Faute de personnels suffisamment nombreux en ce mois de juillet 2023, plusieurs opérations chirurgicales ont dû être reportées au CHU de Rouen. Une situation délicate pour les patients mais qui s'explique, selon la direction de l'établissement et les représentants syndicaux, par un absentéisme croissant, amplifié par la période estivale. Explications.
C'est une situation de tension qui inquiète les patients et alarme la direction du CHU de Rouen. Alors que l'hôpital public fait face, au niveau national, à un contexte de démographie médicale insuffisante sur certaines spécialités, avec notamment une pénurie de professionnels du bloc opératoire, l'établissement rouennais a confirmé avoir dû reporter certaines opérations. Des interventions ajournées "en fonction de leur urgence et de leur niveau de gravité", précise Bertrand Cazelles, directeur général adjoint du CHU de Rouen.
Les annulations ne concernent que quelques spécialités. Les chirurgiens essaient de ne reporter que les interventions qui peuvent l'être. Nos équipes chirurgicales sont particulièrement navrées et essaient d'accompagner au mieux les patients, dans une démarche de pédagogie.
Bertrand CazellesDirecteur général adjoint du CHU de Rouen
"On est dans une situation qu'on espère conjoncturelle. L'absentéisme est plus important que d'habitude et la période estivale ne facilite pas la gestion de la situation. Une partie de nos professionnels étant en congés, nous avons moins de marge de manoeuvre pour le compenser", admet Bertrand Cazelles. Précisant toutefois rester optimiste : "on a des perspectives de recrutement pour la rentrée. Nous avons mis en place un plan d'attractivité et de fidélisation pour recruter plus de personnels. Toutes nos équipes sont mobilisées pour faciliter ces recrutements."
Les conditions de travail pointées du doigt
Face à une problématique qui touche l'ensemble du pays, l'Agence régionale de santé a mis en place un système d'appui inter-hôpitaux via une plateforme dédiée, afin "d'assurer la continuité des soins" et de "favoriser les remplacements de praticiens entre établissements publics de santé", précise le site web de l'ARS Normandie. Mais ce système ne s'applique pas nécessairement aux spécialités concernées au bloc opératoire. Et ne règle pas un problème de fond, celui de conditions de travail plus difficiles, selon Guillaume Hernin, représentant du personnel, secrétaire SUD-CHU de Rouen et infirmier en néonatologie.
Les conditions sont-elles moins bonnes à Rouen ? Difficile à dire. Par contre, ce qui est sûr, c'est que l'on est dans une situation critique : une grosse pénurie de personnel, un épuisement professionnel qui s'installe et des départs massifs. Il y a une grosse perte de sens de l'hôpital public et du soin.
Guillaume HerninInfirmier et représentant syndical
"Le CHU de Rouen a un taux d'absentéisme supérieur à la moyenne nationale. C'est en partie lié à un épuisement professionnel, avec des agents qui ne peuvent plus exercer leur profession et doivent être arrêtés", analyse-t-il. "Ce ne sont plus de petits arrêts ponctuels : on a une majoration des arrêts longue maladie, qui impactent d'autant plus les services. C'est un cercle vicieux : plus le personnel est restreint, plus la charge de travail plus importante. On fatigue ceux qui sont en place et qui vont avoir envie de partir. Et les absents ne sont pas forcément remplacés."
"Il y a une reconnaissance insuffisante, par le CHU de Rouen et de manière globale par le ministère de la Santé. On n'a pas de revalorisations salariales, on a l'impression d'être des pions que l'on peut déplacer à droite à gauche", avance Guillaume Hernin. "Cette perte de sens au travail engendre des postes vacants. Donc plus de charge mentale, plus de charge physique, des personnels qui s'épuisent. La seule réponse face à cet épuisement, c'est parfois de se dire 'je vais arrêter là et voir si l'herbe est plus verte ailleurs'."
Près d'une centaine de postes vacants
Guillaume Hernin estime qu'il y aurait entre 50 et 100 postes vacants au CHU de Rouen en moyenne. "On manque d'infirmiers, d'aides-soignants, de manipulateurs en radiologie", liste-t-il. Rappelant que des problématiques similaires touchaient les ASH (agents des services hospitaliers, responsables de l'entretien des locaux et du bio nettoyage) il y a quelques années. Avant l'externalisation du service en 2019, une décision qui avait alors suscité une vive opposition de la part des syndicats.
Pour pallier la situation, Guillaume Hernin préconise "une vraie revalorisation de la fonction publique" hospitalière. "Est-ce qu'il faut passer par la fermeture de lits, une réactualisation des services ? Je n'ai pas la solution exacte. Mais il faut que le personnel retrouve le sens du travail et arrête de faire du patient à la chaîne. C'est complexe pour les agents de pas avoir le temps de faire ce pourquoi ils ont choisi ce métier", plaide le soignant, évoquant notamment la question de la mise en stage des personnels.
Ce statut administratif particulier à la fonction publique débute à la nomination et précède la titularisation. Retardée, la mise en stage prolonge "le délai de latence" avant la titularisation des soignants. Et donc, les avantages, inhérents à la fonction publique hospitalière, qu'elle comporte.
Les urgences continuent de tourner normalement pendant l'été. Mais je repasse le message : il ne faut pas y aller pour un mal de tête, au risque de saturer le service et d'engendrer un délai d'attente qu'on ne peut pas prédire à l'avance.
Guillaume Hernin
Reste qu'il faudra composer avec un été en tension, et de nouvelles et inévitables déprogrammations d'opérations. Mais, tout comme Bertrand Cazelles, Guillaume Hernin se veut malgré tout rassurant. Et affirme : "Les patients ne doivent pas être inquiets. Tous les agents professionnels au sein du CHU sont là pour le patient. Le travail sera toujours de qualité. Par contre, on peut craindre que de nouveaux agents s'y épuisent et que dans quelques temps, le CHU ne soit plus à même de tourner suffisamment."