Témoignages. "On travaille pour rien, même pas pour la gloire" : paroles d'agriculteurs, les origines de la colère

Publié le Écrit par Myriam Libert
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Le mécontentement des agriculteurs ne faiblit pas. Un peu partout en Normandie, ils organisent des actions de contestations. Nous avons rencontré quelques-uns de ces paysans, excédés de ne pas être compris ni entendus. Témoignages.

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François, Stéphane, Laurent, trois agriculteurs normands qui soutiennent, ou non, le mouvement de contestation, ont accepté de nous raconter leur quotidien.

Entre des horaires de travail excessifs et de maigres rémunérations, les trois cultivateurs se battent au jour le jour pour gérer leurs exploitations, sans jamais oublier pourquoi ils le font.

L'amour du métier les tient debout, mais le prix à payer est parfois vertigineux.

"On est habitué à vivre avec rien"

"On est passionné par notre métier, on a tous l'amour du métier, mais c'est le système qui nous dégoûte ! C'est toujours les agriculteurs qui trinquent !"

Le ton de la conversation est donné dès le début de notre entretien avec François Berry, maraîcher bio à Malaunay en Seine-Maritime. Comme nombre de ses compagnons de contestation, l'agriculteur est affilié à la FNSEA, fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, pour, dit-il, être défendu.

Le cultivateur exploite 82 hectares de céréales en conventionnel, et sept hectares de maraîchage bio avec l'aide de deux employés saisonniers.

"On a du boulot pour plus d'employés, mais il faut les payer, et on a déjà du mal à garder les bons éléments. En agriculture, ce n’est pas parce qu'on fait des heures qu'on gagne de l'argent", déplore François Berry, qui travaille entre 70 et 110 heures par semaine.

Des gens qui travaillent entre 70 et 110 heures par semaine, pour 300 ou 500 euros par mois, vous en connaissez beaucoup ?

François Berry, maraîcher bio à Malaunay (76)

"Nos difficultés ne datent pas d'aujourd'hui. Depuis 20 ans que je suis installé, je n'ai pris aucun revenu sur mes activités agricoles, je gagne de quoi alimenter la trésorerie que je ne peux pas prélever. C'est une comptabilité fictive, il y a du stock mais l'argent n'est pas là. Si on prélève un peu, c'est pour rembourser nos emprunts. On travaille pour rien, même pas pour la gloire !", explique l'exploitant, qui rappelle au passage que les biens immobiliers dans l'agriculture sont souvent des patrimoines familiaux.

"Dans le monde agricole, on est habitué à vivre avec rien. Nos revendications d'aujourd'hui sont très en deçà de celles de la société, un chômeur gagne plus que nous ! Alors les jeunes n'ont pas envie de cette vie-là, sans vacances, sans sorties au restaurant, et parfois sans compagne", poursuit François Berry.

L'agriculteur demande une rémunération plus juste de son travail, une baisse des cotisations et des réglementations, et un regard moins acéré de la société sur le monde agricole.

"On nous traite de pollueurs, mais pour espérer avoir des revenus, il faut du rendement aussi", conclut le maraîcher, qui aime aussi rappeler que les agriculteurs ont une belle mission dans la société, celle de nourrir la population.

"On n'a pas le droit de baisser les bras"

"À force d'être écrasé par toutes ces normes, par toutes ces charges, on ne va pas réussir à survivre", s'inquiète Stéphane Donckele, 45 ans, au volant de son tracteur à Catenay en Seine-Maritime.

Ce céréalier qui exploite 160 hectares de terres et élève des vaches laitières, est également le secrétaire général de la FDSEA dans le département, aux premières loges de la contestation.

Parmi les premiers motifs de mécontentement, l'agriculteur déplore l'excès de mesures à respecter au sein de la PAC, la politique agricole commune, pour bénéficier des aides de l'Europe. Déclaration des surfaces, des épandages de produits phytosanitaires, des actions en matière de bien-être animal... Le travail administratif prend aujourd'hui une place démesurée dans la vie d'un agriculteur.

"Globalement c'est huit heures par semaine que vous devez passer assis à votre bureau pour remplir les documents, et appréhender un contrôle à peu près correctement."

La partie administrative de notre activité apporte une certaine pression. Si on ne le fait pas correctement et qu'il y a un contrôle qui tombe, ça peut faire très mal en termes de prélèvements sur les aides de la PAC.

