Interdit de territoire à Sainte-Soline et à Mauzé-sur-le-Mignon dans les Deux-Sèvres, Julien Le Guet sera absent du grand rassemblement anti-bassines des 25 et 26 mars 2023. Porte-parole du collectif Bassines Non Merci !, il est également batelier dans le marais poitevin. Un environnement qu'il chérit et le pousse à un engagement sans compromis pour défendre la nature, coûte que coûte.
Au cœur du marais poitevin, Julien Le Guet se sent chez lui. À tel point qu’au-delà d’y vivre, il y travaille en tant que batelier pour faire découvrir ses secrets aux visiteurs. "Ce que j’aime dans ce marais, c'est un certain sentiment de liberté, une certaine possibilité d’accéder aux choses, et c’est peut-être lié au fait qu’ici l’eau est encore à tout le monde", sourit-il en naviguant sur son bateau.
Comme la nature, l’engagement n’est jamais loin de Julien Le Guet. Figure de proue du mouvement anti-bassines et porte-parole du collectif Bassines Non Merci !, il consacre sa vie à protéger ce marais qui lui est si cher. Quitte a, parfois, en payer le prix.
Un engagement qui prend sa source dans le marais
"Moi aussi, j’ai ma bassine, sauf que je rends l’eau au marais", ironise Julien Le Guet en écopant son bateau avant de partir explorer le marais poitevin. Cet environnement, il le côtoie depuis ses 5 ans. À l’époque, ses parents, instituteurs en Picardie, tombent amoureux de ce territoire avant de s’y installer. Il se souvient quand il partait la journée en bateau, attraper des grenouilles et pêcher. "C’est une enfance pleine et connectée à la nature, résume le militant. J’ai des souvenirs d’enfance saisissants ici et je suis finalement devenu un témoin quotidien de tout ce qui disparait ici."
Car en 40 ans, l’état de santé de cette nature marécageuse s’est dégradée. À cause de l’homme, lui qui l’avait façonné il y a déjà des centaines d’années. "Il est encore temps de sauver le marais, mais il y a déjà tout un pan de la biodiversité qui s’est écroulé. Je ne serai pas en mesure de montrer des grenouilles à mes petits-enfants alors que je me baignais dedans quand j’étais petit. Il faut retrouver un équilibre", déplore Julien Le Guet. Ce sentiment d’une nature qui se dégrade influence son combat actuel : "C’est tout l’épanouissement et toute l’enfance qui sont attaqués."
Le militantisme est une maladie génétiquement transmissible de père et de mère en fils.
Julien Le Guet, porte-parole de Bassines Non Merci ! au côté de son père Christian
Mais les racines militantes de Julien Le Guet viennent avant tout de ses parents. Quand ils décident de s’installer à Saint-Hilaire-la-Palud, ils sont déjà engagés dans la lutte environnementale. Le porte-parole de Bassines Non Merci ! ne s’en cache pas : "Je suis issu d’une famille qui a toujours milité pour le bien commun, de manière désintéressé. Les chiens ne font pas des chats."
Pour son père, Christian, cet engagement ne surprend pas tellement. Ancien maire communiste d’une petite ville de Picardie, il partage les mêmes convictions que son fils.
"No Bassaran !"
Diplômé à 23 ans d’une licence de biologie de l’Université d’Amiens, Julien Le Guet décide de revenir dans les Deux-Sèvres pour s’y installer et se lancer pleinement dans son activité de batelier. C’est également à cette époque, dans les années 2000, que les premières réserves d’eau sont construites en Vendée. Déjà, il s’engage contre ces "bassines" mais la voix de l’opposition peine à se faire entendre.
Quand j’ai entendu parler des projets de bassines en Deux-Sèvres, j’ai aussi mal réagi que quand j’avais appris celles de Vendée 10 ans avant, sauf qu’à l’époque on n’avait pas réussi à peser et empêcher que ça se fasse.
Julien Le Guet, porte-parole du collectif Bassines Non Merci !
Mais quand quelques années plus tard, un projet de 16 réserves de substitutions se profile dans les Deux-Sèvres, c’en est trop. "Le principe d’aller mettre sur les points les plus hauts du territoire, des cratères qu’on va remplir par pompage, c’est une aberration technologique, de l’histoire, c’est complètement à l’envers du cycle naturel de l’eau", dénonce-t-il.
