En 2022, en France et en Normandie notamment, la sécheresse de l'été, les incendies et la vague de chaleur du mois d'octobre ont rendu le dérèglement climatique particulièrement visible. Quelques mois plus tard, est-ce que ça va mieux ?
Vagues de chaleur précoces, sécheresse, ensoleillement... 2022 a été l'année la plus chaude jamais enregistrée dans la région. De fortes gelées en avril et une période froide en décembre n'ont pas compensé les fortes chaleurs estivales et l'extrême douceur automnale.
"L'ensoleillement a aussi été exceptionnel, comparé aux trente dernières années, et la sécheresse a impacté le territoire, même s'il faut relativiser par rapport à d'autres régions. Depuis dix ans, on voit les températures moyennes évoluer. Ce sont des manifestations du réchauffement climatique", abonde Daniel Vendramini responsable du service prévision et climatologie du centre Météo-France de Rennes, qui documente la Normandie.
Des records de sécheresse
L’année de référence qui est restée dans les esprits est celle de 1976. En 2022, Météo France a enregistré 47 jours consécutifs sans pluie à Cherbourg et Coutances dans la Manche entre juin et août. Soit 8 jours de plus qu’en 1976.
Sans remonter aussi loin, la carte ci-dessous parle d’elle-même : alors qu'une grande partie de la région était en alerte sécheresse tout l'été, aucun niveau n’avait été levé par Propluvia à la fin de la saison. Dans le Calvados, il aura même fallu attendre fin octobre pour assouplir des mesures de restrictions d’eau.
Un automne et un hiver très doux
Comme pour de nombreux mois de l'année 2022, novembre connaît une douceur exceptionnelle. "On sait que depuis 2013, les automnes surpassent la norme. Mais c'est spécialement avéré pour l'automne 2022", souligne Daniel Vendramini. Avec une température moyenne de 13,6 °C, soit un excédent de 1,7 °C, la période se place au deuxième rang des automnes les plus doux depuis 75 ans, juste derrière 2006 (13,9 °C).
Sans surprise, l'hiver 2022 a, lui aussi, été très doux. Ce dernier se situe au septième rang des hivers les plus chauds observés depuis 75 ans.
Le niveau des nappes phréatiques baisse d'année en année
L'été 2022 a amené son lot d'événements exceptionnels : record de sécheresse battu, manque d'eau, incendies... Résultats, la nappe phréatique normande a beaucoup souffert. Quelques mois plus tard, est-ce que ça va mieux ? Selon le BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières), service géologique national français, "En décembre, la recharge se poursuit sur les nappes réactives et débute sur les nappes inertielles. Elle reste cependant peu intense et, de ce fait, les niveaux des nappes du mois de décembre sont peu satisfaisants."
"Les pluies infiltrées durant l’automne sont très insuffisantes pour compenser les déficits accumulés durant l’année 2022 et améliorer durablement l’état des nappes. En conséquence, plus des trois-quarts des nappes restent sous les normales mensuelles. Les niveaux sont nettement inférieurs à ceux de décembre de l’année dernière."
BRGM
"La période de recharge est en cours et une vision plus nette de l’état des ressources souterraines pour le reste de l’année se dégagera en mars/avril", conclut le BRGM.
Adapter l'agriculture normande au réchauffement climatique
Des années comme 2022 pourraient avoir de graves conséquences sur l'agriculture en Normandie. La région représente par exemple 63 % de la production française de lin textile. "Le lin n'aime pas les sécheresses ni les fortes chaleurs car cela peut engendrer des fibres creuses, qui ne sont pas exploitables par l'industrie textile", illustre François Beauvais, docteur climatologue-géographe à l’université de Caen Normandie. "Si on a des années 2022 à répétition, cela peut poser un problème pour la filière agricole", prévient-il.
Quelles sont donc les solutions pour maintenir une agriculture en Normandie ? Selon le climatologue-géographe, lauréat du prix Gérard Beltrando 2022 de la meilleure thèse en climatologie, il faut, d'une part, réduire les émissions de gaz à effet de serre pour éviter de s'inscrire dans les scénarios les plus pessimistes et, d'autre part, s'adapter aux changements.
Le travail de François Beauvais s’intéresse aux conséquences des évolutions climatiques sur la culture du blé tendre en Normandie. Pour lui, l'agriculture doit "imaginer de nouvelles cultures adaptées au climat des prochaines décennies" et il faut donc réaliser des études de faisabilité sur l'ensemble des cultures en Normandie. Mais selon lui, pour l'instant, ce n'est pas fait. "On est vraiment en retard", s'inquiète-t-il.
"On peut jouer sur les variétés qui ont des cycles plus courts afin que leur maturité arrive avant la sécheresse", propose-t-il. Où trouver des alternatives à certaines récoltes comme le sorgho, une plante que l'on trouve d'ordinaire en Afrique et qui est adaptée à des conditions climatiques plus sèches que le maïs par exemple. "Au lieu de faire du lin de printemps, il faudra peut-être faire du lin d'hiver. Et le chanvre pourrait être une alternative pour produire des débouchés", estime-t-il.
En plus de cela, il propose d'"adapter les pratiques agricoles". "On pourrait imaginer que l'agriculture s'inspire de l'agroécologie, que l'on travaille moins les sols, et que l'on fasse des rotations culturales plus longues."
Le climat en 2022 : la norme après 2050 ?
Sécheresse, vagues de chaleurs records, incendies… L'année 2022 a rendu le dérèglement climatique particulièrement visible. Ces records de chaleur, remarquables dans le climat actuel, pourraient devenir la norme, d'ici 2050. "Si on ne réduit pas nos émissions de gaz à effet de serre, l'année 2022 pourrait être une année moyenne après 2050", prévient François Beauvais.
Ces 30 dernières années, les températures en Europe ont augmenté plus de deux fois plus rapidement que la moyenne mondiale, selon un rapport de l'Organisation météorologique mondiale (OMM). Selon ce rapport, si la tendance au réchauffement se poursuit, des chaleurs exceptionnelles, des feux de forêt, des inondations dévastatrices et d'autres effets du changement climatique feront de plus en plus de ravages dans la société, l'économie et les écosystèmes.