Stéphane Donckele, céréalier et éleveur de vaches laitières, président de la FDSEA en Seine-Maritime

Les agriculteurs demandent donc une remise à plat de toute cette paperasse, "un choc de simplification, un moratoire total" pour Stéphane Donckele.

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Portrait d'un agriculteur Stéphane Donckele à Catenay (76) ©Ftv


Autre sujet de crispation, l'Europe demande aux agriculteurs de laisser 4% de leurs terres en jachère, dans un but agroécologique. Il s'agit d'une nouvelle directive de la politique agricole commune revue tous les cinq ou six ans.

Ces terres non cultivées comprennent les haies, les mares, les arbres, et doivent favoriser l'épanouissement de la biodiversité. Or une terre en jachère ne produit rien. "Quand on ne produit pas, il n'y a pas de revenus dessus, et on doit aller chercher ailleurs ce qu'on ne produit pas ici", regrette Stéphane Donckele.

Fin des dérogations pour le gasoil ?

Enfin la fin progressive des dérogations octroyées aux agriculteurs sur les taxes du GNR, gasoil non routier, inquiète la profession.

"On subit la hausse du prix des carburants comme tout consommateur. Mais pour notre travail, on utilise un gasoil non routier qu'on met dans nos engins agricoles et qui était jusqu'alors détaxé. Même si la fin des aides est sur 10 ans, c'est un coût supplémentaire pour les exploitations. Sur la mienne, ça me coûtera 10 000 euros de taxes en plus à payer par an. Ces engins, ce sont nos outils de travail", poursuit le céréalier.

Stéphane Donckele appartient à la quatrième génération de sa famille à exploiter ces terres de Catenay. Alors il a parfois un peu de vague à l'âme à l'évocation de ses difficultés.

"On n’a pas signé pour ça, mais tant qu'on arrivera à faire vivre la famille, on continue. On est attaché à notre exploitation, à notre campagne, et on a nos enfants derrière, c'est ce qui donne la force. On n'a pas le droit de baisser les bras", conclut le père de famille.

"On ne va pas abandonner les normes environnementales"

Vous ne trouverez pas Laurent Leray dans les manifestations actuelles des agriculteurs. Pourtant ce producteur de lait et de volailles qui travaille avec ses deux frères près de Passais-la-Conception dans l’Orne, partage une bonne part des difficultés rencontrées par la profession.

Aux mêmes maux, il ne propose pourtant pas les mêmes remèdes. Chef de file du syndicat de la Confédération paysanne en Normandie, Laurent Leray a une autre vision des choses. "Nous ne voulons pas les mêmes solutions", dit-il.

On ne va pas abandonner les normes environnementales, ni la conquête de la qualité de l’eau, mais nous sommes d’accord avec le problème de la suradministration, cela nous prend de temps. Il y a des possibilités de simplifier les démarches

Laurent Leray, porte-parole de la Confédération paysanne en Normandie

Laurent Leray est également favorable à une sortie accompagnée des pesticides, ce qui n’est pas le cas des syndicats agricoles qui manifestent ces jours-ci. "Nous sommes également pour le retour du maintien à l’agriculture biologique", poursuit-il.

Le producteur de lait soutient en revanche l’action des agriculteurs qui s'est tenue ce mercredi 24 janvier 2024, à Domfront dans l'Orne, devant Lactalis, leader mondial de produits laitiers, pour négocier le prix du lait.

"D’une manière générale, je suis pour l'application de la loi Egalim, je suis contre les accords de libre-échange, comme le CETA, MERCOSUR ou encore avec la Nouvelle-Zélande. Il y a déjà une concurrence déloyale entre les pays européens, il faut déjà que nous réglions les problèmes entre nous", soutient le syndicaliste.

"Nous ne voulons pas tomber dans le populisme"

Enfin, sur la fin de l'avantage fiscal du gasoil non routier pour les agriculteurs, il s'accorde avec la position des autres syndicats agricoles. "Avec la hausse du coût de l’énergie et la fin de cet avantage, cela va être très compliqué pour nous. On ne partage pas toutes les revendications actuelles, mais on comprend qu’il y ait des choses dures à avaler."

Laurent Leray n’exclut cependant pas d’organiser des actions avec la Confédération paysanne. Mais ce ne sera pas de concert avec la FDSEA, les Jeunes Agriculteurs ou encore la Coordination rurale.
"Il y a une tentative de récupération du mouvement par l’extrême droite, nous ne voulons pas tomber dans le populisme", explique le chef de file de la Confédération paysanne en Normandie.

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