Il craint à terme un assèchement du réseau hydrologique en été, mais aussi en hiver. Ce qu’il commence à observer alors qu’une seule réserve d’eau sur les 16 est aujourd’hui construite : "Quand la préfète autorise le remplissage de la bassine de Mauzé alors qu’en plein hiver le Mignon est à sec, ce n’est pas possible."
Ce qui motive beaucoup de gens dans la lutte contre les bassines, c’est qu’ils se disent que cette victoire, elle est prenable !
Julien Le Guet, porte-parole du collectif Bassines Non Merci !
Avec une vingtaine d’autres militants, il crée le collectif Bassine Non Merci !, pour alerter sur ce risque dès le début du projet. Il en devient rapidement la figure. "C’est notre star, il a beaucoup de compétences, beaucoup de courage, de hargne, témoigne Jean-Jacques Guillet qui milite à ses côtés depuis les premiers jours de Bassines Non Merci !. On essaye de le soutenir."
La rançon de l'engagement
Progressivement, le mouvement prend de l’ampleur, pour ne jamais cesser. Et avec lui, les manifestations et les opérations de blocages que tentent de faire cesser les autorités. À tel point que Gérald Darmanin en arrive à qualifier Julien Le Guet et les autres militants d’"écoterroristes".
Le militant et ses proches sont mis sur écoute, perquisitionnés, placé en garde-à-vue, et même tracés ! La lutte contre les "bassines" et pour "le bien commun" prend une autre dimension. Aux yeux de son père Christian Le Guet, Julien est pourtant "un chouette môme". "Je suis très fier et j’ai un petit peu peur. Je ne sais pas ce qu’en face, ils peuvent faire, parfois, je suis inquiet", lâche le paternel.
Une quarantaine de personnes fichées S à l'ultra-gauche ont été repérées dans cette manifestation avec des modes opératoires qui relèvent, je n'ai pas peur de le dire, de "l'écoterrorisme".
Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur, le 30 octobre 2022, au lendemain de la manifestation à Sainte-Soline
Du côté des autres militants de Bassines Non Merci !, le sentiment d’inquiétude est également partagé. "Il a une tendance à aller au sacrifice, constate Jean-Jacques Guillet. Il a pris des coups, mais il est prêt à en prendre parce qu’il considère que la nature en prend tellement… Pour nous, la violence, elle vient de ceux qui massacrent la nature et notre avenir."
Le dernier "coup" en date provient de la justice qui l’a placé sous contrôle judiciaire, le 17 mars 2023. Alors qu’un grand rassemblement y est prévu le 25 et le 26 mars 2023, il est aussi interdit de territoire à Sainte-Soline et Mauzé-sur-le-Mignon jusqu'au 8 septembre, date à laquelle il devrait comparaître devant la justice.
Malgré cela, la détermination de Julien Le Guet ne faiblit pas, telle une obsession. Notamment parce que les enjeux sont trop importants. "Le risque pour le long terme, c'est que ça ancre l’agro-industrie, avec ces fermes qui sont déjà pressurisées par le surendettement, qui sont dans des logiques de surproduction avec des pesticides. Plutôt que de les accompagner vers des pratiques vertueuses, on leur fait croire qu’ils peuvent continuer comme si la ressource en eau était disponible comme il y a 50 ans", prévient Julien Le Guet.
Malgré les tensions de part et d’autre, il espère qu’un jour tout le monde puisse "se retrouver autour de la table pour construire cette agriculture de demain".
Absent de la prochaine manifestation du week-end du 25 mars, par ailleurs interdite par la préfecture, il ne se fait pas de souci pour un mouvement qui "va bien au-delà de [sa] personne". "S'il n’y avait pas eu ce mouvement, les 16 bassines seraient déjà construites. Là, ils en sont à 1,5 et peut-être que la semaine prochaine, ils seront à 0,5", souligne le porte-parole de Bassines Non Merci !. Ce qu’il considère comme des intimidations n’enlève rien à l’engagement de Julien Le Guet. Il est prêt à en payer le prix.