est compliqué aussi dans le Pays d'Auge... On souhaite développer une solidarité, nous devons aller vers une sobriété de l'eau en mobilisant les usagers, faire en sorte d'avoir un territoire à zéro pénuries d'eau. 

Audrey Gadenne, présidente de la commission Transition environnementale au Conseil départemental du Calvados

Autour de la table, de simple usagers, des élus, des pêcheurs, des chasseurs, des entreprises, des industriels ou encore des agriculteurs. Ces derniers ont conscience de la vulnérabilité de leurs exploitations face au manque d'eau, même si la Normandie n'est pas la région de France la plus à plaindre. "Nous avons la chance d'avoir des sols riches en matières organiques, ce qui permet de retenir l'eau, explique Laurent Leray, porte-parole régional de la Confédération Paysanne. "Nos pratiques de polyculture et d'élevage concourent à les entretenir, et il faudra continuer ainsi sous peine de constater une chute des rendements". 

LIRE AUSSI : Agriculture, eau potable, centrales nucléaires... Comment l'eau est consommée en France en quatre graphiques

Les agriculteurs en quête de solutions

Dans la région, certaines zones sont plus fragiles que d'autres. La pluviométrie est moins importante à l'Est. "Dans l'Eure, il tombe généralement entre 550 et 600 mm d'eau par an alors que la moyenne est autour de 850 mm dans le Calvados", détaille Laurent Leray. Pour autant, le problème de l'eau pourrait aussi impacter les plaines. 

Jusqu'à présent, la Normandie est plutôt épargnée par l'irrigation, à part pour le maraîchage. Seuls une dizaine de cultivateurs de l'Eure y ont recourt. "Il ne faut pas qu'il y en ait beaucoup plus, parce que sinon, on aura du mal à partager l'eau entre agriculteurs, mais aussi avec le reste de la collectivité", prévient Jean-Bernard Lozier, cultivateur céréalier, syndiqué à la Confédération paysanne.

Benoit Martin, président de l'association des irrigants de l'Eure, défend quant à lui le pompage dans les nappes phréatiques. "Sans ce système qui permet de puiser dans la nappes phréatique, il ne peut pas y avoir de cultures à valeur ajoutée de type industriel. On n'arrose pas par plaisir, mais par besoin pour produire des cultures qui permettent de nourrir. C'est important de pouvoir avoir accès à l'eau sur des cultures industrielles spécialisées pour pouvoir produire derrière. Mais on gère notre eau, on y fait attention".  

La question des méga-bassines ne se pose pas du tout dans la région

Xavier Hay, président de la FRSEA

Parmi les première solutions avancées, les retenues collinaires ou les pompages dans les rivières en hiver. Le Plan Eau annoncé par Emmanuel Macron permet aussi de pouvoir utiliser l'eau grise, traitée par les stations d'épuration et jusqu'alors inutilisée. 

Devra-t-on creuser un jour d'immense retenue d'eau, des méga-bassines comme à Sainte-Soline ou ailleurs en France au sud de la Loire ? Qu'ils soient à la Confédération Paysanne ou la FNSEA, les agriculteurs normands n'y croient pas. "Peut-être que la question se posera pour des petites retenues d'eau", concède Xavier Hay, président régional de la FRSEA, "mais la question des méga-bassines ne se pose pas du tout dans la région. Pour l'instant, seulement 5% de nos terres agricoles sont irriguées." Il y a quelques semaines, un expert du GIEC lui confiait qu'il faudrait "sans doute faire quelques retenues d'eau aux abords des rivières"

Une eau qui part de plus en plus vite à la mer


D'autant plus que les travailleurs de la terre doivent trouver une parade à une autre problématique : en raison de la bétonisation des sols, l'eau part de plus en plus vite à la mer. Les agriculteurs n'ont plus le choix, ils doivent adapter leurs cultures en fonction des modifications du climat. "On a déjà commencé à s’adapter", explique Xavier Hay. "Le lin de printemps, c’est compliqué, alors on fait du lin d’hiver.
En blé, on choisit des variétés avec un cycle plus court. Pour le maïs, on a tendance à prendre des variétés qui poussent plus vite. On fait le choix d’avoir un potentiel de rendement un peu plus faible, mais qui peuvent pousser en conditions un peu plus sèches, plus difficiles".

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Certains ont même tenté le pari de la culture du sorgho, une plante originaire d'Afrique. Si la tendance au réchauffement climatique se poursuit dans les prochaines décennies, les légumineuses actuellement cultivées de manière industrielle dans le centre de la France (pommes de terre, salade, oignons) pourraient pousser dans nos champs normands. Se posera alors plus précisément la question de l'irrigation et des retenues d'eau. D'ici là, la Normandie semble à l'abri d'une consommation d'eau déraisonnée de l'économie agricole au détriment de la population. 

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